mercredi 3 août 2016 - par Sylvain Rakotoarison

Le Brexit en débat chez les députés français (3)

Troisième et dernière partie : « En un mot, les États-Unis d’Europe. C’est là le but, c’est là le port. » (Victor Hugo, le 29 août 1876). « Je voudrais signer ma vie par un grand acte, et mourir. Ainsi, la fondation des États-Unis d’Europe. » (Victor Hugo, 1876-1878).



Dernier volet sur le débat sur le Brexit du 28 juin 2016 au Palais-Bourbon, après François Fillon, dans la première partie, puis Philippe Vigier et Laurent Wauquiez dans la deuxième partie.


Nicolas Dupont-Aignan : « Encore faudrait-il savoir quel projet nous voulons pour la France. »

Officiellement député non-inscrit et s’exprimant grâce au quota des non-inscrits, Nicolas Dupont-Aignan, candidat déclaré pour la seconde fois à l’élection présidentielle, n’a rien à envier à Laurent Wauquiez dans le concours de la mauvaise foi en posant toute une série de questions simplificatrices : « Pourquoi avoir attendu onze ans avant de se décider soudain à tirer les leçons de la faillite de l’Union Européenne ? ».

Là encore, l’utilisation du pronom "vous" tient le même rôle que le "ils" de Laurent Wauquiez qui, lui, cependant, faisait la différence entre le "ils" (les "eurocrates") et le "vous" pris pour le gouvernement (et sous-tend donc un "nous" qui est l’opposition parlementaire aspirant à gouverner demain). Chez Nicolas Dupont-Aignan, le "vous" représente plutôt tous ceux favorables à la construction européenne qui confirme que le député-maire de Yerres s’isole de lui-même en mettant le clivage entre les pro-européens et …lui (seul contre tous).

De là à faire des raccourcis fautifs, comme sur l’aspect économique, alors que les délocalisations n’ont rien à voir avec l’Union Européenne mais avec la mondialisation initiée en Asie, en particulier par la Chine : « Pourquoi avez-vous consenti à un libre-échange naïf qui explique l’ampleur des délocalisations, ce que vous découvrez tous aujourd’hui ? ».

_yartiDebatAN2016062808

Et reprenant les arguments aussi gros que ceux de Boris Johnson et Nigel Farage (qui, rappelons-le, a présenté ses excuses pour avoir dit des choses très démagogiques), Nicolas Dupont-Aignan s’en est pris à la contribution financière de la France : « Pourquoi, en période de disette budgétaire, tolérez-vous que, chaque année, notre pays verse huit milliards d’euros de contribution nette pour nourrir ce monstre bureaucratique ? ».

Cette contribution française, somme toute, pour un si grand pays (le deuxième ou troisième plus grand pays des Vingt-huit), reste plutôt faible par rapport à l’ensemble des dépenses publiques de la France (environ 1 250 milliards d’euros en 2015). Autrement dit, en 2015, il y a eu 44,7% du PIB en prélèvements obligatoires dont …0,1% au profit de l’Union Européenne ! (statistiques de l’INSEE). Quant à l’objet de cette contribution dans le budget européen, la plus grande partie ne va pas dans le "monstre bureaucratique" mais dans les fonds de solidarité pour développer les régions pauvres (dont bénéficient aussi certaines régions françaises).


Danielle Auroi : « Ce nationalisme gangrène petit à petit toute l’Europe. »

Sans être exhaustif (je n’ai pas cité certains orateurs qui ne me paraissaient pas apporter d’élément intéressant au débat), je termine ce compte-rendu avec l’intervention de l’écologiste Danielle Auroi, qui est la présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale.

Elle a dramatisé le Brexit ainsi : « Le référendum britannique, ce n’est pas la défaite de l’Union Européenne, c’est peut-être encore plus grave que cela : c’est surtout la victoire du nationalisme mortifère, de la peur de l’autre et du repli sur soi. Ce nationalisme gangrène petit à petit toute l’Europe et nous devons tous le combattre tous les jours par nos paroles et nos actes. ».

Et, pour exprimer sa philosophie de la construction européenne, elle a cité à juste titre la députée assassinée Jo Cox, qui a déclaré lors de son discours d’investiture : « Nous sommes bien plus unis et avons bien plus en commun les uns avec les autres que de choses qui nous divisent. ».


Conclusion par Manuel Valls : « Vous n’êtes pas les parlementaires d’un petit pays, vous êtes les parlementaires et je suis le chef du gouvernement d’un pays qui s’appelle la France, qui a contribué à la fondation de l’Europe. »

Reprenant la parole à la fin du débat parlementaire, le Premier Ministre Manuel Valls a voulu répondre aux principaux orateurs.

Il a rappelé les liens historiques qui nous unissent aux Britanniques : « Le courage de Churchill et des Britanniques ont été essentiels pour sauver la France et l’âme européenne face au nazisme. Nous connaissons le particularisme des Britanniques au sein de la réalité européenne mais ils demeurent nos partenaires sur bien des sujets. François Fillon a eu raison de rappeler qu’en matière de défense, il faut renforcer ces liens. ».

Il a insisté sur les missions régaliennes de la France et sa place prééminente au sein de l’Europe : « Dans le cadre de notre intervention au Mali, décidée par le Président de la République, de notre participation aux coalitions au Levant et de notre présence au Liban, nous, Français, assumons une grande part de la responsabilité de l’Europe tout entière. Peu de pays peuvent le faire, peu de pays ont une telle capacité de projection. ».

_yartiDebatAN2016062805

Il est resté néanmoins dans une logique keynésienne de grands "travaux" : « La question de l’investissement est tout à fait essentielle. Il faut aller encore plus loin. On pourrait par exemple doubler le plan Juncker d’investissement afin d’améliorer la vision que les Européens ont des politiques économiques telles qu’elles ont été menées et dont j’entends ici ou là rappeler les responsabilités. ».

En conclusion, ce qui reste d’ailleurs une récurrence chez Manuel Valls, justifiée et pertinente à mon sens, il a rappelé la menace que fait porter sur la France toute démagogie sur le thème européen : « S’il est normal que nos positions divergent, certaines suscitent mon inquiétude. Chacun est responsable de ses propos. Nos familles politiques ont d’ailleurs été divisées sur la question européenne, nous le savons. La question de l’opportunité pour la France de sortir ou non de l’Union Européenne fera toujours débat, avec plus ou moins de nuances, cela est consubstantiel à la démocratie. Mais ce débat fondamental constituera une ligne de fracture essentielle dans les prochains mois, notamment dans la perspective de l’élection présidentielle. ».

Et d’ajouter : « La leçon du Brexit est que certains ne s’y attendaient pas et se sont retrouvés le lendemain du vote comme groggy, y compris parmi ceux qui avaient voté en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne. La conséquence d’une victoire de l’extrême droite serait précisément cela : non seulement la perte de nos valeurs et l’affaissement de la France, mais la sortie de l’Union Européenne et notre sortie de l’histoire. ».


2017, le thème européen sera au cœur de la campagne

Ce qui peut être regrettable, dans ce débat, c’est que n’a pas été abordé le thème des conséquences économiques et financières du Brexit sur la France. Le Ministre des Finances Michel Sapin avait usé de la langue de bois pour dire qu’il n’y aurait aucun impact sur la croissance en France (il l’a dit le 24 juin 2016 puis redit sur Europe 1 le 4 juillet 2016), mais personne ne l’a cru. Le 7 juillet 2016, le Secrétaire d’État chargé du Budget Christian Eckert a quand même consenti à reconnaître que le Brexit pourrait coûter 0,1 ou 0,2% à la croissance en France. Probablement que l’impact réel serait bien plus conséquent mais sera-t-il au moins possible de le calculer a posteriori ?

La Fondation Bertelsmann a évalué pour la France à 0,3% environ la perte sur le PIB par habitant à l’horizon 2030 par rapport à un maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, ce qui ferait une perte de revenus d’environ 130 euros par habitant chaque année (ce serait le coût du Brexit pour chaque Français). À cela, il faudrait rajouter 1,2 milliard d’euros supplémentaires de contribution française annuelle au budget de l’Union Européenne, selon les calculs de la Commission Européenne, pour compenser la perte budgétaire financée par le Royaume-Uni.

Ce débat a eu cependant un grand intérêt politique en France. Il permettait d’aiguiser les arguments en vue de l’année prochaine. Le thème européen sera probablement l’un des sujets majeurs de la campagne de la prochaine élection présidentielle, au-delà de l’emploi et de la sécurité. C’est sans précédent et c’est heureux. Cela sera aussi un test pour les différents candidats, entre leur capacité à prendre leurs responsabilités dans l’intérêt national de la France et leur cynisme à sombrer dans la facilité démagogique et à surfer sur le sentiment eurosceptique répandu non seulement en France ou au Royaume-Uni mais dans l’Europe entière.

Un homme d’État reste strictement dans le sens qu’il croit bon pour son pays et tente de convaincre le peuple. Il n’a pas à brosser dans le sens du poil, mais à faire preuve de persuasion. Ce jeu argumentaire est le propre d’une campagne électorale et l’histoire politique a montré que rien n’était jamais joué jusqu’à la dernière minute…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 juillet 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Patriotisme.
Intervention de Bruno Le Maire sur le Brexit le 28 juin 2016.
Le Brexit en débat chez les députés français.
Verbatim intégral du débat parlementaire sur le Brexit (le 28 juin 2016).
Tribune de Jean-Christophe Lagarde (24 juin 2016).
L’Europe n’est pas un marché.
Nouveaux leaders.
Remaniement ministériel du 29 juin 2011.
Peuple et populismes.
Le Brexit.
Jean-Claude Juncker, premier Président de la Commission Européenne issu des urnes.
La France des Bisounours à l’assaut de l’Europe.
L’Europe, c’est la paix.
Le Traité de Maastricht.
Le Traité constitutionnel européen (TCE).
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
Le référendum alsacien.
Nuit Debout.
Démocratie participative.
Vote électronique.
Monde multipolaire.


_yartiDebatAN2016062801



7 réactions


  • Javascript Javascript 3 août 2016 10:33

    Ce qui est bien avec les articles de Sylvain c’est qu’il nous épargne la lecture de Sartre, un seul article et on se retrouve avec la nausée et les mains sales.

    PS : Ok elle est pas de moi et il faut rendre à César ce qui est à César donc : Merci Pierre. (lien)


  • amiaplacidus amiaplacidus 3 août 2016 11:14

    Q s’est-il passé Rokotoarion ?

    Pas d’article le 2 août ?
    Étiez-vous malade ?
    En avez-vous marre d’écrire des articles qui sont, pour la plupart, pour en pas dire la quasi totalité, stigmatisés par les lecteurs d’un infamant « Mauvais » ?
    .
    Comme vous écrivez sur tout et son contraire, je vous avais déjà proposé un article sur « Les mœurs sexuelles des fourmis rouge du Pétaouchnok austral ».
    Aurons-nous bientôt le plaisir de lire vos élucubrations à ce sujet ?

    Quoique vous n’ayez pas pour habitude de répondre à des remarques de lecteurs, j’en attends pas moins une réponse à mes questions quasi existentielles.


    • doctorix, complotiste doctorix 6 août 2016 17:34

      @Jeekes

      C’est le problème d’Agoravox ;
      Il suffit que n’importe quel cholérique (ça a rapport avec la chiasse verbale) vienne pondre cinq articles insipides, et cela lui donne le droit d’être modérateur.
      Il suffit de monter une petite équipe de branleurs, sionistes de préférence, ou socialistes à la mode valls-hollande - c’est-à-dire de droite- pour empêcher la sortie des articles les plus intéressants et promouvoir ceux qui leur conviennent.
      Les moinssages devraient être nominatifs, et après deux ou trois, hop, virés, dehors, aux chiottes, interdit de juger.
      Je n’ai jamais moinssé un article avant sa publication, et j’aurais honte de pratiquer ce genre de censure. Au contraire, je plusse les articles les plus sournois pour pouvoir les démolir en ligne.
      Apparemment, pas eux.
      Alors je demande aux gens de bonne foi et honnêtes, de devenir modérateurs afin de contrer leurs manoeuvres.

  • zygzornifle zygzornifle 3 août 2016 14:24

     11 millions de sans emplois pas de débat chez les députés , 9 millions de citoyens sous le seuil de pauvreté pas de débat chez les députés , des retraités faisant les poubelles pas de débat chez les députés chez les députés, 400 000 SDF bien de chez nous pas de débat chez les députés , 31 000 enfants mineurs dormant dans les rues pas de débat chez les députés , des dizaines de milliers de migrants zonant dans les villes de France pas de débat chez les députés, je conclue donc que les députés s’en battent les couilles jusqu’au sang .....


  • fred.foyn 4 août 2016 07:40

    Les politiciens Français, connaissent ils seulement la définition de ce mot Anglais ?

    Le terme Brexit est utilisé pour désigner le scénario de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. C’est une expression créée au 21ème siècle et qui vient de la contraction de deux mots anglais, « British » (britannique) et « Exit » (sortie).

  • chantecler chantecler 4 août 2016 09:35

    Comme disait Boris Vian il y a deux façon d’enculer les mouches : avec ou sans leur consentement .
    Bref , j’apprends grâce à l’auteur , que N.P.A n’est plus un souverainiste , tendance P. Seguin, mais un militant européïste d’un nouveau genre .
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Dupont-Aignan
    Merci S.R .
    Au fait vous roulez pour qui vous ?


Réagir