Le risque sismique concerne les deux tiers du territoire français
Cette information est passée relativement inaperçue. Car la population vit dans l’insouciance et se repose sur la seule qualité de la connaissance scientifique. Etude pratique dans l’Isère, un jour d’hiver...
Le Nouvel Observateur annonce en ce début du mois de novembre une réévaluation du risque sismique en France. De façon un peu expéditive, le journal signale que le gouvernement a publié deux décrets le 24 octobre, accompagnés d’une carte élargissant les précédentes zones dites sensibles. Le reste des médias se désintéressent visiblement de la question. Or celle-ci concerne tout-un-chacun. Dans toute transaction immobilière, l’état des risques naturels et technologiques s’impose en effet au vendeur. Toutes les communes françaises rentreront à partir du mois de mai 2011 dans une classification allant de 1 (risque très faible) à 5 (risque fort).
Rien n’indique dans l’article du Nouvel Observateur sur quels critères se baseront les évaluations, ni la différence entre faible (2), modéré (3) et moyen (4). Qu’il faille éviter une émotion inutile est une chose, mais le flou provoque la perplexité. En métropole - hors Antilles et Réunion sous haute surveillance - on a classé dix-neuf départements (en partie ou en totalité) en zone 4 ou moyenne [1]. Seuls les deux bassins sédimentaires parisien et aquitain échapperaient à tout risque sismique. Je me permets l’utilisation du conditionnel, compte tenu de l’expérience. Au beau milieu du bassin parisien, le Beauvaisis a tremblé une dizaine de fois entre avril et mai 1756 [Grégory Quenet / Les tremblements de terre aux XVII et XVIIIèmes siècles]. Le même phénomène a frappé Bordeaux en août 1759 [Gregory Quenet].
L’identité de la France tient donc aussi à sa géomorphologie et à l’âge de ses failles. Pour les plus anciennes, dans la partie nord du massif Armoricain, ces dernières remontent à l’orogenèse cadomienne, autant dire à la plus vieille orogenèse réellement évaluable (de - 650 millions d’années à - 550 millions d’années) [source]. Caen (Cadomus en latin) lui a donné son nom. Même si le Calvados apparaît sur la carte officielle entre le risque très faible et le risque faible, Caen a connu plusieurs tremblements de terre importants, le plus notable datant du 30 décembre 1775. Un ecclésiastique raconte la scène, dans une lettre adressée au début du mois de janvier de l’année suivante au maréchal de Harcourt :
« Toutes les maisons de la ville ont été violemment agitées ; cependant les unes plus que les autres. Les têtes de plusieurs cheminées ont été renversées. […] La couverture d’un grenier de la Collégiale a été fort endommagée du côté du midi. La commotion a été encore plus sensible du côté de l’abbaye de Saint-Etienne, plusieurs murs, quoique très forts, sont lézardés. J’ai vu des pierres de 500 livres détachées du haut d’anciens murs et jettées par terre. Une pierre, détachée de l’église Notre-Dame est tombée sur la tête d’une femme et sur le bras qui s’est cassé. Elle a été trépanée ; on espère qu’elle n’en mourra pas. »
De l’orogenèse hercynienne, il demeure également de nombreuses failles plus ou moins actives. Ainsi, dans la partie méridionale de la presqu’île bretonne, les failles parallèles au littoral (Ouest-nord-ouest / Est-sud-est) semblent aussi dangereuses que dans la partie orientale du massif. La carte officielle distingue pourtant les deux départements de la région Pays-de-Loire (Loire-Atlantique et Vendée) classés en risque modéré (3), des deux départements bretons (Morbihan et Finistère), eux classés en risque faible (2). L’Atlas de France - Milieux et ressources (La Documentation Française - 1995) retient pourtant plusieurs tremblements de terre majeurs dans les temps historiques, dont celui de 1286 en pays vannetais [source]. Il faut également citer le sillon houiller qui traverse la France du sud au nord, surtout étudié dans le Massif Central, parce que le socle affleure. Mais au sud, il se prolonge sous le bassin aquitain - correspondant au tracé de la vallée de la Garonne au sud de Toulouse - et sous le bassin parisien [carte]. Avec la formation des Pyrénées et des Alpes au cours de l’ère Tertiaire, la menace d’un tremblement de terre majeur a bien sûr augmenté. La jeunesse des massifs montagneux le rappelle.
Je n’ai aucunement l’intention de remplacer ici le travail des spécialistes du Bureau Central de Sismologie Française (BCSF). Le problème du risque sismique ne se pose pas en terme de connaissance scientifique. Le BCSF s’appuie visiblement sur l’étude des phénomènes en cours, davantage (me semble-t-il) que sur la prise en compte des phénomènes antérieurs au XXème siècle. Il en résulte que dans le département des Bouches-du-Rhône, le site de la préfecture consacré au sujet mentionne le séisme de Lambesc (11 juin 1909) mais non ceux de Manosque du 13 décembre 1509 et du 14 août 1708. Dans l’Atlas de la France précédemment cité, le premier tremblement de terre qui a ravagé la bourgade provençale arrive néanmoins en cinquième position, sur la liste des plus grands séismes connus (> VIII sur l’échelle MSK), derrière Bâle (1356), Catalogne (1428), Riom (1490) et Alpes-Maritimes (1494). Evidemment, Manosque se trouve dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, à quelques kilomètres des Bouches-du-Rhône.
On passe assez vite de la localisation vague à la prescription très orientée en direction de l‘industrie chargée d‘appliquer les nouvelles normes de construction. Le Moniteur livre ainsi une version largement commentée des deux décrets gouvernementaux. On peut lire la double justification d’une modification du zonage. Les sismologues prennent désormais en considération la structure des couches superficielles du sous-sol, ainsi que les sols qui les recouvrent (effets de site). Ils ont en outre abandonné une approche déterministe - dans tel endroit, telle chose s’est produite - au profit d’une approche probabiliste. Ainsi, ils se posent la question de la périodicité d’un séisme. Le prochain événement compte évidemment davantage que celui qui a eu lieu dans un passé révolu. Bizarrement, la seconde approche devrait conduire à ne négliger aucune partie du territoire, au lieu d’établir des distinguos subtils. Et les zones montagneuses déshumanisées (Alpes et Pyrénées) comptent moins que les régions à forte pression immobilière [Salade niçoise, sauce citron].
Je conviens de l’utilité de normes de construction, mais je constate surtout que le législateur bute sur la réalité du bâti en France. Celui-ci existe déjà. Nul ne souhaiterait le reconstruire. La question déborde d’ailleurs celle du patrimoine. Le Moniteur précise qu’en cas de travaux chez un particulier, ceux-ci ne « doivent pas aggraver la vulnérabilité au séisme. » Seuls les propriétaires cherchant à augmenter la surface habitable de leur domicile doivent respecter des contraintes bien précises. Pour les autres, c’est-à-dire pour l’ensemble des populations concernées par le nouveau zonage (voir liste), rien ne change vraiment. En région Rhône-Alpes, plusieurs arcs sismiques fonctionnent simultanément (voir cette vidéo). Il me semble en réalité plus pertinent de questionner la capacité de réaction des services spécialisés en cas de catastrophe. Dans le cas de l’agglomération grenobloise, par exemple, 400.000 personnes vivent avec cette menace [source].
En temps normal, le département de l’Isère regroupe sept-cents pompiers professionnels (pour un peu plus de quatre mille volontaires). Ceux-ci interviennent exceptionnellement en cas d’incendie, mais le plus souvent sur d’autres missions (assistance, accident de la route, etc.). Cet effectif semble à peine suffire pour les besoins [source]. La Sécurité Civile du département festoie à l’arrivée de trois nouveaux moniteurs [source]. Le nombre de policiers diminue, y compris après des échauffourées dans des quartiers dits sensibles [source]. Celui des gendarmes ne bouge pas (?), mais une assistante sociale arrive heureusement à la rescousse [source]. Du côté des militaires, le 3ème Régiment d’Artillerie a été dissout en 1993, le 140ème Régiment d’Infanterie en 1998, et le 4ème Régiment du Génie en 1999. Il reste bien le 93ème Régiment d’Artillerie de Montagne à Vars, mais ses batteries servent en opération extérieure. En cas de dévastation de l’agglomération grenobloise, les hôpitaux accueilleraient (-ont) sans doute les blessés. Il y a visiblement une situation de sous-effectif [source] qui ne laisse rien présager de bon en cas d’afflux. Laissons de côté la pire des configurations, une catastrophe un jour d’embouteillage pour cause de transhumance vers les stations de ski, pendant les vacances de février [vidéo]. Un jour d’Isère, au milieu de l’hiver.Mais tout s‘arrangera, qui en doute ? Des moyens dépêchés d’autres régions du territoire viendraient (-ont) en cas de besoin suppléer les éventuelles insuffisances des personnels en charge de la sécurité des citoyens grenoblois. Vivent les cartes et à bas le déterminisme ! Le risque est maintenant réévalué.
PS./ Dernier article sur le risque sismique : Certaines catastrophes prennent corps en silence… (Du séisme de L’Aquila, et des risques naturels en France)
- [1] Ain, Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Ariège, Bouches-du-Rhône, Doubs, Drôme, Haute-Garonne, Isère, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Haut-Rhin, Savoie, Haute-Savoie, Var, Vaucluse et Territoire de Belfort. [Nouvel Observateur]
Incrustation : Institut des Risques Majeurs en Rhône-Alpes