L’humanitaire au service du capital
« nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un tel multiplicateur de forces pour nous, une part si importante de notre équipe de combat. (...) Car [nous] sommes tous engagés vers le même but singulier, aider l’humanité, aider chaque homme et chaque femme dans le monde qui est dans le besoin, qui a faim (...), donner à tous la possibilité de rêver à un avenir qui sera plus radieux » disait Collin Powell (1). « Les Etats démocratiques doivent se mobiliser et exiger ce qui n’est au fond que le début de la démocratie, que des personnels humanitaires d’autres pays puissent porter secours à des populations innocentes » renchérit Nicolas Sarkozy à l’occasion du 90ème anniversaire de la Croix Rouge (2).« Ensemble pour l’humanité : 90 ans et au-delà » lui répond Juan Manuel Suárez del Toro son président. Bernard Kouchner, lui, parle de « l’idéologie occidentale des droits de l’homme » et du « droit d’ingérence humanitaire ». Mais ce droit n’est, en fait, que le droit du plus fort c’est-à-dire du non droit. L’humanitaire, quels que soient sa forme et ses acteurs, sert de prétexte et de couverture à des visées hégémoniques et impérialistes. Il est strictement au service du capital et des classes dominantes.
Hier on envoyait les missionnaires pour civiliser les « sauvages » en leur apportant lumière et civilisation, aujourd’hui on « s’ingère humainement » pour leur offrir démocratie et liberté. L’humanitaire a remplacé le missionnaire.
Un homme comme Bernard Kouchner, principal promoteur du « droit d’ingérence humanitaire », symbolise très bien l’hypocrisie, le cynisme et la violence de cette vision « humanitaire » du monde utilisée par les pays riches. Il est l’incarnation vivante de ce que représente ce droit. Payé par Total, il rédige un rapport niant, si l’on peut dire, totalement le travail forcé et les traitements inhumains infligés par le groupe pétrolier aux ouvriers birmans. Kouchner l’humanitaire, était également un farouche partisan de la guerre contre l’Irak (3) dont le nombre de victimes dépasse le million de morts. Kouchner, après Bush et Sarkozy, préparait aussi le monde au « pire » c’est-à-dire à « la guerre » contre, cette fois, l’Iran (4).Son amour pour l’humanitaire n’a d’égal que son admiration pour la guerre !
L’humanitaire et la guerre sont deux moyens contradictoires mais complémentaires avec un seul objectif :servir les intérêts des classes dominantes. Il est difficile de distinguer clairement l’humanitaire du militaire tellement les deux instruments sont imbriqués l’un dans l’autre. On fait la guerre au nom de l’humanitaire et on invoque l’humanitaire pour justifier la guerre. Mais l’humanitaire reste souvent subordonné au militaire comme le rappelle Stéphane Sisco membre du Conseil d’administration de Médecins du Monde, « La coopération s’opère à tous les niveaux sous la conduite du Pentagone, seul capable d’assurer le rôle de leader. Comme nous le voyons en Irak les forces armées fixent l’ordre des priorités et maîtrisent le déroulement de la mission, du pré-déploiement à la sortie de crise (exit strategy). Le contrôle est laissé au militaire, subordonnant l’acteur civil et humanitaire »(5). Idem en Afghanistan : « La militarisation de l’aide, les ERP [Equipes de reconstruction provinciales dirigées par l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord, OTAN], le trop grand nombre de services de sécurité et la confusion croissante des rôles ont contribué à réduire l’espace humanitaire et à véhiculer de fausses images sur le travail des ONG », confiait à l’IRIN (un département d’informations humanitaires des Nations Unies) Ashley Jackson, chercheur pour Oxfam à Kaboul(6). Les mêmes raisons engendrent les mêmes comportements au-delà des convictions des militants.
C’est au nom du droit d’ingérence humanitaire que les pays occidentaux (États-Unis, Union Européenne notamment) souvent avec l’aide de l’OTAN, leur bras armé, que le Kurdistan irakien fut envahi en 1991, l’opération « Restore hope » menée en Somalie en 1992, ou l’envoi d’une force d’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 etc. Quant à l’opération « Turquoise » menée par la France au Rwanda en 1994, toujours au nom de l’humanitaire, après le génocide des Tutsi auquel elle a largement contribué , voilà ce qu’en pensent les prêtres catholiques rescapés de cette tragédie humaine : « Les responsables du génocide sont les soldats et les partis politiques du MRND et de la CDR, à tous les échelons, mais plus particulièrement aux échelons supérieurs, appuyés par la France qui a entraîné leurs milices. C’est pourquoi nous considérons que l’intervention soi-disant humanitaire de la France est une entreprise cynique » (7).
Ainsi le droit d’ingérence, sous des prétextes humanitaires, permet et facilite l’ingérence impérialiste. Le droit d’ingérence est le droit du plus fort. Seuls les États les plus puissants peuvent intervenir et envahir militairement les pays pauvres sous la bannière humanitaire pour mieux piller leurs richesses. C’est pourquoi les pays du sud ont rejeté ce « droit d’intervention humanitaire » à la Havane en 2000 lors du sommet du G77(qui représente tout de même environ les 4/5 de l’humanité).
Chevènement : "Le droit d’ingérence est un néo-impérialisme"
L’humanitaire ne fait que soulager, dans le meilleur des cas, très momentanément la détresse humaine. Il ne s’attaque pour ainsi dire jamais aux racines des malheurs des hommes c’est-à-dire au capitalisme et son fonctionnement. Dans ce sens, il est non seulement au service de l’ordre établi, mais il le perpétue. L’humanitaire dans un système inhumain, est donc une illusion pour ne pas dire une absurdité.
Mohamed Belaali
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(1) Conférence à Washington, 26 octobre 200, cité par Rony Brauman « Mission civilisatrice, ingérence humanitaire » in Le Monde diplomatique de septembre 2005 :
(2) http://www.francesoir.fr/politique/2009/05/04/nicolas-sarkozy-defend-l-ingerence-humanitaire.html
(3) http://www.rue89.com/2007/08/22/kouchner-en-2003-facile-detre-contre-la-guerre
(4) voir l’AFP du 16 septembre 2007.
(5) http://www.infosentinel.com/info/article_09_sisco.php
(6) http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=85779
(7) African Rights, Death, Despair, 1142. http://www.voltairenet.org/article8056.html
(8) http://www.grip.org/bdg/g2050.html
(9) « Les organisations non gouvernementales (ONG) : un acteur incontournable de l’aide humanitaire », Philippe Ryfman
(10) Voir les sites officiels de ces ONG/Associations notamment leurs rapports financiers.
(11) Pour plus de développements sur cet aspect du sujet, voir le travail de Zsuzsa Ferenczy « Les ONG humanitaires, leur financement et les médias ». Institut Européen des Hautes études Internationales. Comme exemple de ce marketing « humanitaire », voir l’affiche d’Action contre la Faim http://www.culture-buzz.fr/blog/Street-Marketing-Humanitaire-261.html
(12) Pour plus de détails, voir le site de Planète Urgence http://www.planete-urgence.org/
En complément : Les ONG avec Christophe Réveillard et Aymeric Chauprade