vendredi 31 octobre 2014 - par Sylvain Rakotoarison

Indira Gandhi (1917-1984), l’impératrice des Indes assassinée

« Si je dois mourir au service de la nation, je le ferai avec fierté ! » (Indira Gandhi, 30 octobre 1984).



Il y a exactement trente ans, le 31 octobre 1984, deux de ses gardes du corps ont assassiné la Première Ministre de l’Inde, Indira Gandhi, peu avant ses 67 ans. Parce que ses assassins étaient sikhs, plus d’une dizaine de milliers de Sikhs furent lynchés quelques jours plus tard, et plus d’un million d’Indiens ont assisté aux obsèques nationales le 3 novembre 1984, selon le même rite que son père, Nehru.

Indira Gandhi fait partie de ce cercle très restreint des femmes d’État qui ont marqué l’histoire du monde contemporain, un peu à l’instar de Margaret Thatcher et d’Angela Merkel. Elle était considérée par "The Economist" comme "l’impératrice de l’Inde", et "Le Monde" titrait "L’impératrice des Indes" dans son article du 1er novembre 1984. Elle faisait partie de la première "dynastie" politique de l’Inde indépendante.


Bercée aux enjeux politiques de l’Inde moderne

Née le 19 novembre 1917, Indira Gandhi a passé son enfance baignée dans le militantisme politique en faveur de l’indépendance de l’Inde. Son père était Jawaharlal Nehru (1889-1964), qui fut le premier Premier Ministre de l’Inde indépendante du 15 août 1947 jusqu’à sa mort, le 27 mai 1964. Son grand-père paternel Motilal Nehru (1861-1931) était le leader du Parti du Congrès (créé le 28 décembre 1885) et fut parmi les premiers militants de l’indépendance indienne.

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Indira Gandhi n’a dû son nom qu’à Feroze Gandhi (1912-1960), qu’elle a épousé le 26 mars 1942. Il fut député à partir de 1952 et a succombé à une crise cardiaque le 8 septembre 1960. Feroze Gandhi n’avait aucun lien de parenté par le Mahatma Gandhi (1869-1948), père de l’indépendance et de la non-violence.

Dans les années 1920, son père et son grand-père ont été en prison, et comme sa mère était malade, Indira Gandhi passa quelques séjours en Europe, en particulier en Suisse où elle appris le français, en Allemagne et en Grande-Bretagne pour ses études. Dans les années 1930, son père était déjà le dirigeant du Parti du Congrès et fut de nouveau arrêté. Ce fut Indira, à 14 ans, qui prépara le premier repas du Mahatma Gandhi lorsque ce dernier rompit sa grève de la faim le 20 septembre 1932.

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Après l’indépendance, Nehru fut Premier Ministre pendant plus de seize ans, et Indira la fille a pris le rôle de première dame (sa mère Kamala est morte le 28 février 1936). Elle fut très active auprès de son père, tant à l’intérieur du pays que dans les déplacements à l’étranger. Elle fut élue présidente du Congrès en 1959 malgré la réticence de son père et de son époux dont elle s’était éloignée. À la mort de Nehru (le 27 mai 1964), il n’était pas question qu’elle lui succéda mais de nombreux rivaux se combattaient pour l’héritage politique. Lal Bahadur Shastri (1904-1966) fut le candidat de compromis et fut élu Premier Ministre le 9 juin 1964, poste qu’il garda jusqu’à sa mort soudaine le 11 janvier 1966, victime d’une crise cardiaque.


Premier Ministre de 1966 à 1977

Le 24 janvier 1966, Indira Gandhi fut finalement choisie comme Premier Ministre de l’Inde, considérée alors comme une chef du transition dans la perspective des élections législatives des 17 au 21 février 1967. Parmi ses concurrents à l’intérieur du Congrès, il y avait Morarji Desai (1896-1995) et Gulzarilal Nanda (1898-1998).

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Indira Gandhi resta en fait longtemps au pouvoir (onze ans). Elle se montra comme une femme autoritaire prête à renforcer constitutionnellement les pouvoirs de l’exécutif. Elle mena avec succès les élections législatives de février 1967 en obtenant 283 sièges sur 518 avec 40,8%, soit 78 de moins, certes, que les élections précédentes mais préservant une courte majorité, ce qui l’a amené à offrir à son rival interne Morarji Desai le poste de numéro deux du gouvernement.

Indira Gandhi a voulu poursuivre la politique de son père en maintenant l’Inde à la tête des pays non-alignés, en prônant une démocratie qui ne mélangeait pas religion et État, et qui se reconnaissait dans le socialisme. Elle a ainsi nationalisé une dizaine de banques, remit en cause le droit de propriété pour sa réforme agraire qui visait à enrayer la famine, et elle a doté son pays de l’arme nucléaire (en 1974).

En été 1969, un conflit interne au sein du Parti du Congrès a entraîné une scission entre la partie défendue par Indira Gandhi dont le charisme a réussi à convaincre la majorité des adhérents et une aile droite menée par Morarji Desai.

La crise se termina vraiment lors de la dissolution de l’assemblée (Lok Sabha) et la grande victoire d’Indira Gandhi aux élections législatives des 1er au 10 mars 1971 où elle remporta 352 sièges sur 518 avec 43,7%, soit une majorité absolue et même une majorité des deux tiers pour les révisions constitutionnelles qu’elle voulait initier.

Ce fut avec cette configuration politique confortable qu’Indira Gandhi fut une dirigeante autoritaire voulant assurer à la fois sa puissance et celle de son pays sur la scène internationale. Malgré sa position de non-alignée (avec Nasser et Tito), l’Inde d’Indira Gandhi signa le 9 août 1971 un traité d’amitié et de coopération avec l’Union Soviétique. Elle a par ailleurs gagné la troisième guerre indo-pakistanaise (du 3 au 16 décembre 1971) qui a abouti à l’indépendance du Bangladesh séparé de la partie occidentale du Pakistan.

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Suscitant beaucoup d’opposition à l’intérieur de son pays, bataillant souvent avec la Cour suprême sur la définition de ses pouvoirs et son élection elle-même remise en cause, Indira Gandhi décréta l’état d’urgence le 26 juin 1975 (en faisant référence à l’article 352 de la Constitution) et augmenta ses pouvoirs personnels au détriment des libertés individuelles. Pendant deux années, l’Inde connut une véritable dictature, avec à sa tête, une femme énergique, populaire (mais de moins en moins, car de plus en plus contestée sur ses entorses à la démocratie) qui mit en avant son second fils Sanjay (1946-1980) dans l’optique d’en faire un héritier. Sanjay Gandhi dressa la liste des opposants à arrêter et mit en œuvre le programme délirant de stérilisation dans les campagnes pour éliminer la pauvreté (résultat, plus de sept millions de vasectomies).


Dans l’opposition

Les élections législatives des 16 au 20 mars 1977 qu’elle organisa mirent fin à cette période très controversée de l’histoire politique de l’Inde. Non seulement pour la première fois depuis l’indépendance, le Congrès perdait les élections (seulement 189 sièges sur 542 avec 40,91%), mais Indira Gandhi elle-même fut battue dans sa circonscription. Son rival de toujours, Morarji Desai remporta 345 sièges avec 51,9% et fut désigné Premier Ministre le 24 mars 1977. Indira Gandhi reconnut ainsi sa défaite.

Ce dernier arrêta Indira Gandhi quelques temps, ce qui lui a permis de retrouver une certaine légitimité populaire, pendant que la nouvelle majorité s’enlisait dans des divisions internes. À cause d’une coalition gouvernementale pleine de dissensions, Morarjo Dusai a dû démissionner le 15 juillet 1979 et laisser Charan Singh (1902-1987) lui succéder du 28 juillet 1979 au 14 janvier 1980, avec la bienveillance dU Parti du Congrès. Pendant ce temps, Indira Gandhi a réussi à convaincre les dirigeants du Parti du Congrès de la porter de nouveau à sa présidence en janvier 1978, devenant la chef de l’opposition.

Face aux inconséquences du gouvernement sortant, Indira Gandhi a pu triompher lors des élections législatives des 3 au 6 janvier 1980 avec 374 sièges sur 543 (42,7%) tandis que le parti de Charan Singh s’est effondré à 41 sièges (9,4%) !


Premier Ministre de 1980 à 1984

Indira Gandhi reprit la tête du gouvernement indien le 14 janvier 1980. Elle accepta d’exercer son pouvoir de façon moins autoritaire mais continua à favoriser son fils Sanjay pour en faire son dauphin. Malheureusement, Sanjay se tua dans un accident d’avion le 23 juin 1980, une disparition qui affecta énormément tant la mère que la femme politique.

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Indira Gandhi poussa alors son premier fils, Rajiv Gandhi (1944-1991) qui était alors pilote d’avion chez Air India. Il se fit élire député dans la circonscription de son frère dès 1981. Maneka Gandhi (58 ans), la veuve de Sanjay, s’engagea aussi dans la vie politique, mais au sein de l’opposition, et fut députée BJP et quatre fois ministre, prônant le droit des animaux. Son fils unique (aussi celui de Sanjay), Varun Gandhi (34 ans) est considéré comme un leader futur du BJP (Bharatiya Janata Party), parti nationaliste hindou au pouvoir de 1998 à 2004 et depuis 2014.


L’opération fatale contre les Sikhs

Réagissant aux mouvements de contestation des sikhs qui demandaient l’autonomie, Indira Gandhi a décidé de frapper un grand coup en faisant pénétrer la troupe le 5 juin 1984 au Temple d’Or (Harmandir Sahib) à Amritsar (qui avait déjà connu le carnage du 13 avril 1919) pour éliminer les Sikhs séparatistes. L’opération militaire a coûté entre 500 et 1 500 vies humaines (dont le leader très populaire des séparatistes, Jarnail Singh Bhindranwale à 37 ans). Cette opération meurtrière a levé l’indignation d’une grande majorité de Sikhs. Hasard des dates, c’était précisément cinq ans avant l’assaut donné par les forces chinoises contre les jeunes manifestants à la place Tiananmen.

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Le 31 octobre 1984, Indira Gandhi fut touchée par une trentaine de balles, assassinée par deux gardes du corps sikhs, en guise de vengeance. Plus de 11 000 Sikhs furent tués en réaction dans tout le pays. L’un des deux assassins fut condamné à mort le 22 janvier 1986 tandis que l’autre avait été tué juste après l’assassinat.


Son fils Rajiv et l’intervention fatale contre les Tamouls

Rajiv Gandhi fut immédiatement désigné comme Premier Ministre, et gagna les élections législatives des 24 au 28 décembre 1984 avec 404 sièges sur 533 (50,7%). Il resta Premier Ministre jusqu’au 2 décembre 1989, négociant un virage libéral pour encourager le dynamisme économique et industriel de l’Inde. Rajiv Gandhi perdit les élections des 22 au 26 novembre 1989 avec seulement 197 sièges sur 545 (39,5%).

L’intervention militaire de l’Inde décidée par Rajiv Gandhi le 29 juillet 1987 pour pacifier le Sri Lanka en guerre civile contre les indépendantistes tamouls a eu, comme pour sa mère, des effets désastreux sur son existence puisque, en pleine campagne électorale (les élections avaient lieu des 20 mai au 15 juin 1991), Rajiv Gandhi, qui allait probablement redevenir Premier Ministre quelques jours plus tard, fut assassiné le 21 mai 1991 par une activiste tamoule dans un attentat suicide en plein meeting, ce qui entraîna la victoire électorale du Parti du Congrès avec 244 sièges sur 545 (35,7%).

L’armée indienne avait évacué le Sri Lanka en mars 1990 après la mort de plus d’un millier de combattants indiens, mais les séparatistes tamouls craignaient que le retour au pouvoir de Rajiv Gandhi entraînât une nouvelle intervention de l’armée indienne au Sri Lanka.


L’épopée dynastique continue encore

La veuve de Rajiv, Sonia Gandhi (67 ans) a repris l’héritage politique peu après, malgré son origine italienne, en acceptant la présidence du Parti du Congrès le 14 mars 1998. Elle mena victorieusement les élections législatives des 20 avril au 10 mai 2004 en obtenant 353 sièges sur 543 (61,4%). Elle échoua dans sa tentative d’être désignée Premier Ministre à cause d’un parti d’opposition (BJP) qui fustigea ses origines italiennes, ce bloqua la constitution d’une coalition gouvernementale. Manmohan Singh (72 ans) fut finalement désigné à la tête du gouvernement à sa place, du 22 mai 2004 au 26 mai 2014 (après un nouveau succès du Congrès aux élections des 18 avril au 13 mai 2009).

Le fils de Rajiv et Sonia, Rahul Gandhi (44 ans) est lui aussi député depuis le 13 mai 2004 (dans la même circonscription que son père), et vice-président du Parti du Congrès depuis 19 janvier 2013 (après en avoir été le secrétaire général de 2007 à 2013). Il a dirigé la dernière campagne électorale.

La famille Gandhi est de nouveau dans l’opposition depuis les dernières élections des 7 avril au 12 mai 2014 où la coalition du Congrès menée par Rahul Gandhi n’a obtenu que 59 sièges sur 543 (23,5%) alors que le BJP a atteint lui seul la majorité absolue avec 282 sièges (31,0%).

En cas de succès du Congrès aux prochaines élections prévues en 2019, tout porterait à croire que Sonia Gandhi ou, plus probablement, Rahul Gandhi serait le prochain Premier Ministre de l’Inde. Soit, une dynastie qui dirigerait le pays sur …quatre générations !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Margaret Thatcher.
Angela Merkel.

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10 réactions


  • 1871-paris 1871-paris 31 octobre 2014 10:42

    « un peu comme Thatcher... » purée la comparaison est violente.


  • lsga lsga 31 octobre 2014 11:24

    Une salope nationaliste en moins, ça fait toujours du bien. 


  • Gabriel Gabriel 31 octobre 2014 14:47

    L’inde, la plus grande démocratie du monde est un pays proprement ingouvernable pour plusieurs raisons. Les trois principales sont : La première, les nombreuses religions qui s’y affrontent et qui désirent le pouvoir. La seconde, le système des castes qui cantonne une grande partie de la population à une misère sociale interminable. La troisième, une corruption endémique de tous les partis politiques et des organismes publics… C’est l’exemple parfait d’un ensemble de communautés dans l’impossibilité de vivre en harmonie sur le long terme tant leurs croyances et leurs idéaux diffèrent.


  • Le Corbeau Magnifique Le Corbeau Magnifique 31 octobre 2014 18:57

    Article documenté. Travail approfondi, recherche personnelle, bravo.

    Évidemment, moult crétins qui sévissent ici ont émis un « Pas d’accord ! » Y z’ont rien pondu, mais aiment à cracher sur le travail des autres !

    Pauv’ types !

    Mais c’est pas grave, tu sais, y z’ont pas l’intelligence branchée sur la haute-tension !


  • Abou Antoun Abou Antoun 1er novembre 2014 08:23

    où elle remporta 352 sièges sur 518 avec 43,7%, ????
    arithmétique agoravoxienne


  • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 2 novembre 2014 11:08

    Pour information, j’invite les lecteurs à se connecter sur Wikipédia et à comparer.

    La majeure partie de mon article a été réalisée sur la base des informations contenues dans l’article du journal « Le Monde » daté du 1er novembre 1984, portrait d’Indira Gandhi à la suite de son assassinat, que j’ai cité et dont j’avais repris une expression dans le titre.

    Je précise au passage que les pourcentages que j’ai indiqués pour les élections sont en nombre de suffrages exprimés, ce qui n’a rien à voir avec le nombre de sièges, bien entendu. Wikipédia apporte d’ailleurs sur ces données quelques informations contradictoires laissant croire que leurs rédacteurs ne comprendraient pas beaucoup les institutions indiennes. Concernant les informations biographiques elles-mêmes, il n’y a aucune raison qu’elles soient différentes d’une biographie à une autre, sous prétexte que celui qui l’a rédigée est différent ; les évènements sont factuels, restent les mêmes aux mêmes dates avec les mêmes causes et conséquences.

    Sur l’utilisation de Wikipédia, je rédigerai peut-être un article, car il y a beaucoup à en dire, en bien et en mal, en particulier chez les enseignants, et surtout leurs élèves.

    Bon week-end.


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