samedi 25 mars 2017 - par C’est Nabum

Faut-il vous faire une dessin, Monsieur Le Préfet ?

 Je suis A…, aussi

 

C’est encore de mon endroit cosmopolite, à la population si disparate, que je vous écris. Non pas la lettre officielle, que mon ami A aura sans doute recopiée ou bien dactylographiée après avoir essayé de déchiffrer mon écriture, mes tournures alambiquées et la petite ironie que j’ai laissé poindre dans votre missive. Se faire écrivain public, ce n’est certes pas abandonner ce petit brin d’ironie que je réserve toujours à ceux qui détiennent le pouvoir.

Je sais que vous êtes un honnête homme car bien peu de gens de votre acabit sont venus rendre visite à ce lieu d’exclusion où je donne de mon temps. Vous l’avez fait avec simplicité et humanité : ce qui vous honore et marque une véritable différence avec nos chers élus, si peu enclins à ce qui, pour eux et leurs électeurs, doit apparaître comme des défauts rédhibitoires. En cela, je me dois de vous féliciter.

Lors de cette visite, vous avez sans doute pu considérer l’état de délabrement de notre immeuble, l’effet de Cour des Miracles qui émane de notre local d’accueil, en total surnombre. Tout cela, nos chers élus ne peuvent s’en rendre compte : l’état de fragilité de leur sensibilité leur rendant insupportables de telles visions d’horreur. Ils préfèrent fermer les yeux et ne pas venir. En tant que représentant de l’Etat vous avez osé. Je le mets à votre crédit.

C’est ainsi que vous avez certainement admiré les œuvres d’A, pour lequel je vous ai écrit cette curieuse lettre. L’homme a du talent, une patte personnelle, une vraie sensibilité et une générosité sans borne puisqu’en dépit de sa situation plus que précaire, il nous confie ses toiles, les exposant dans des centres sociaux et des mairies, rassurez-vous, pas celle d’Orléans.

Cet artiste a demandé l’asile politique en France, il attend désespérément la réponse depuis de longues années. Dans son pays, il était caricaturiste politique. Vous savez je suppose le peu de goût pour la chose chez les gens de pouvoir. Notre homme a été arrêté, emprisonné, torturé pour quelques coups de crayons moqueurs. Je pensais naïvement qu’en France, depuis l’attentat de Charlie Hebdo et surtout le formidable défilé des têtes couronnées de l’Avenue Voltaire, derrière notre Président outragé, on savait ce que le liberté d’expression voulait dire. Je découvre que tous les beaux discours d’alors n’étaient que belle vitrine et qu’il n’est nullement question de tendre la main à un artiste en danger.

Monsieur le Préfet, vous fûtes bien moins regardant lorsque, lors d’un précédente fête johannique, vous aviez accepté un tableau de ce même A. Il voulait vous toucher, vous honorer et attirer votre attention sur sa situation. Près de deux années ont passé et il ne voit toujours rien venir, vit en totale précarité avec la crainte de l’expulsion et des tracasseries qui, comme chacun l’a compris, ne sont pas feintes dans cette bonne ville.

Alors, Monsieur le Préfet de la République, montrez-vous bon joueur. Vous avez accepté le tableau, recevez A dans notre communauté nationale. Vous en avez le pouvoir, vous ne pouvez être sensible à son art et ne pas considérer sa situation personnelle, à moins que tout cela ne fût que comédie et hypocrisie de votre part. Si tel est le cas, je vous conseille de quitter au plus vite le corps préfectoral pour vous lancer dans une carrière politique. Il y a de la place pour de telles compétences.

Avant que vous ne refermiez ce courrier peu amène, je me dois bien de l’admettre, sachez que notre A n’est en rien au courant de ma démarche. Elle est de la seule initiative de votre serviteur, un citoyen fort peu recommandable car jamais mis en examen et qui n’a jamais détourné le moindre argent public. C’est vous dire, combien j’échappe aux critères qui font la notoriété et la respectabilité dans cette étrange société.

Je me suis engagé encore à écrire et présenter sur la toile les œuvres de cet artiste afin qu’il ne reste plus l’inconnu fort commode qu’il convient de laisser dans l’ombre. Je pense même organiser un vernissage de ses œuvres avec réception pour tous les braves gens de ce pays qui ont encore un cœur. Je tâcherai de préparer quelques petits fours pour avoir une petite chance de voir quelques-uns de nos élus. Je ne doute pas de votre présence, une fois encore. En attendant, acceptez le courroux d’un citoyen totalement désabusé par le spectacle actuel que donne notre pays, nos élus et bon nombre de citoyens prêts à fermer les yeux sur les agissements de gredins célèbres, tout en tournant impitoyablement le dos à la misère du monde.

Artistiquement sien.

 



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