vendredi 31 mars 2017 - par C’est Nabum

Ma cour des miracles

Un monde interlope et disparate en souffrance.

Je vous écris souvent de ma cour des miracles, de ce lieu interlope et néanmoins miraculeux où chaque jour, deux cents repas sont servis à ceux qui n’ont rien. De tels lieux existent dans toutes les villes ; ils viennent suppléer un Etat défaillant, une société devenue égoïste et inhumaine, une économie qui ne vise désormais qu’à l’enrichissement de quelques-uns au détriment de tous les autres, un pouvoir qui ne pense plus qu’à maintenir les privilèges de sa caste sans plus jamais se soucier de solidarité et de générosité.

Dans ce contexte détestable, tous les éclopés de la vie se retrouvent au Samu social, aux restaurants du cœur ou bien dans un des innombrables Relais de l’espoir pour recevoir un peu de pain et de chaleur, tandis que les croquants et les croquantes, les gens bien intentionnés, tournent les talons et ferment leurs yeux et leurs cœurs. Ainsi va ce monde qui ne veut plus rien savoir de ceux qui sont restés sur le bord du chemin.

Dans ma cour des miracles, les laissés-pour-compte ne sont pas tous de gentilles victimes. Là aussi nous trouvons tous les défauts qui font la diversité de nos sociétés. Il y a les avides, ceux qui en veulent toujours plus, qui exigent et ne remercient jamais. Ils sont le pendant de nos profiteurs et prévaricateurs en costumes taillés sur mesure. De ceux-là, il n’est jamais à attendre un merci ; ils portent la haine dans les yeux.

Il y a les agressifs, ceux qui n’ont jamais accepté leur déclassement, leur descente aux enfers et le font payer à ceux qui leur tendent la main. Attitude humaine : ils trouvent une parcelle de dignité dans ce rejet de la fraternité. Ils s’enferment dans leur désespoir, se murent dans un silence de tourment et de désolation. Ils sont malheureux, sans pour autant se donner le réconfort d’un peu de chaleur humaine. Je les plains du fond du cœur et redoute de succomber au piège qu’ils me tendent.

Il y a les paumés, les exilés de toute la planète. Ils arrivent, ils sont en transit, ils ne comprennent plus rien. Ils découvrent bien vite que le rêve peut se faire cauchemar, que personne ne les attend ici et que tout, au contraire, est fait pour les repousser, les rejeter à la mer. Ils sont confrontés à un choc culturel, à des difficultés matérielles sans nom et s’accrochent comme ils le peuvent, les yeux dans le vide.

Il y a les marginaux, les décalés de la norme. Le plus souvent, ils ont accepté ou désiré cette vie. Ils accordent rarement leur confiance mais quand celle-ci est acquise, elle est chargée de sincérité et de chaleur. Ils se tiennent tranquilles, remercient, se montrent conformes pour ne surtout pas se faire remarquer. Ils ne sont ni vindicatifs ni agressifs, ils passent, le plus souvent, avant que de disparaître pour une autre destination.

Il y a encore, assez nombreux hélas, les déboutés du droit d’asile, les exilés de la misère, les refoulés de la guerre, les apatrides et les réfugiés politiques dans l’espoir illusoire d’une régularisation. Ils attendent à longueur de journée, ils se cachent des uniformes ; ils sont dans la recherche permanente d’un refuge pour la nuit. Ils sont la diaspora de la misère et de la cruauté des hommes. Ils ont bien du mal à accorder leur confiance : tant de fois elle a été trahie.

Il y a surtout les gueux, les malheureux, les fracassés de l’existence. De toutes petites retraites, des pensions de misère, des logements insalubres, ils se retrouvent là, au bout d’une vie à tirer le diable par la queue. Qu’ont-ils fait pour mériter ce déclassement, cette vie chiche et misérable ? Ils ont simplement tiré le mauvais numéro de la loterie de la vie et ont le malheur d’être nés dans une époque impitoyable aux miséreux.

Ils gardent leur dignité : ce bien le plus précieux pour eux. Ils avancent la tête haute, le regard franc et savent dire merci à ceux qui les considèrent comme leurs pareils. Ils savent qu’ailleurs, il y a des gens importants qui ne jugent les humains qu’à l’aune de leur compte en banque. De ceux-là, ils ne reçoivent que mépris et indifférence. C’est pourtant souvent sur leur compte qu’ils ont bâti leur confort et leur aisance.

Et pourtant, dans ma cour des miracles, il y a toujours des perles d’humanité, des trésors de générosité, des diamants d’intelligence et de sensibilité. Des êtres qui, en dépit de tout ce qui peut leur tomber sur la tête, gardent une lumière dans les yeux, un sourire merveilleux qui leur permet d’avancer toujours. Ils sont peut-être la lie de la société, les parasites dont ne cessent de parler nos brillants économistes, les profiteurs, les fainéants, les inutiles, les envahisseurs... Les mots ne manquent jamais pour nos joyeux stigmatiseurs, nos bonnes consciences de la haute, des beaux quartiers et des allées du pouvoir. Qu’ils viennent un peu dans ma cour des miracles s’ils en ont le courage ! Il y a des humains sur lesquels ils pourraient prendre modèle. Mais nos princes de Galles et des risettes en sont-ils encore capables ?

Humainement leur.



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