Le petit Bagagiste hongrois
Spirou, sors de ce corps !
Fantasio n'est pas d'Accor
Depuis le temps qu’il en rêvait, le prince des accords impossibles, le roi du coup de balai, l’archange de l’ascenseur social, le voici bagagiste réceptionniste dans un grand groupe hôtelier. Il avait été question de lui confier le standard mais son manque de maîtrise langagière lui valut le refus d’une direction soucieuse de préserver les apparences.
Ainsi donc, le trublion de la République trouve enfin sa véritable place : il réalise ses phantasmes, il atteint son Graal, il peut se vautrer dans l’obséquiosité ; lui, qui n’a jamais cessé de servir les grandes fortunes de ce monde, il va pouvoir porter leur valise et tendre la main pour obtenir pourboire à la hauteur de sa soif de reconnaissance et de richesse.
Le groom de Neuilly va faire des merveilles. Depuis que les bagages sont équipés de roulettes, il n’y a plus d’obstacle à sa prise de fonction. Il est vrai, qu’auparavant, sa petite taille l'empêchait de soulever de terre ces lourdes malles, ces précieux réceptacles des dessous princiers. Désormais, tout va rouler pour lui ; il met ainsi terme à cinq longues années de chômage et de minima sociaux.
Le nain des palaces sera rétribué alors que, jusque-là, il se contentait de tendre la patte pour se la faire graisser, d’établir des faux pour tromper les agents des allocations publiques. L'enveloppe en papier kraft n’a plus lieu d’être, il reçoit salaire à la hauteur de sa peine. Le voilà récompensé comme il le mérite, loin de l’ingratitude des Français, ces gens sans cœur qui lui ont tourné le dos par deux fois.
Le valet de pied des puissants retrouve de la hauteur, il côtoie les anges. Il est réintégré parmi ses amis, les grands de ce monde, lui qui dut porter des talonnettes pour se hisser à leur niveau. Justice est faite sans même le plus petit examen pour vérifier ses compétences à servir dans les grands hôtels et les palaces. Il est vrai qu’il aurait réclamé une faute de procédure.
Le petit bagagiste d’Accor entre en fonction. Nous en sommes heureux pour lui. Il sera à nouveau utile et occupé, ce qui, avouons-le, réjouit la chanteuse sans voix. Mais c’est alors que moi, pauvre contribuable français, je m’étrangle d'indignation. Je découvre avec effroi que l’homme jouit de privilèges exorbitants auxquels je participe financièrement. Le cumul des privilèges : il y a de quoi perdre la tête en ces temps de révolte populaire …
C’est donc pour son bien, pour la tranquillité des siens et, je ne sais si j’ose le dire dans son cas, par respect de la morale républicaine et de l’égalité de tous devant les lois de la République, que je demande la fin de ses maigres indemnités présidentielles. L’homme a désormais assez de ressources pour se priver de l'aumône que l’Etat lui consent. Son patron n’aura qu’à compenser le manque à gagner.
Je souhaite une longue carrière de valet de pied au petit bagagiste hongrois. C’est dommage qu’il n’ait pas trouvé sa véritable voie plus tôt, cela nous eût épargné bien des tracas, bien des hontes et bien des indignités. Mais l’essentiel est là : il porte des valises en livrée, il se découvre enfin devant les dames, il se courbe et s’incline. La révérence est chez lui, un art consommé.
La France peut se réjouir. Elle va ainsi retrouver sa réputation d’accueil et d’excellence en matière hôtelière ; le petit bagagiste hongrois sera la référence absolue, le modèle à atteindre pour tous les personnels si mal payés de ce secteur professionnel. Lui, s’il échappe à la modestie du revenu, c’est simplement pour donner envie à ses collègues de travailler beaucoup plus pour gagner des clopinettes en plus. Une fois encore, il a fait don de sa personne à la nation ; on sait que ce n’est pas un don gratuit et qu’il se monte même à plus de trois millions d’euros par an. Alors exigeons la fin du cumul pour ce parasite honteux, ce rat d’hôtel !
Bagagistement sien.