mercredi 29 mars 2017 - par Bernard Dugué

Un Evangile pour l’Europe ? L’homme qui a oublié le passé est perdu pour l’avenir

L’homme habite dans le langage. Le langage est la demeure de l’Etre. L’Etre a une histoire. L’homme habite dans l’Histoire. Qui n’est pas un film avec des événements (Historia) mais une généalogie pourvue de sens (Geschichte) avec également des émergences (Ereignis). L’homme habite aussi dans la nature et dans le technocosme. Il est entrelacé et écartelé entre le technos et le Logos. Le technos est l’essence de la technique. Le Logos est peut-être l’essence de l’Etre du Dasein.

L’homme comme l’animal se construit un monde à partir d’un donné universel décliné selon chaque espèce en champ sémantique ou champ de communications. L’homme est le seul animal à pouvoir communier avec le Temps et prendre souci de son monde. Et de savoir d’où il vient en remontant le temps au-delà de sa naissance biologique. Nous héritons d’Athènes, Jérusalem et Rome. Mais aussi de Descartes, Goethe, Newton, Kant et Voltaire… ainsi que de Louis XIV et Napoléon. Sans oublier le Général. Les animaux n’héritent que de la sélection naturelle.

Dans les années 1960, l’homme a commencé à perdre le lien avec l’Histoire mais il ne l’a pas su dans l’instant. C’est ce que Frochaux a appelé l’avènement de l’homme seul. L’homme s’est de moins en moins rapporté à l’Histoire et s’est individualisé face à ses contemporains. Mai 68 a été le résultat de ce processus mais pas vraiment sa cause. Ce processus s’est produit dans tous les pays occidentaux ou avancés, des States au Japon. Brzezinski a bien décrit la transition vers l’ère technétronique en décrivant la manière d’habiter de l’homme contemporain tout en se faisant l’apologue d’un style de vie, celui propulsé par l’Amérique. Dix ans plus tard en Europe, Lyotard a sifflé la fin de la « récréation » en annonçant l’ère post-moderne et l’achèvement des grands récits. Ce qui n’a pas empêché l’élection de Mitterrand qui avec habilité surfa sur les braises de l’histoire sociale et les grands mouvements collectifs. La fin de cette récré a été sifflée en 1983 par Laurent Fabius.

Un monde nouveau est arrivé. Celui désigné par Régis Debray comme vidéosphère, troisième ère succédant à la logosphère antico-médiévale et à la graphosphère moderne. L’homme habitait dans le royaume puis il a habité dans l’Histoire et les langues de la grande littérature européenne et maintenant dans les images et les tweets. Il n’y a que Philippe Sollers pour célébrer la twittérature et Michel Serres pour siffloter la naissance de petite poucette sans y déceler les prodromes d’un improbable chant du signe accompagnant l’avènement de l’homme demeuré qui ne sait plus où il habite.

Poursuivons l’histoire de la perte de l’Histoire. Avec le grand désarroi qui plongea les penseurs européens dans une docte mélancolie après la chute de l’Empire soviétique en 1991. D’aucuns ont sauté sur l’occasion pour célébrer le triomphe de la démocratie sans y déceler une victoire à la Pyrrhus. Les sens de l’Histoire et de l’existence ont été sacrifiés. En vérité, 1991 n’a fait que dévoiler une mélancolie déjà présente en Europe il y a plus de dix ans et qui est apparue à l’image de récifs découverts par la marée descendante. Ere du vide, ère humoristique, défaite de la pensée. Et à la fin du siècle, Philippe Muray en mouette rieuse de Minerve s’envola à la tombée de la nuit historiale pour moquer l’avènement de l’homo festivus.

Néanmoins, la vie matérialiste à l’occidentale ne signe pas la fin des idéologies ni des religions. L’homme est un animal religieux qui a besoin d’une bulle pour conférer à son existence une voûte étoilée dans lequel il se mire comme animal moral et symbolique. A partir de 1990 des transformations idéologiques ont pris la place laissée vacante par la fin du communisme. La Chine est devenue une économie de marché. Alors qu’en Occident élargi, deux phénomènes se sont produits.

1. Le panarabisme comme décalque arabe du communisme était déjà en déclin. C’est vers 1990 que la transition avec le panislamisme s’est dessinée. Les combattants islamisés financés par les Saoudiens et utilisés comme mercenaires par la CIA en Afghanistan ne sont pas tous rentrés sagement à la maison. Certains ont rejoint Ben Laden. 1990 c’est aussi l’arrivée du FIS aux affaires politique en Algérie. D’abord dans les municipalités, puis aux législatives, pour enfin finir dans les geôles après la reprise en main des militaires. Ces gens du FIS étaient trop impatients. Erdogan a sans doute tiré quelques enseignements, lui qui fut le premier maire islamiste de Istanbul en 1994 dans un contexte d’agitation islamiste présent dès 1990 avec une série d’attentats. 1991 c’est aussi la première guerre d’Irak avec une coalition très large. Au final, le panislamisme est comme le panarabisme un ensemble assez hétéroclite avec une sorte de star académie de la nation qui sera la plus vertueuse au regard des règles coraniques ou la plus puissante à incarner l’Islam. Dans ce jeu, des pays aux histoires disparates sont impliqués. Les Perses et les Turques en première ligne. Ce n’est pas un choc des civilisations mais un choc dans une civilisation. Mais ne soyons pas moqueur. Donald Trump est le signe d’un choc dans la civilisation américaine. Méfions-nous des nationalismes qui jouent aussi sur de funestes braises en rêvant d’une désunion européenne.

2. Et l’Occident, par quoi a été remplacé le sens de l’Histoire après la Guerre froide ? Allez, un petit indice, en 1991. Le banquet s’est déroulé à Rio. Il en est sorti l’agenda 21, qui pour les dévots de la banquise et autres culs-bénis du bio est un catéchisme du développement durable et pour les mécréants une sorte de greenkampf joué comme comédie du culte voué à Gaïa. En complément de l’agenda 21 nous avons le culte européen du numérique célébré cette fois à Lisbonne. Je ne parle pas du traité européen refourgué en contrebande par Sarkozy mais du protocole de Lisbonne.

On comprend alors pourquoi l’Europe déprime, elle qui organisa la grande messe de la COP21 en n’entendant pas aussi un requiem pour le futur. A trop louer la terre, les hommes enterrent l’Histoire. Les agitateurs propulsent les nations européennes dans une star académie de la nation la plus vertueuse au regard des règles de la vertitude durable ou alors de la croissance technologique et du travail. Le nationalisme n’est plus conquérant avec les risques de guerre mais il prend un tournant économiste au risque du narcissisme patriotique qui déjà montre quelques signes inquiétants.

Les peuples du monde centré autour de l’Europe sont pris entre les peurs de la modernité au risque de sombrer dans une régression idéologique voire religieuse et les illusions d’un avenir résolu par les progrès technumériques qui n’offrent pas plus de salut que les industries du monde technétronique décrites par Brzezinski en 1968.

L’Europe entre dans le Temps des Evangiles. Elle devrait être en attente d’un Evangile des Temps à venir qui doit être pensé, écrit et entendu par les citoyens du monde qui n’est pas encore. Il faudrait pour cela entendre aussi l’Histoire qui résonne et penser à travers notre héritage pour l’enrichir. Ces belles paroles risquent néanmoins de résonner dans le désert. Auquel cas il faudra traverser le déluge du bruit numérique et songer à préserver l’arche d’alliance du passé..



11 réactions


  • Yvance77 Yvance77 29 mars 2017 10:54

    Putain, un dîner avec Dugué, cela doit s’astiquer grave sous la table ! Que c’est pédant, pompeux, pathétique même.


  • scorpion scorpion 29 mars 2017 11:00

    Putain, entre la soupe journalière à Rakototo et la branlette intellectuelle bi-hebdomadaire à Narnard, j’ai des envies de suicide à l’absinthe helvète et au cannabis de Hollande !


  • Albert123 29 mars 2017 11:58

    « Elle devrait être en attente d’un Evangile des Temps à venir qui doit être pensé, écrit et entendu par les citoyens du monde qui n’est pas encore. »


    BHL vous a entendu, les gauchistes et la franc maçonnerie aussi.

  • rogal 29 mars 2017 12:25

    Années soixante et aliæ : du passé il s’agissait de faire table rase. Tel était l’Évangile.


  • zygzornifle zygzornifle 29 mars 2017 13:15

    plutôt un Coran vu comme c’est parti .....


  • LE CHAT LE CHAT 29 mars 2017 14:50

    aussi palpitant qu’une vidéoconférence d’Asselineau !


  • julius 1ER 29 mars 2017 19:24

    Vous auriez cité Brecht , au moins vous auriez évité le dérapage mystico-religieux !!!

    mais apparemment cela n’a pas figuré dans l’Adn de votre arbre culturel !!!

  • ddacoudre ddacoudre 29 mars 2017 20:56

    bonjour dugué
    j’ai trouvé l’analyse géo-historique plutôt bonne même très bonne ,l’histoire permet de maitriser le temps et la géographie l’espace sans cela l’on ne sais guère où l’on va, cela parle plus à la raison qu’a lémotion,, l’émotion ne permet que de régler le quotidien un espace restreint quand l’on veut s’n servir pour comprendre le monde et son évolution, l’on a tout faux. si le net permet de parcourir la terre en une fraction de seconde nous ne feront pas un mode avec des émotions individuelles qui seraient incapable de s’agréger.
    cordialement. un peu surpris de la notation.


  • Moonlander Moonlander 29 mars 2017 23:56

    l’homme qui vivait ici et maintenant s’est perdu dans un futur oublié du passé. 


  • franc 30 mars 2017 07:08

    Bonne et pertinente intuition de la destruction de l’Histoire (dont l’histoire de France en fait les frais par les temps qui courent ) qui est à relier aussi avec la destruction des Nations ,des Etats, des Peuples ,des Cultures et de la Nature déterminant l’idéologie mondialiste individualiste produisant l’atomisation de l’humanité en monades isolées du temps et de l’espace n’ayant ni passé ,ni futur mais seulement vivant et jouissant dans l’instant présent. 


  • Jean Keim Jean Keim 31 mars 2017 07:46
    Après chaque guerre toujours le « plus jamais ça ».

    Si l’homme interrogeait le passé pour en tirer des leçons ça se verrait et nous serions déjà dans une autre civilisation humaine, fraternelle.

    Les hommes généralement n’apprennent rien de la vie.

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