Harlem Désir : "une certaine naïveté" face au Grand Marché Transatlantique
Les interventions publiques de nos responsables politiques sur le projet de Grand Marché Transatlantique sont rares. Harlem Désir, aujourd’hui numéro un du Parti socialiste (et donc présidentiable en puissance), s’était exprimé sur le sujet le 21 octobre 2009 au Parlement européen.
A cette époque, il met en garde ses collègues députés contre une certaine "naïveté" face à ce projet qui doit nous lier de manière toujours plus intime aux Etats-Unis d’Amérique :
"Je dois dire qu’il y a une certaine confusion dans l’attitude européenne, et parfois même une certaine naïveté, y compris au sein de ce Parlement, et certains dangers, dans la façon dont est abordée l’idée du Grand Marché Transatlantique, cette vieille lubie de sir Leon Brittan lorsqu’il était commissaire. [...] Nous ne devons pas subordonner notre propre modèle intérieur - modèle de société, modèle environnemental, modèle de développement - à l’amélioration des relations économiques, comme si elles étaient un but en soi. Nous devons être capables de combiner les deux, et nous devons ne pas dissoudre notre autonomie politique dans la recherche d’un partenariat qui, lui, est un objectif louable en lui-même."
Des paroles pleines de bon sens... qui rappellent étrangement celles prononcées le 26 juillet 1995 par Christine Chauvet, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur dans le gouvernement Juppé, qui avait ainsi justifié l’opposition de la France à ce projet de Grand Marché Transatlantique, défendu par l’administration américaine : « Ne soyons pas naïfs [...] cette initiative de libre-échange transatlantique est un des aspects de l’offensive commerciale américaine. »
Seulement voilà, en début de semaine, nous apprenions que l’Union européenne avait levé les restrictions qu’elle faisait peser jusque-là sur l’importation de plusieurs viandes américaines, "une décision constituant le premier pas vers un accord de libre-échange qui concernerait près de la moitié de la production mondiale." Mercredi, à Washington, la rencontre du commissaire européen au commerce Karel de Gucht et de son homologue américain Ron Kirk a permis de réaliser de "bons progrès" au sujet d’un tel accord. Karel de Gucht avait estimé en novembre dernier qu’il devrait porter sur l’élimination des droits de douanes, la libéralisation des services, l’accès aux marchés publics, la réglementation, les règles de concurrence, l’environnement et la propriété intellectuelle.
N’est-on pas là précisément en train de "subordonner notre modèle intérieur" (avec toutes ses normes) "à l’amélioration des relations économiques", comme le craignait Harlem Désir ? L’interdiction des importations de porcs vivants et de viande de boeuf lavée dans l’acide lactique était justifiée, jusqu’à ces derniers jours, par des objections de l’UE sur les conditions d’élevage et d’hygiène dans la production de viande aux Etats-Unis. Mais le problème a semble-t-il disparu... La Commission européenne a l’espoir d’une hausse de 0,5% du PIB européen. Quant à Harlem Désir, on attend fébrilement sa prise de position sur l’accord de libre-échange euro-américain en train de se mettre en place... lorsqu’il aura traité d’autres sujets apparemment prioritaires pour lui : le mariage gay, le droit de vote des étrangers aux élections locales, et le lancement des "ateliers du changement".
Jean-Luc Mélenchon a aussi le droit de se manifester... qui, en mai 2009, nous mettait en garde contre tous les dangers du Grand Marché Transatlantique. Dommage qu’il n’ait pas tenu ces propos sur TF1, France 2, Canal Plus... et de façon répétée. Cette vidéo pédagogique, publiée sur le compte Dailymotion du Parti de Gauche, a été vue 3500 fois...
"Un jour les gens vont s’en rendre compte..." (JL Mélenchon, BFM TV, 21 avril 2009) Et l’on retarde ce jour autant qu’on peut.
Mélenchon publie certes parfois sur son site des informations sur ce sujet, comme ici ou là, et il nous renvoyait même, le 24 octobre 2012, vers une "Plateforme contre le transatlantisme" qu’il disait avoir lancée "il y a 2 ans déjà avec plusieurs personnalités". On y trouve notamment une liste d’articles bien documentés sur ce thème. L’ennui, c’est qu’hormis les habitués de son site, personne n’en a jamais entendu parler. Le mystère demeure donc : pourquoi des responsables politiques apparemment hostiles à ce projet (Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan, toute l’extrême gauche, et même une partie du PS... je laisse de côté Asselineau qui n’a pas accès aux grands médias), ne l’évoquent-ils jamais dans leurs innombrables passages télévisés ou radio ?
Mélenchon écrit : "Le sujet est vaste et peu connu. Les grands médias ne se font en effet jamais l’écho des avancées vers cette "zone de libre échange +" de ce "grand marché intégré" qu’on nous prépare depuis des années dans le plus grand secret et que nous sommes peu nombreux à dénoncer." Mais n’est-ce pas facile de dénoncer ici les médias ? Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan, Besancenot... et même Harlem Désir qui semblait si circonspect, ne passent-ils pas leur temps dans les médias ? Ils y sont invités plusieurs fois chaque semaine. Qui les empêche de parler de ce sujet, qui semble être à ce point important ? Les journalistes les bâillonnent-ils ? Certainement pas. Les forts en gueule précédemment cités ont le pouvoir de parler de ce qu’ils veulent, d’imposer leurs sujets. Ils sont donc les premiers responsables de ce silence, qu’ils viennent ensuite parfois dénoncer sur Internet.
Le 29 mai 2011 sur Méridien Zéro, Pierre Hillard, précurseur sur ce sujet du GMT, a reconnu (à son grand dam, lui le catholique convaincu) que Jean-Luc Mélenchon était le seul homme politique à l’avoir évoqué dans les médias, et prétend même que son intervention chez Bourdin faisait directement suite à la réception d’un de ses livres : La marche irrésistible du nouvel ordre mondial. Mélenchon aurait découvert le GMT après que l’éditeur de Pierre Hillard lui a envoyé son livre, ainsi qu’à divers hommes politiques de gauche et de droite. Hillard affirme avoir directement informé Marine Le Pen et Bruno Gollnish (plus proches de ses idées) sur le GMT, mais déplore qu’ils n’en aient jamais parlé (écouter la vidéo ci-dessous à partir de la 31e minute).
Le Grand Marché Transatlantique est censé permettre à l’Europe et aux Etats-Unis de résister à la Chine et de conserver le leadership mondial. Alors comment analyser la récente prédiction de la CIA sur l’état du monde en 2030, qui nous décrit une Chine dominante, des Etats-Unis encore dans le coup (qui pourraient devenir le premier producteur mondial de pétrole), mais une Europe quasiment inexistante ? En 2030, "l‘ère de la Chine forte se confirme. La CIA décrit l’Empire du Milieu comme la locomotive d’une Asie triomphante, plus puissante que les Etats-Unis et l’Europe réunis, en termes de populations, de PIB, de dépenses militaires et d’investissement technologique." Commentant ce rapport, et le très peu de place accordée à l’Europe, le journaliste Stéphane Marchand, ex-directeur adjoint du Figaro, déclare : "Ce qui est très intéressant dans ce rapport, c’est ce dont ils parlent très peu. Et ce dont ils parlent très peu, c’est de l’Afrique et de l’Europe. Manifestement pour les Américains – et d’ailleurs le comportement de l’administration Obama depuis quelques temps le décrit très bien – pour les Américains, l’Europe n’est pas une zone importante. Leur diagnostic, c’est que l’Europe ne va pas compter sur le plan géopolitique. Et en plus sur le plan économique, son intégration est menacée… Et la Zone euro, effectivement, l’hypothèse de l‘éclatement de la Zone euro est évoquée à plusieurs reprises dans le rapport."
Finissons en citant quelques extraits de trois des articles référencés sur la "plateforme contre le transatlantisme", dont il faut noter qu’ils datent tous de 2009 et 2010, et reprennent des éléments déjà dévoilés plusieurs années auparavant par Pierre Hillard :
"Le constat est limpide : là où le pouvoir politique ne leur tient pas tête, les sociétés multinationales imposent leurs dictats."
"Le premier objectif, fixé dès 1994, est de créer un marché commun et concurrentiel entre les USA et l’UE. Présenté comme une nécessité par le TPN, ce marché transatlantique va permettre aux plus grandes sociétés américaines et européennes de croître davantage. De cette manière, elles espèrent faire face à la concurrence de leurs homologues issus de pays émergents, phagocyter de plus petites sociétés (fusion, achat, sous-traitance), et gagner davantage de pouvoir d’influence sur les États.
Une fois atteint le marché transatlantique, le second objectif sera d’étendre ses règles de fonctionnement à l’échelle mondiale. Ensemble, les marchés européens et américains représentent environ 60 % du commerce mondial. Le TPN compte sur cet avantage quantitatif pour imposer (via la gouvernance transatlantique) des normes de fonctionnement uniformes sur toute la planète."
"Sous couvert d’instaurer un « libre marché » (un mot que nous avons qualifié de trompeur), il s’agit concrètement de renforcer à tous niveaux la liberté qu’auront les grandes entreprises de circonscrire la liberté de tout un chacun".
"Faite au nom de la mondialisation heureuse, l’Union transatlantique transforme le monde selon les besoins de multinationales qui cherchent à renforcer leur mainmise sur tous les aspects de notre vie."
"A nous, citoyens, militants associatifs, syndicalistes, écologistes, de renverser la vapeur. Demain dépend de ce que nous ferons aujourd’hui. Et il est temps de se mobiliser. Car, faute de résistances collectives, ce ne sont pas seulement nos conditions de vie qui sont en danger, c’est aussi (et surtout) la démocratie."
"Loin de n’être qu’une logique économique, le marché transatlantique nous pousse vers une rupture anthropologique, vers un changement radical dans la manière de nouer des relations humaines. Coincée entre le retour d’une organisation du travail oppressante et la peur grandissante de perdre sa place, notre relation à l’autre sera de moins en moins considérée sous l’angle de la richesse et de l’échange, et de plus en plus sous l’angle de l’utilité que l’autre peut procurer à notre statut dans la société. Dans cette rivalité perpétuelle sans plus d’objectifs communs pour nous guider, « l’autre » deviendra un danger permanent."
"La grande discrétion dans la construction des accords et l’accent ultralibéral de ceux-ci relèvent d’un déni démocratique et d’un abandon de l’outil politique, au profit d’une logique commerciale et financière sans relation avec les intérêts des citoyens ordinaires mais privilégiant ceux des multinationales."
"Si les accords transatlantiques devaient se concrétiser, l’Europe de demain ressemblerait encore davantage à une énorme société anonyme où le rôle des gouvernements se borne à faire la police, que ce soit pour réprimer les infractions aux lois du marché, ou pour garantir la bonne circulation des investissements, biens et services. Quant aux véritables décisions, elles seront de plus en plus le fait de multinationales privées, n’ayant de comptes à rendre qu’à leurs seuls actionnaires - lesquels investissent pour gagner de l’argent, et non pour préserver l’éthique, le social ou garantir une quelconque forme de bonheur humain."
"Ces accords ne sont pas un aboutissement, ils ne sont qu’une première étape. L’objectif des deux puissances est de créer, probablement avec l’appui du Canada et du Mexique, une zone de libre-échange de plus en plus large. Et il est probable que l’objectif final des grands groupes privés est de voir un jour naître un seul et unique « marché mondial », érigé sous la forme d’une « gouvernance universelle » où le pouvoir de décision leur appartiendrait."
Tags : Europe Construction Européenne Economie Politique Etats-Unis Information et Médias Démocratie International Jean-Luc Mélenchon Harlem Désir Grand Marché Transatlantique
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