mercredi 3 juin 2015 - par Sylvain Rakotoarison

La Cour européenne des droits de l’Homme

« Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je me sens Français, plus je me sens humain. » (René Cassin).



Depuis plusieurs années, la Cour européenne des droits de l’Homme fait régulièrement parler d’elle dans les actualités françaises. Encore récemment, elle a pris des décisions contre l’État français à propos des enfants nés à l’étranger par GPA (gestation pour le compte d’autrui) interdite en France. Elle donnera également un avis particulièrement marquant le 5 juin prochain sur la malheureuse situation de Vincent Lambert (j’y reviendrai).

L’irruption de la Cour européenne des droits de l’Homme dans la justice nationale n’est évidemment pas une atteinte à la souveraine nationale. Elle est au contraire une protection supplémentaire aux droits des citoyens. Une échelon supplémentaire dans l’architecture judiciaire sophistiquée qui protège les droits fondamentaux du citoyens.


Une émanation du Conseil de l’Europe

Il faut d’abord rappeler aux europhobes que la Cour européenne des droits de l’Homme n’est pas une émanation de l’Union Européenne, mais du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe, créé par le Traité de Londres du 5 mai 1949, regroupe aujourd’hui la quasi-totalité des pays du continent européen, ceux de l’Union Européenne, mais aussi les autres, comme la Russie (membre depuis le 28 février 1996), l’Ukraine (membre depuis le 9 novembre 1995), la Moldavie (membre depuis le 13 juillet 1995), et même la Turquie (membre depuis le 9 août 1949). Seuls trois pays européens, la Biélorussie (candidate depuis le 12 mars 1993), le Kosovo (candidat) et le Vatican (observateur depuis le 7 mars 1970) ne sont pas membres du Conseil de l’Europe et cela va même au-delà du continent européen puisque le Kazakhstan est candidat à l’adhésion et le Mexique, le Japon, le Canada et les États-Unis sont des pays observateurs depuis la fin des années 1990, et même la Palestine, Israël, le Kirghizstan et le Maroc sont également des pays observateurs. En tout, quarante-sept États en sont membres à part entière, rassemblant une population de huit cent millions de personnes.

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Pour qu’un pays puisse être membre du Conseil de l’Europe, il faut que ses institutions soient basées sur l’État de droit, soient démocratiques et libres, et enfin, qu’il ratifie et respecte la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne des droits de l’Homme a donc pour objectif de vérifier, si des citoyens viennent à le lui demander, que les États membres respectent bien cette Convention et les droits rattachés à celle-ci au profit des citoyens.


Mode d’emploi de la CEDH

Concrètement, les affaires dont est saisie la Cour européenne des droits de l’Homme sont les conflits entre les citoyens d’un pays et l’État de ce même pays, qui n’aurait pas respecté (ou si) la Convention européenne des droits de l’Homme. Deux langues de travail ont été définies : l'anglais et le français.

Il convient donc de bien différencier cette Cour européenne de la Cour de justice de l’Union Européenne siégeant à Luxembourg, créée le 23 juillet 1952 (avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) et chargée actuellement de régler les conflits concernant l’Union Européenne, ainsi que de la Cour internationale de justice siégeant à La Haye et qui, elle, émane de l’article 92 de la Charte des Nations Unies (ONU) adoptée par la Conférence de San Francisco le 26 juin 1945 dont le but est de régler les conflits juridiques entre les différents États de l’ONU.

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La Cour européenne des droits de l’Homme a tenu sa première session du 23 au 28 février 1959 à Strasbourg où elle siège et son premier arrêt a été rendu le 14 novembre 1960 (concernant l’Irlande). En tout, la Cour a rendu plus de douze mille arrêts en cinquante-cinq ans, ce qui a conduit certains pays à modifier (améliorer) leur législation pour être compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme. Ses décisions ont donc une des conséquences importantes et confortent l’État de droit au sein des quarante-sept pays signataires.


Composition


Chaque État propose une personnalité pour siéger à la Cour, en fait, une liste de trois noms et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en élit un. L’attribution des sièges de juge est particulièrement contraignante, nécessitant de hautes compétences pour remplir la mission, et le juge une fois confirmé (il est élu après audition auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) n’est pas censé représenté l’État dont il vient.

L’actuel juge français s’appelle André Potocki (64 ans), ancien vice-président du tribunal de grande instance de Paris en 1990 et ancien président de la chambre commerciale de la Cour de cassation de 2005 à 2011. Il a été élu le 21 juin 2011 et est entré en fonction le 4 novembre 2011 pour un mandat de neuf ans non renouvelable. À l’origine, Nicolas Sarkozy avait voulu y envoyer Michel Hunault, député de Loire-Atlantique de 1993 à 2012, dont les compétences juridiques avaient été jugées trop faibles par la sous-commission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui avait demandé à la France de lui reproposer une nouvelle liste de trois noms sans la présence de Michel Hunault (ce fut un véritable camouflet pour l’Élysée qui avait voulu "libérer" la circonscription à un proche du Président de la République, mais en 2012, la circonscription a finalement été conquise par la gauche).

Le premier Président de la Cour européenne des droits de l’Homme fut le Français René Cassin (1887-1976), professeur agrégé de droit, résistant condamné à mort par le régime de Vichy, Vice-Président du Conseil d’État de 1944 à 1960, président de l’ENA de 1946 à 1960, Président du Conseil Constitutionnel provisoire en 1958 puis membre permanent de cette instance du 11 juillet 1960 au 2 mars 1971. Diplomate, cofondateur de l’UNESCO, il fut le représentant de la France à l’ONU de 1946 à 1958, membre de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU et à ce titre, il participa à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme proclamée le 10 décembre 1948 (résolution 217 de l’Assemblée générale des Nations Unies). Enfin, il présida la Cour européenne des droits de l’Homme de 1965 à 1968. Il fut Croix de guerre 1914-1918 et Compagnon de la Libération. Son existence fut doublement honorée avec le Prix Nobel de la Paix en 1968 et le transfert de ses cendres au Panthéon le 5 octobre 1987 (le premier transfert depuis Jean Moulin en 1964). De très nombreux collèges et lycées portent son nom, en France mais aussi à l’étranger comme les Lycées René-Cassin à Fianarantsoa, grande ville universitaire de Madagascar, à Oslo et à Jérusalem.

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Un autre Français présida également la Cour, Jean-Paul Costa (73 ans), le prédécesseur d’André Potocki, énarque au Conseil d’État, directeur de cabinet du Ministre de l’Éducation nationale de 1981 à 1984, juge à la Cour du 1er novembre 1998 au 4 novembre 2011 et élu à la Présidence de la Cour le 29 novembre 2006 et réélu le 15 novembre 2009 pour un mandat allant du 19 janvier 2007 au 4 novembre 2011 (démissionnaire à cause de la limite d’âge de 70 ans).

L’actuel Président est le Luxembourgeois Dean Spielmann (52 ans), avocat, enseignant le droit pénal à Louvain, Luxembourg et Nancy (de 1997 à 2008). Il est juge à la Cour depuis 24 juin 2004 et a été élu à sa Présidence en octobre 2012 ; son mandat s’achèvera le 31 octobre 2015.


Des droits fondamentaux protégés pour tous

Le point de référence de la Cour repose entièrement sur la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés, plus courtement appelée Convention européenne des droits de l’Homme signée le 4 novembre 1950 à Rome et entrant en application le 3 septembre 1953. La France n’a ratifié la Convention qu’en 1974 et n’a permis à ses résidents de saisir la Cour qu’en 1981. Cela signifie qu’il n’est même pas nécessaire d’être citoyen européen pour saisir la Cour.

Le texte comporte cinquante-neuf articles et actuellement, quinze protocoles (rajoutés par la suite) ont été adjoints dont les deux derniers non appliqués encore (ceux du 24 juin 2013 et du 2 octobre 2013).

Parmi les articles plus importants, l’article 2 proclame le droit à la vie : « Le droit de toute personne à la vie est protégée par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. » (à l’époque de sa rédaction, la peine de mort était encore "autorisée").

Et justement, parmi les protocoles les plus importants, le Protocole n°6 (signé le 28 avril 1983 à Strasbourg) qui interdit la peine de mort en période de paix et le Protocole n°13 (signé le 3 mai 2002 à Vilnius) qui interdit la peine de mort aussi en période de guerre. L’abolition de la peine de mort a juridiquement en France non seulement une valeur constitutionnelle mais aussi la valeur d’un Traité international.


Des dizaines de milliers de requêtes chaque année

La Cour est de plus en plus saisie de requêtes au fil du temps. Pour être recevable, une requête doit être formulée seulement après l’épuisement de toutes les voies de recours nationales (article 35 de la Convention qui assure le principe de subsidiarité). N’importe qui peut saisir la Cour, même des étrangers aux États contractants mais seulement dans les cas où c’est un État contractant qui est accusé de ne pas avoir respecté la Convention.

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En 2014, la Cour a été saisie de 56 250 requêtes, certes, en baisse par rapport aux 65 800 requêtes de 2013, mais dans un mouvement général de croissance : 35 000 requêtes en 2002, 5 000 requêtes en 1990. En 2011, les États les plus souvent condamnés furent la Turquie (159 condamnations), la Russie (121), l’Ukraine (105) et la Grèce (69). Pour les dix dernières années, la Turquie et la Russie ont été parmi les plus souvent condamnés, mais la France, entre autres, est également régulièrement condamnée (en 2004, 59 condamnations ; en 2011, 23 condamnations ; soit un total de plus de 600 depuis le début de l’activité de la Cour).

Parmi les décisions les plus marquantes, celles du 10 février 1995 et du 7 août 1996 concernant le respect de la présomption d’innocence (article 6 de la Convention) qui a condamné la France car Michel Poniatowski, Ministre de l’Intérieur, avait mis en cause publiquement une personne considérée comme l’auteur de l’assassinat de l’ancien ministre Jean de Broglie (assassiné le 24 décembre 1976) mais qui fut finalement mise hors de cause par la justice française (bien plus tard).


Affiner les règles juridiques

La condamnation de la France sur ce cas était évidente (la victime a reçu de l’État français une indemnité de deux millions de francs en dédommagement) mais parfois, il y a des situations plus ambiguës. Ainsi, la décision du 24 novembre 1994 a condamné la France toujours en raison de l’article 6 de la Convention, sur l’obligation de l’indépendance des tribunaux nationaux. Or, un tribunal français, au lieu de faire lui-même l’interprétation d’un accord international, avait adopté l’interprétation du Ministre des Affaires étrangères. C’est pour cette raison que la France fut condamnée pour une autre requête.

L’une des plus récentes décisions de la Cour qui fut très médiatisée fut celle du 26 juin 2014 qui a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention à cause du refus par la France de reconnaître la filiation entre un enfant conçu par GPA et ses parents reconnus dans le pays de naissance, en estimant : « Cette contradiction porte atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française. ». Une décision qui ne se place pas dans le champ de la morale ni de la souveraineté, reconnaissant à la France le droit d’interdire la GPA, mais qui pourrait encourager la GPA de couples français en éliminant le principal obstacle, celui de la reconnaissance juridique de la filiation. (On voit à quel point il y a nécessité de concevoir des règles supranationales pour éviter ce genre de contradiction).

En France, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence a même créé au sein de la Cour de cassation une instance spéciale, la Commission de réexamen d’une décision pénales consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme composée de sept juges : « C’est une voie de recours extraordinaire qui doit être ajoutée au pourvoi en cassation et aux demandes de révision. (…) C’est une révision fondée uniquement sur des éléments de droit et non sur des éléments de faits. ».


Le triomphe des Lumières

Tout le dispositif juridique de la Cour repose donc sur la Convention européenne des droits de l’Homme. Une Convention que la France a signée et ratifiée dans sa pleine et entière souveraineté (aucun État étranger ne l’y a contraint), par ses représentants librement désignés au cours d’élections libres et sincères. Je suis insistant sur ce sujet car je veux répéter et insister sur le fait que la Convention européenne des droits de l’Homme n’est en rien une atteinte à la souveraineté nationale mais un bouclier juridique de niveau supérieur, suprême même, au profit des citoyens qui sont déjà protégés par de nombreuses lois, par la Constitution de la Ve République qui repend elle-même le préambule de la Constitution de la IVe République, aussi par la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies.

Bref, tout ce montage juridique permet à un citoyen, après le dernier recours auprès de la justice de son pays, d’avoir encore un nouveau recours pour faire admettre son point de vue. Et qu’un État, dans sa complétude, autant dans son corpus législatif que dans la manière dont est rendue la justice, accepte d’être condamné par une instance qu’il a lui-même contribué à mettre en place, c’est vraiment le triomphe du citoyen et de l’État de droit sur l’arbitraire et le dirigisme étatique. C’est le triomphe des Lumières et des idées révolutionnaires dont les États signataires sont tous les heureux héritiers.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (3 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Marine Le Pen et la CEDH.
L’Union Européenne.
Le pape au Conseil de l’Europe.
La peine de mort.

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5 réactions


  • César Castique César Castique 3 juin 2015 13:00

    « « Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je me sens Français, plus je me sens humain. » (René Cassin) »


    Il n’est pas inutile de préciser que cet éminent droid’l’hommiste fut aussi l’un des fondateurs et copropriétaires de ce phare de la culture, de l’élégance et de l’art de vivre à la française, qui s’appelle encore Ici Paris.

  • Montdragon Montdragon 3 juin 2015 13:15

    Cour européenne des LGBT, immigrés et assimilés..par pour l’européen....


  • soi même 3 juin 2015 14:50

    « Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je me sens Français, plus je me sens humain. » (René Cassin).

    Quand l’on voit le rèsultat si navrant de deux poid et mesure, on a un doute sur cette grande intitution qui fait de l’autoritarisme comme art de gouverné...


  • zygzornifle zygzornifle 3 juin 2015 15:24
    Bruxelles, la Cour européenne des droits des lobbys ....

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