mercredi 27 août 2008 - par Daniel Roux

Dialogue social à la française

Ou comment faire échouer une négociation obligatoire.

Une négociation a eu lieu entre les syndicats de salariés et le Medef sur la pénibilité du travail, sur l’état de santé des salariés exposés et la prise en compte de ces conséquences sur la fin de carrière de ces derniers. Des négociations rendues obligatoires par la réforme Fillon d’août 2003 sur l’allongement de la durée des cotisations retraites.

Dix-sept réunions ont eu lieu entre le 23 février 2005 et le 16 juillet 2008 pour finalement aboutir à un échec. L’évolution des négociations pendant ces 41mois dévoile les conceptions des dirigeants d’entreprise adhérents du Medef sur ce qu’est une négociation et sur leurs responsabilités quant aux dégâts occasionnés par la pénibilité au travail sur les hommes et les femmes qui en sont les victimes.

La stratégie du Medef peut se résumer ainsi : trois pas en avant et trois pas en arrière.

Le 31 janvier 2006, après un an de négociations, le Medef avait accepté le principe d’une mise à la retraite anticipée des victimes des travaux pénibles. Restait à régler les modalités et notamment le financement de cette mesure.

Le 19 avril 2006, le Medef refusait que les employeurs financent seuls cette mesure et demandait un financement public.

Position paradoxale de la part d’un mouvement qui ne cesse de se plaindre du niveau élevé des prélèvements obligatoires. La présidente du Medef, Laurence Parisot, disait encore le 23 août 2008, à la veille de l’ouverture de l’université d’été du Medef, qu’elle attendait du gouvernement qu’il ne nuise pas aux entreprises françaises et leur redonne de l’air en baissant les impôts et les charges.

Et comme il n’est pas à un paradoxe près, il oublie également que les entreprises reçoivent plus de 100 milliards de subventions de toutes sortes sans pratiquement aucun contrôle. A titre de comparaison, elles ne versent que 46 milliards au titre de l’impôt sur les bénéfices.

Les syndicats des salariés ne pouvant évidemment pas s’engager à la place de l’Etat resté en retrait, les négociations seront suspendues pendant plusieurs mois jusqu’à ce que les syndicats des salariés dénoncent bruyamment l’absence de volonté d’aboutir du Medef et le désintérêt du gouvernement pour le problème de la pénibilité au travail.

En juin 2007, Laurence Parisot faisait une ouverture en acceptant que certains salariés proches de la retraite, exposés à une forte pénibilité au travail, puissent quitter leur fonction, une partie des charges étant assumée par l’entreprise qui les emploie. Ce mécanisme serait une réparation de la perte d’espérance de vie constatée, notamment pour les ouvriers qui cumulent plusieurs formes de pénibilité, telles que l’effort physique marqué, l’environnement de travail agressif et un rythme de travail en horaires décalés ou de nuit.

La multiplication des conditions à remplir a évidemment pour but de limiter le nombre de bénéficiaires.

D’après les chiffres donnés par le Centre d’études de l’emploi, les pourcentages des populations exposées, dont les victimes proviendraient, seraient les suivants :

- 15 % des salariés sont exposés à « au moins une pénibilité physique » sur une durée de travail d’au moins vingt heures par semaine ;

- 9 % des salariés travaillent entre minuit et 5 heures du matin ;

- 7 % sont exposés à des produits toxiques plus de deux heures par semaine.

Combien de victimes remplissent les trois conditions simultanément ? Très peu, mais encore trop semble-t-il car, le 6 février puis le 25 mars 2008, le Medef durcissait les conditions d’accès à un départ anticipé, il exigeait que les victimes :

- aient accompli quarante ans d’activité salariée, dont trente ans d’exposition aux facteurs de pénibilité suivants : port de charges lourdes, postures pénibles, travail répétitif, produits toxiques, températures extrêmes, poussières ou fumées, bruit intense, travail de nuit et horaires alternants ;

- aient cumulé pendant dix ans trois de ces facteurs ou plus ;

- présentent des traces durables, identifiables et irréversibles sur leur santé résultant des travaux pénibles qu’ils ont exercés ;

- ne remplissent pas les conditions pour liquider leur retraite à taux plein.

Bref que les victimes soient sur leur lit de mort.

Craignant sans doute que les syndicats des salariés finissent par accepter toutes les conditions, le Medef annula la réunion prévue pour le 21 avril 2008 pour, finalement, mettre fin aux négociations le 16 juillet 2008, sans même rédiger de texte précisant les points d’accord qui existaient et qui auraient pu servir de point de départ au législateur.

En pratique et soucieux d’une gestion efficace, les chefs d’entreprises continueront donc à se débarrasser en douceur et à moindre frais des salariés vieillissants, physiquement abîmés par l’exercice de leur profession au service de l’entreprise, « ce qui se pratique actuellement et qui consiste à mettre les salariés usés par la pénibilité en arrêt maladie, en invalidité, au chômage » comme le relève le rapport Poisson, nom du député chargé de la rédaction d’une étude sur le sujet.

La charge de réparer les préjudices subis par les victimes de la pénibilité est donc laissée à l’Unedic et l’Assurance maladie. Les charges qui devraient incomber aux entreprises sont à la charge des salariés. Une fois de plus les revenus de ces derniers sont réduits pour permettre aux actionnaires de toucher de plus gros dividendes.

Rappelons que le Code du travail stipule qu’un salarié est sous l’autorité et la responsabilité de son employeur et que ce dernier a une obligation de résultat en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il résulte de ce qui précède que le coût des réparations des accidents du travail et des maladies professionnelles déclarées et reconnues est à la charge exclusive de l’entreprise.

Ceux qui ne sont ni déclarées ni reconnues sont à la charge de l’Assurance maladie, et donc des salariés. Il s’agit de dizaines de milliers de victimes de maladies pernicieuses dues aux effets nocifs et parfois mortels des produits chimiques, poussières toxiques ou autres poisons.

Pourquoi cet échec ?


D’abord, un déni du chef de file de la délégation patronale, François-Xavier Clédat, PDG de Spie Batignolles, le 23 janvier 2008, qui donne une idée de l’état d’esprit du Medef. Ce personnage affirme qu’« Il n’y a pas de corrélation directe entre l’espérance de vie et la pénibilité ». Déclaration tellement cynique que même Xavier Bertrand, le ministre en charge de cette question, s’en est offusqué.

Ensuite, en renvoyant la balle au gouvernement Sarkozy, le Medef parie sur l’idée que ce dernier est plutôt du côté des riches actionnaires que des salariés et qu’il n’a rien à perdre. Tactique que confirme F.-X. Clédat lorsqu’il se félicite qu’un récent rapport du député Jean-Frédéric Poisson (Yvelines, UMP) arrive à « des conclusions très très proches de ce à quoi nous sommes arrivés ».

Il est remarquable que ce cynique personnage désigné par Florence Parisot soit le PDG d’un des plus gros groupes de bâtiments et travaux publics, logique puisque cette activité est la plus concernée par la pénibilité. Elle est aussi la moins exposée à la concurrence internationale, notamment à celle des pays à bas coûts sociaux.

Conclusion

Il s’agit bel et bien de poursuivre le transfert de charges des entreprises vers les salariés et plus généralement de la solidarité nationale afin d’augmenter le revenu des riches actionnaires aux dépens de la plus grande partie des Français.


Détails des négociations : http://www.dialogue-social.fr/rubrique.php3?id_rubrique=207

Article à lire : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=42359



13 réactions


  • tvargentine.com lerma 27 août 2008 13:15

    Vous ecrivez "Ou comment faire échouer une négociation obligatoire."

    Mais pouvez vous me dire ce que la gauche a fait depuis 1981 (dans le cadre du droit d’inventaire) pour résoudre ce problème ????????????????

    Au lieu de nous pondre un article de contestation stérile,vous auriez du analyser un problème qui n’a JAMAIS été pris en compte,à l’image d’ailleurs des travailleurs qui ont subi l’amiante

    Mais qu’a fait la gauche au pourvoir ????????????????????????????????????????????????


    • ze_katt 27 août 2008 13:23

      Et parce que la gache n’a rien fait ; il faut continuer à ne rien faire jusqu’à la fin des temps ? Le but du jeu c’est se montrer pire que le précédent ? 


  • pallas 27 août 2008 13:44

    la gauche n’a rien fait, et la droite suis sa logique, au moin la Droite n’est pas Hypocrite dans ses intentions, alors que la gauche c’est toujours dit etre pour les plus faibles, pour mieu les ecraser, et augmenter les impots, la Gauche est une vaste Hypocrisie, au moin la Droite n’est pas hypocrite, elle fais se qu’elle dit et ses inttentions sont clair. Je prefere avoir le diable en face de moi, dire qu’il fera le Mal, au lieu d’un ange qui dire qu’il fera mon bonheur et fera le programme du diable.


    • ash ash 27 août 2008 16:33

      Et par la même, cela nous exempterait-il de toute réaction ? Un doigt d’honneur, adressé dans ce cas sans le moindre bénéfice du doute, méritera que l’on s’y arrête en vue d’un rédempteur coup de poing sur le nez, non ?


  • tvargentine.com lerma 27 août 2008 14:23

    Vous etes tous invités à voter pour la diffusion de mon article jeudi,sur le RSA

    Oui,le Président à décidé de faire ce que les "marxistes-socialistes-bobos" n’ont jamais voulu faire :

    TAXER LE CAPITAL pour financer un outil social de réinsertion sociale


  • geko 27 août 2008 14:25

    « Il n’y a pas de corrélation directe entre l’espérance de vie et la pénibilité ». François-Xavier Clédat a du être conseillé par Monsento !


    • Daniel Roux Daniel R 27 août 2008 16:45

      Evidemment, nous n’avons pas entendu ni les médias officiels, ni les éditorialistes, ni le gouvernement hurlés contre la rigidité idéologique du Medef comme ils n’auraient pas manqué de le faire si les syndicats de salariés avaient fait échoué de cette façon une négociation importante.


  • xray 27 août 2008 16:36

    Dans notre monde actuel, la misère n’est pas quelque chose de spontanée. 

    Faire courir les fourmis humaines le plus vite possible, le plus dans tous les sens possible et le plus … inutilement possible. 


    HYPOCRISIE du SYSTÈME, L’emploi, et le chômage face à la productivité.
    http://mondehypocrite.midiblogs.com/files/L_emploi_et_le_chomage_face_a_la_ productivite..jpg 

    Un bon retraité du secteur privé est un retraité mort. 
    http://mondehypocrite510.hautetfort.com/ 




  • gilles gilles 28 août 2008 01:21

    vous avez une vision sympathique du monde de l’entreprise, mais sans doute partisane.
    Ce sont les entreprises et elles seules qui créent la richesse dans toute économie de libre entreprise.
     ce sont elles et elles seules qui paient les salaires des salariés mais aussi des fonctionnaires par les prélévements et les divers impôts retenus. (54% de prélévements en france contre 47% pour le reste de l’europe et même 45% en Allemagne)
    Mais c’est malheureusement la gauche qui depuis 1981 a débuté un recrutement massif de fonctionnaires (plus d’un million et demi depuis 1982), que le budget de l’état ne peut plus payer sans faire près de 25% de déficit chaque année.
     c’est encore la gauche fait unique dans les pays de l’OCDE qui a ouvert le capital dès 1982 de nos trop peu nombreuses grandes entreprises celles du CAC 40 avec aujourd’hui plus de 40 à 45% qui se retrouvent sous contrôle des fonds de pension US. ces mêmes grandes entreprises qui génèrent plus de 1500 milliards de chiffres d’affaires dégagent plus de 103 milliards d’euros de bénéfice en 2007, dont plus du tiers est utilisé à payer les retraites des salariés des USA ce qui se traduit par une perte séche de plus de 10% sur les salaires au profit des actionnaires qui malheureusement ne sont plus français.
    Ces grandes entreprises performantes au niveau mondial ont également délocalisé leurs sièges comme l’autorise la loi et de ce fait ne payent pratiquement plus d’impôts en france. 33% contre 6 à 9% ailleurs en europe.
    Le seul moteur de l’économie est et sera toujours l’entreprise et plus encore l’entrepreuneur.
    Nous assistons même depuis quelques temps déjà au départ non plus des entreprises mais de ceux qui potentielement seraient capables de créer des entreprises.
    Ces départs depuis 7 ou 8 ans se traduisent par un manque de plus de 300 à 500 000 emplois et pire encore un manque à gagner de plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année.
    Ne pas comprendre que seul le moteur d’une voiture fait avancer l’ensemble est curieux, continuons à taper sur le medef et les créateurs d’emplois, ils quittent de plus en plus la douvce france pour n’y revenir qu’en vacances comme les 80 millions de touristes chaque année et l’avenir des salariés comme celui de nos 5 millions et demi de fonctionnaires sera assuré alors par qui ?


    • flammekueche 28 août 2008 07:06

      aucun rapport avec le sujet de l’article.


    • Daniel Roux Daniel R 28 août 2008 08:57

      Le problème n’est pas là.

      Vous pouvez toujours vivre dans l’illusion que la société n’est constituée que d’entités juridiques, de richesses virtuelles et d’images télévisées. En tant qu’être humain, je vous invite à prendre en considération les conditions de travail de nombreux salariés qui ne demandent qu’à être traités équitablement et dignement.

      Etes vous d’accord sur le fait que l’entrepreneur est responsable des conditions de travail ?

      Trouvez vous convenable qu’il assume la réparation des conséquences physique de la pénibilité des travaux ?

      Approuvez vous le comportement des négociateurs du Medef ?

      Ce sont ces questions que vous pose cet article.



  • Eric eric 28 août 2008 12:04

    Il n’est pas contestable que la gauche, qui aurait été bien inspirée de faire de la pénibilité au travail un cheval de bataille sérieux et prioritaire, a, comme dans tant d’autres domaines, préféré se concenter sur ses querelles de clocher et ses autopsies obsessionnelles de la moindre des "flatulences sarkoziennes"...
    Car s’il est un combat de gauche légitime, c’est bien celui-ci. Surtout d’une gauche d’opposition atone et en mal de crédibilité.
    Son attentisme récurrent (voire son autisme)dans ce dossier de société majeur, laisse passer encore une fois une bonne occasion de défendre une cause sociale qui ne pouvait que susciter l’adhésion populaire et drainer une opinion publique lassée par une opposition politique incapable de canaliser les ardeurs du pouvoir en place.

    Que les responsables socialistes ne viennent donc pas se lamenter sur les outrances verbales et le cynisme nauséabond de M.Clédat.
    Car s’ils avaient fait preuve de la même réactivité pour soutenir les syndicats pendant ces trois ans de négos, que celle qu’ils déploient pour former des délégations d’affichage en tête des cortèges de grèvistes de la fonction publique, le MEDEF n’aurait peut-être pas eu les coudées aussi franches pour laisser ce genre de guignol imposer ses élucubrations de négrier et avoir le mot de la fin dans ce dossier.
    Bon papier, qui rejoint ce que j’avais évoqué fin juillet.


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