La crise en Europe : « Le canard est toujours vivant » par un discret sauvetage des banques...
Une chose est sûre, même si les dirigeants politiques de la zone euro parviennent à étouffer les problèmes économiques au cours de l’année 2011, ils reviendront en force dès 2012. Cette fois-ci, la crise ne sera pas seulement pour les dettes des Etats cigales (Grèce, Portugal et Irlande) mais pour les créanciers c’est-à-dire les banques…
En mai 2010, la crise est finie, la Grèce est sauvée par une ligne de crédit de 110 milliards € avancée par l’Europe pour 80 milliards € et par le FMI pour 30 milliards €…depuis la Grèce accélère le rythme des privatisations et décide 6 milliards € de coupes budgétaires - le rendement de ses obligations de 2 ans atteint 26% - et pour ajouter à la blessure, le gouvernement grec est réduit à juger insultant la demande européenne de garantir les prêts accordés par des îles ou des monuments.
Les sceptiques immoraux faisaient remarquer qu’ajouter de la dette à la dette n’est pas le meilleur moyen de les payer. Par contre, la Vérité officielle affirmait la capacité de la Grèce à payer le tout, même à hauteur de 150% du PIB !
Un an après, c’est le retour au début.
Sur les marchés, les investisseurs des compagnies d’assurance et des fonds de pension refusent absolument d’acheter des Bons du Trésor grec. Ils ont même essayé de se couvrir par des « contrats d’échanges de crédit » (C.D.S.) mais cela n’est plus possible car personne, à présent, n’accepte d’assurer la dette grecque.
Or, peu à peu, les emprunts grecs passés arrivent à échéance. Seules les avances du Fonds européen de stabilisation permettent de rembourser ces échéances. Il en résulte donc que les avances de ce Fonds iront au-delà de 110 milliards € et qu’elles devront, au moins en théorie, couvrir toute la dette publique grecque sur les marchés, c’est-à-dire plus de 250 milliards €.
Ce chiffre équivaut au total des garanties des Etats notés "AAA" pour les avances du Fonds européen de stabilisation.
En réalité, les échéances des emprunts grecs seront remboursées jusqu’à la fin 2011, par contre dès mars 2012, le Fonds européen de stabilisation devra prêter 30 milliards € au-delà des 110 milliards € prévus. Le total des besoins supplémentaires pour 2012 atteint 62 milliards €, ce chiffre sera renouvelé pour 2013.
Donc, ou l’Etat grec est insolvable, ou le Fonds européen de stabilisation lui paie toutes ses dettes !
La Grèce n’est pas seule : le Portugal reçoit des avances pour un montant de 75 milliards € dont 22,5 milliards € prêtés par le FMI et 52,5 milliards € par le Fonds européen de stabilisation.
Les Bons du Trésor portugais sont devenus sur les marchés de crédit par les institutionnels (assurances, fonds de pension) à peu près aussi populaires que les Bons du Trésor grec ou que DSK aux Etats-Unis ! L’Etat portugais ne peut plus se refinancer sur les marchés.
Enfin l’Irlande aussi ne peut plus placer ses Bons du Trésor sur les marchés. A vrai dire le problème irlandais, c’est son système bancaire, déjà financé à hauteur de 117 milliards € par des avances hebdomadaires de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de 70 milliards € par des avances de la Banque d’Irlande, financées d’ailleurs par la BCE !
Or, la BCE ne peut pas tirer le tapis sous la table sinon les assiettes de soupe descendent…
A ce jour, la recapitalisation des banques irlandaises n’excède pas 60 milliards € dont 35 milliards € apportés sur une avance de 85 milliards €. Cette avance est financée par le Fonds européen de stabilisation (50 milliards €), par le FMI (17,5 milliards €) et par le Fonds de pension des fonctionnaires irlandais (17,5 milliards €). Comment les retraites des fonctionnaires irlandais seront payées ? Personne n’a la réponse…
L’ensemble des crises financières de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande excède déjà, au moins dès 2013, voire dès 2012, les moyens du Fonds européen de stabilisation. Si l’Espagne est désertée sur les marchés, les capacités du Fonds européen ne suffisent plus.
L’actuelle réponse des dirigeants politiques de l’Eurozone est fort simple : gagner du temps. Après tout, comme l’affirmait Henri Queuille, président du Conseil sous la IVème République : « Il n'est aucun problème assez urgent en politique qu'une absence de décision ne puisse résoudre. » ou encore : « La politique n'est pas l'art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. »
En réalité, dans la crise financière en cours en Europe, un chien n’aboie pas : les banques créancières des trois Etats cigales (Grèce, Portugal et Irlande).
Selon les données de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), les banques allemandes ont accordées des crédits à hauteur de 193,3 milliards $ en Irlande, de 47,3 milliards $ au Portugal et de 43,2 milliards $ en Grèce.
Les banques françaises, elles, ont accordé 78,2 milliards $ en Irlande, de 35,5 milliards $ au Portugal et de 75,4 milliards $ en Grèce.
Certes, ces montants correspondent non seulement aux prêts accordés au secteur public mais aussi au secteur privé. L’ennui, c’est que dans ces trois Etats cigales le secteur privé n’est pas en meilleur état que le secteur public.
Le silence des banques permet donc de ne pas se poser de questions, il explique aussi la sollicitude des dirigeants allemands et français à l’égard des finances publiques des trois Etats cigales. Lorsqu’ils crient « Sauvons la Grèce, sauvons le Portugal et sauvons l’Irlande », c’est surtout un appel à sauver les créances dans ces trois pays qu'il faut traduire en réalité par « Sauvons les créanciers »…donc les banques.
Morad EL HATTAB & Irving SILVERSCHMIDT
Auteurs de La Vérité sur la crise (Ed. Léo Scheer)
P.S. : Lu dans une chronique de l’économiste Martin Wolf (Financial Times, 17 mai 2011) sur les difficultés futures de la zone euro après la chute de DSK : « Ce dont Nicolas Sarkozy est dépourvu au plus haut point : le poids intellectuel et la crédibilité auprès des politiques allemands. »