samedi 4 avril 2015 - par Jean-François Dedieu

Louis Pergaud toujours là ! (souvenir 14-18)

Entre Marchéville-en-Woëvre et Saulx toujours en Woëvre, à trente cinq mètres à droite du pont sur le fossé Saint-Pierre, le sous-lieutenant Pergaud entraîne ses hommes à l’attaque de la Côte 233. Il faut les voir !.. Trempés par l’eau des marais où ils ont dû patauger jusqu’aux genoux, ils dégoulinent aussi de l’eau du ciel qui ne cesse de tomber ! Regardez-les bien, c’est la dernière fois : beaucoup n’en reviendront pas !

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Ernest Florian-Parmentier

http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm

écrira même, sur la foi du sergent Desprez, blessé lors de cet assaut : « ... Les débris de celle (la section) de Pergaud rentrèrent seuls ; notre brave confrère avait disparu... ». C’était le 8 avril 1915, un jeudi, par une nuit sombre et pluvieuse, après 2 heures du matin.

Regarde-les même à travers tes larmes... Elles valent mieux que ces postures intéressées de politiques vénaux et opportunistes, prompts à embrayer sur l’émotion commanditée pour le bon peuple, mise en branle par des journaleux aux ordres ! Ah, ils n’étaient pas en retard, le 11 novembre 2013, lorsqu’ils ont lancé de concert la commémoration du centenaire ! Était-ce un contre-feu, de ceux qu’ils savent allumer, dans une stratégie de manipulation globale, dans le but d’étouffer un temps un nouveau scandale ou une vieille affaire qui couve ? Aucune intention, vraiment, dans cette exaltation du rassemblement national ? N’était-ce point pour anticiper les mauvais chiffres du chômage et, faute de le sauver, d’apporter un répit au soldat Hollande ? Ne soyons pas naïfs : même la commémoration de la Grande Guerre est susceptible d’être instrumentalisée. Dans le cas contraire (ne suivant pas les grand messes du 20 h, je veux bien me tromper), de la part des instances nationales, cela expliquerait un devoir de mémoire sporadique, bégayant, pour ne pas dire amorphe tout au long de 2014. Sans oublier de balayer aussi devant nos portes, notons cependant la ferveur qui accompagne nombre d’initiatives ponctuelles, à titre individuel, sur de nombreux forums (1), au niveau communal parfois (2).

Revenons vite à Pergaud : sa vie, ses épreuves, restent d’une modernité étonnante, avec, en toile de fond, en 1915 comme aujourd’hui, les humains sur la corde raide !

Loin des miasmes, si un être sain a tout à gagner déjà à respirer fort la campagne, les friches et les forêts de la Comté, on peut se demander aussi si les tableaux de la nature, les portraits animaliers, si précis et réussis, ne révèlent pas chez l’écrivain une défiance envers le genre humain. Cette réflexion nous ramène à une autre vision du « bon peuple », des « braves gens » comme les chanta Brassens... sauf que les jours de Louis Pergaud ne peuvent que témoigner de vraies valeurs, celles reconnues par une conscience collective s’opposant à ce que la populace et le populisme transpirent de méchant et malfaisant.

C’est un peu court, en effet, quand l’anathème se justifie seulement en trois mots : « anticléricalisme », « non-conformisme », « antimilitarisme » !

A propos de l’anticléricalisme, nous nous devons de revenir sur l’état d’esprit des années 1900 et plus particulièrement autour de 1905, qui amena la République à s’émanciper de la tutelle religieuse. En gardant en tête le poids de l’Église jusque dans la seconde moitié du siècle passé, remontons au père de Louis. Instituteur de la nouvelle école laïque, en butte aux villageois qui ne tolèrent pas qu’on suive une autre route qu’eux, Elie Pergaud doit quitter le pays natal. Jusqu’à sa mort, en 1900, il aura a subir aussi une haute administration dans ce qu’elle a de malsain lorsque, convaincue de son infaillibilité, elle obéit aveuglément à la Loi tout en opposant une inertie au changement, dans une posture toujours plus conservatrice, sinon réactionnaire, que progressiste. Quant à Louis Pergaud, quelles qu’eussent été ses circonstances atténuantes, il démontrera la malhonnêteté qu’il y a à accuser un individu du conformisme sociétal. Ainsi, avec Le Sermon Difficile, une des nouvelles parues dans le recueil posthume Les Rustiques (1921) (3), l’auteur, qui ne voulait ni aller à la messe, ni enseigner le dogme catholique, livre, loin du cliché « laïcard » et « bouffeur de curé », le portrait attachant d’un prêtre rural, même s’il s’en démarque et ne met pas de majuscule à « son dieu ».

Quant au « non-conformisme », c’est vrai que Pergaud était parti à Paris avec Delphine, ce qui attisera alors un qu’en-dira-t-on plus permissif pour le maître culbutant la servante que pour l'homme quittant sa femme. Non-conformiste, Pergaud le fut, à peine sorti de l’adolescence, lorsqu’il contesta l’autoritarisme de monsieur Tronchon, le directeur de l’École Normale. Ce n’était pas raisonnable de contester l’abus de pouvoir dans une société régie par le rapport de forces... On le lui fit bien voir...

Enfin, concernant l’antimilitarisme, tout en laissant à chacun le soin de démêler entre patriotisme et nationalisme, sans perdre de vue que ce sont toujours les pauvres bougres qui y laissent la peau pour des embusqués préservés et surtout des industriels qui s’enrichissent, pour Pergaud, contentons-nous de rappeler une date, celle du 8 avril 1915 qui vit un citoyen pourtant foncièrement contre la guerre, se sacrifier, patriote. 

Je n’ai pas encore lu son Carnet de Guerre (4), seulement sa correspondance, les Lettres à Delphine (4) qui continua à lui écrire jusqu’en 18... Pergaud témoigne, avec pudeur, sensibilité, avec hauteur aussi et ses moments de rancœur restent aussi rares que mesurés.

Ah, j’oubliais, vers 1900, les rumeurs le disaient aussi « socialiste » ! Il en était, assurément, par conviction et idéal, sans l’afficher. Dans nos années 2000, au contraire, ceux qui s’affichent, par opportunisme et réalpolitique, ne le sont plus... et ce n’est pas une réputation qui leur est faite !

 

(1) Pages 14-18 forum http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/louis-pergaud-republique-sujet_5992_1.htm

(2) Du Vignoble à la Mer, magazine municipal http://fr.calameo.com/read/00186165894353cad09cb

(3) ouvrage disponible en intégralité sur http://www.ebooksgratuits.com/pdf/pergaud_rustiques.pdf

(4) Carnet de Guerre, Louis Pergaud / www.litteratureaudio.com/...audio.../pergaud-louis-lettres-de-guerre.html

 

photos autorisées 1 & 2 commons wikimedia. 3, 4 & 5 personnelles le monument à Landresse (Doubs) et vue du clocher comtois avec, au premier plan, l'école où il enseigna en 1906 et 1907. 



2 réactions


  • Richard Schneider Richard Schneider 10 avril 2015 16:08

    C’est toujours agréable de lire le portrait d’un « honnête homme », bon romancier et bon prosateur, aujourd’hui injustement oublié. Et pourtant, tout le monde se souvient du film de Robert, la Guerre des Boutons, mais peu savent que c’est d’abord une belle histoire franc-comtoise de gamins du début du XX°s.

    Pergaud fait partie de ces admirables « hussards noirs » - l’expression a été popularisée par Péguy - de l’École laïque.
    Encore un mot : « bravo » l’auteur : avec cet article rafraîchissant, on est loin de la tambouille politicarde qui, seule, semble intéresser les lecteurs de ce site.
    RS

  • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 10 avril 2015 17:09

    Bonjour Richard et merci de nous conforter dans l’idée qu’il faut prendre du recul sur son temps pour se ressourcer. Et puis Pergaud est de ces petites lumières qui ne s’éteignent pas.
    J’’avais anticipé sur le centenaire de sa mort.et suite à la parution de l’article, abondance de bien ne nuisant pas, j’en ai soumis un second plus littéraire. mais qui, même dans les extraits d’ouvrages n’a pas eu le feu vert... Ce sera pour plus tard, quand ceux qui préfèrent peut-être les atmosphères confinées seront convaincus des bienfaits du grand air... 


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