samedi 12 février 2011 - par Aimé Mathurin Moussy

Égypte : Hosni Moubarak a peur, et très peur...

Auparavant, il y eut le printemps de Prague, mai 68, aujourd'hui, c'est le Printemps du Maghreb et de l'Orient ! Le vent a soufflé des hauteurs du Sinaï, d'Assouan jusqu'à la Vallée des rois. La rue a grondé, le palais du raïs s'est écroulé. Le silence longtemps observé par la « communauté internationale » qui régente les dynasties depuis installées, des bords du Nil, jusqu'au Cap, tombe en désuétude. Le peuple dit non. Non contre la bien pensance mondiale, qui s'est érigée en missi dominici de ceux qui ont bâti leur pouvoir sur le dos de leurs compatriotes. Non à l'interventionnisme américain. Non à la régence de l'Europe... Les Égyptiens viennent d'écrire sur un papyrus , la plus belle page de leur histoire.

La liberté, telle une poésie

Au Caire,un peu de tendresse se fraie un passage dans le fourbi du temps. Depuis la fin d'après-midi de ce 11 février, celui qui, d'habitude de la place Tahir, vous lance, au pied d'un souk : "Moubarak doit partir", celui-là vous dit : "Salamalekum". Il y a quelque chose de nouveau qui s'annonce. Un changement, une vraie "rupture"... Certes, tous les humains ne vont pas devenir soudain magnifiques de solidarité, éperdus d'amour universel ou d'une tolérance admirable, mais on sent qu'ils en ont la tentation. Peut-être même le désir, comme d'une libération de leurs pesanteurs. Que beaucoup se disent : quand même, c'est encore nous le peuple qui avons le pouvoir, on ne va pas continuer comme avant.

Il y a là une occasion de remettre les compteurs à blanc. blanc pour les colères, à pardonner ou se faire pardonner. Blanc pour les sévices dictatoriaux, les emprisonnements, les espionnages de la police politique. Blanc pour les fatigues, les doutes, les tremblements de ces quinze derniers jours à braver un pouvoir coriace. Blanc pour l'aigreur, pour le ressentiment, les fureurs ou les chipotages des jours d'avant où la communauté internationale avait fermé les yeux.

Liberté, cet enfant de lait, qui éclaire de son seul regard prométhéen, derrière lui (cinquante ans de bâillonnement), un demi-siècle . Elle irradie les jours qui sont à venir, c'est un miracle qu'elle arrive encore à ce peuple longtemps réduit au silence. Elle lui a donné un sens, une direction. Qu'elle parvienne aussi, à démentir le cynisme, à s'opposer de ses petites mains frêles au relativisme ambiant ou au négativisme triomphant. Que le clair regard qu'elle porte sur ce peuple, fasse déjà honte aux trivialités coloniales, au despotisme, aux platitudes ordinaires de la gouvernance mondiale. De cet Orient, là où se lève le soleil, elle ne parle pas encore, à ce stade, et pourtant c'est comme si elle avait déjà tout dit. Rien qu'en chassant un dictateur. Il en va ainsi, au fait, de toutes les libertés confisquées : elles détiennent l'évidence de la pureté. Armées de rien.

Ces espoirs fondés dans la démocratie, ne sont pas encore abîmés ("occidentalisés" comme on dit beaucoup ces jours-ci...). Ils suggèrent aux peuples du Maghreb et de l'Orient : "Je suis là comme un enfant prodige, parmi vous, ne me tuez pas dans le berceau, non ?". Il y a désormais une présence. Il faudrait que les peuples fassent, comme si c'était pour le quotidien, et l'éternité.

Il es parti, comme il est venu

Moubarak est parti comme il aura vécu : brutalement. Rarement autant que pour lui cet adverbe d'une grande banalité aura été justifié. Il y a quelques jours, le Président égyptien envoyait encore à ses relations (Fillon , Sarkozy et bien d'autres grands du monde) , cadeaux et salamalecs les invitant à fermer les yeux, sur sa fortune et la terreur qu'il faisait vivre au peuple égyptien...Curieusement, à ce moment, quand il était fréquentable, personne ne pensait geler ses biens, ni se soucier du peuple croulant dans la misère, hélas !

Étrange homme d'État, au physique comme au moral. Un corps de colosse et, pour le tempérament, un mélange d'extrême séduction avec des sourires démesurés, aussi larges que le Nil , et d'emportements excessifs, de colères homériques, tonitruantes, injustes, dont certains de ses collaborateurs gardent encore en tremblant le souvenir affolé.

Il s'était pris de passion pour les Pharaons et leur Empire qu'il tenta de réhabiliter de manière assez remarquée. Il aimait les actifs, les convaincus, pas les verbeux ni les calculateurs. Il ne supportait pas les mollassons, d'où sans doute son alliance paradoxale avec Omar Souleiman, aujourd'hui bien retombé et tout seul. De ce militaire qui a fait les beaux jours de l'armée de l'air égyptienne, lors de la guerre de six jours, contre Israël ;ses camarades d'armes, gardent le souvenir d'un nationaliste modéré, emporté par la passion de sa propre liberté, animé d'une colère permanente contre le bric et le broc ; et les erreurs des autres. Souvent il était difficile de le situer, tantôt tendre avec Israël et aussi avec la Palestine, au gré de ses intérêts. Il faisait peur, beaucoup. A lui-même, peut-être aussi. Cette peur est devenue sans doute, sa plus grande terreur .

Aimé Mathurin Moussy




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