mardi 20 mai 2014 - par asterix

Thaïlande : un coup d’Etat qui n’en est pas un mais l’est quand même

Pays bien connu des touristes occidentaux pour ses escapades cu-culturelles, la Thaïlande est en train de verser dans l’anarchie.

En cause, les deux partis dits des « chemises rouges – en fait le parti de la police « et des « chemises jaunes « - en fait celui de l’armée.

Les premiers dont le dieu est Thaksin Shinawatra réfugié à Dubaï depuis sa condamnation pour corruption massive ont pour eux une légitimité électorale, mais oublient de dire que c’est uniquement par une corruption poussée à l’extrême et l’achat massif des votes citoyens.

Les seconds qui regroupent les élites dépendant de la Maison Royale qui voudraient en faire autant, mais devraient pour ce faire vendre leurs terres ( plus de la moitié du pays ) et ne dégagent pas assez de moyens pour y arriver.

Au milieu : un peuple qui, maintenu dans l’ignorance ou l’illusion de son seul avantage financier immédiat, n’y comprend rien et n’a aucune culture politique. Selon un sondage organisé par THE NATION, un des deux plus grands organes de presse du pays, près de 50% de la population se dit amusée par ces péripéties qui, c’est un fait évident bien que non relevé par les analystes étrangers, ne la concerne absolument pas, mais qu’elle est seule à subir. Gangsters rouges contre gangsters jaunes. Chacun paye ses petites mains pour aller manifester tour à tour, celles-ci étant heureuses d’aller « travailler », entendu qu’elles sont - bien - payées pour participer aux manifestations, qui, lorsqu’elles sont poussées à l’extrême, deviennent subitement violentes lorsqu’interviennent les gros bras maintenus jusque là en retrait. Juste quelques petits morts de temps en temps pour entretenir le suspense sans que la signature de l’acte n’intervienne clairement, l’enfance de l’art.

Je vous le dis sans rire : la Thaïlande est, paraît-il une démocratie…

 

Un coup d’Etat qui n’en est pas un, mais l’est quand même, dis-je en préambule. Un peu d’histoire récente vous permettra de situer, non pas le vrai problème car celui-ci reste sous table, mais l’ambiance qui tourne autour…

Thaxin SHINAWATRA, un richissime Thaï du Nord dont la famille d’origine chinoise a fait fortune dans la soie, fut envoyé par celle-ci aux Etats-Unis y faire des études poussées d’inginérie électronique. Revenu au pays, il est vite devenu « l’homme par qui toute vente d’ordinateurs et de programmes passe « , tant et si bien que sa fortune déjà colossale s’est enrichie d’au moins deux zéros après quelques coups fumants dont la vente à l’étranger d’une compagnie de téléphonie mobile qu’il s’était accaparée pour pas grand-chose en réservant son transfert à un national ( donc lui ) puis en modifiant la loi pour en permettre la revente et surtout empocher la différence. D’abord nommé Ministre de l’Intérieur, il s’est empressé de faire joujou avec ses computers en collationnant des dossiers sur tout le monde, amis comme ennemis. La corruption étant l’âme même de la politique thaïe toutes tendances réunies, lui qui possède quasiment le monopole de la presse tant écrite que télévisuelle, il créa à partir de rien un Parti qu’il nomma « Le Thaï aime le Thaï « un mouvement hyper populiste et bien évidemment nationaliste à tous crins qui triompha aux élections. Il exerça le pouvoir sans partage, une première depuis l’établissement d’une monarchie constitutionnelle qui ne donnait plus aucun pouvoir réel à la Maison Royale, pouvoir qu’elle exerçait quand même sur le terrain via le Parti dit démocrate, construction bancale qui dura près de cinquante ans pour ne pas changer les choses et surtout pas les privilèges de l’aristocratie, tout en montrant qu’on les changeait quand même.

En fait, l’arrivée de Thaxin dans ce jeu pipé modifiait de fond en comble les cartes. Malin, ce dernier s’appuya sur les masses populaires et paysannes du Nord à qui il promit un sort meilleur et un système de sécurité sociale inédit qu’il réalisa d’ailleurs, même si celui-ci peut être considéré comme assez délabré et « ad minima « Un peu comme si Berlusconi s’était un jour piqué de social pour maintenir intact ses privilèges et toute la corruption qui tourne autour.

Une première législature qui fut entachée par la guerre du Yabbaa, nom local donné aux métamphétamines qui sont un véritable fléau pour la jeunesse, qui coûta en une semaine la vie à plusieurs milliers de trafiquants exécutés sans jugement, soit parce qu’ils étaient intégrés dans le circuit, soit concurrents, soit gêneurs pour d’autres motifs encore moins avouables. Ajoutons pour être complets la guerre sans merci livrée aux Musulmans de l’extrême-sud avec quelques pataquès meurtriers de dimension qui empêchent aujourd’hui encore toute vraie réconciliation sous un seul et même drapeau et vous aurez un résumé parfait de ce qu’est « le mouvement du peuple qui parle au nom du peuple « .

Un mépris total des droits humains les plus élémentaires et une corruption déjà effarante en soi, mais qui allait encore se propager à un échelon supérieur lorsque Thaxin laissa le choix à tous ceux qui la pratiquaient entre deux alternatives en leur disant : soit vous vous intégrez dans mon schéma et vous pourrez continuer, soit vous ne le faites pas et je m’arrangerai pour vous mettre de méchants bâtons dans les roues, ce qui fut réalisé à 100 % dans un sens comme dans l’autre.

Il devint donc vite l’ennemi mortel de ceux qui n’avaient jusque là jamais eu de concurrents et, par un rachat massif des votes, fut réélu triomphalement, au grand dam de l’aristocratie qui n’avait jamais pensé que le pouvoir allait définitivement lui échapper. Petit point de détail : la Maison royale thaïe est encore plus riche que sa consœur des Windsor en Angleterre, c’est dire.

Richissime, mais moins que la famille Thaxin, ce qui explique le fond du problème.

Et c’est alors que les ennuis judiciaires du sieur THAXIN SHINAWATRA débutèrent. Le pouvoir judiciaire, le seul resté fidèle au Parti Démocrate, le condamna à trois ans de prison ferme, mise à l’ombre à laquelle il échappa en fuyant à l’étranger, d’abord au Monténégro, puis un peu partout via quelques passeports diplomatiques de complaisance et enfin à Dubaï où il réside encore. Profitant du vide du pouvoir, les Démocrates s’y réinstallèrent, puis réprimèrent dans le sang, après un mois de tentatives d’appels au calme il est vrai, la révolte des Chemises Rouges, un mouvement créé de toutes pièces par le leader rouge ( ? ) pour paralyser Bangkok. Cette dernière voyant son économie péricliter, elle prit fait et cause pour les nouvelles autorités, sûres désormais d’avoir le champ libre pour exercer à son avantage le pouvoir.

C’était sans compter sur le diabolisme de Thaxin qui, par sa sœur Yingluck interposée, regagna triomphalement les élections suivantes avec des promesses teintées d’un populisme impossible à tenir mais qui faisaient bien sur un programme, le but étant de modifier le prescrit législatif pour permettre le retour de l’enfant terrible au pays. Panique à bord, tous les coups bas, dans un sens comme dans l’autre, empêchèrent ce retour, celui-ci dépendant du pardon royal que Sa Majesté – âgé aujourd’hui de 86 ans et qui ne quitte quasiment pas l’hôpital depuis quatre ans – ne lui a jamais conféré.

Donc, toujours avec les mêmes méthodes de rachat de vote et de populisme de bas-étage, Thaxin revenait au pouvoir, à la différence près qu’il ne pouvait toujours pas rentrer au pays. Qu’à cela ne tienne, il trouva la parade en faisant nommer sa marionnette de sœur Premier Ministre, elle dont on dit et même pas sous cape qu’elle prend tous ses ordres au téléphone depuis Dubaï.

Mais voilà, vengeance de la nature, le mécontentement grandit suite à une gestion catastrophique des inondations qui paralysèrent le grand Bangkok et toutes les villes situées le long des rivières menant au Chao Prao dont l’estuaire se trouve à la sortie de la Cité des Anges ( nom local donné à la capitale ). Placée devant le choix cornélien de laisser le centre des affaires du pays être envahi par les eaux ou contenir celles-ci dans les campagnes pour l’épargner, elle choisit la seconde option, ce qui lui fut amèrement reproché par les masses populaires qui étaient jusque là sa clientèle privilégiée. Ajoutons à cela le tonneau des Danaïdes financier que fut le rachat subventionné à un prix supérieur à celui du marché de la récolte de riz - la plus grande production agricole du pays - les paysans, dont le sort ne s’était pas amélioré d’un pouce car ce furent les intermédiaires qui filèrent avec tout le pactole, commencèrent à comprendre que non seulement on ne leur avait vendu que du vent, mais surtout que c’étaient eux qui, sous couvert d’économies drastiques, allaient finalement payer la note, une facture globale se montant à plusieurs milliards de Baths, la monnaie nationale. Pire, le pays déjà victime de la récession économique voyait filer des pans entiers de la production capitaliste dans des pays au salaire encore plus bas, beaucoup d’usines en périphérie de Bangkok, principalement celles produisant des puces électroniques et autres circuits imprimés ayant été rendues non fonctionnelles par la stagnation des eaux. Le bilan, si tant est qu’il y en a un, était catastrophique, mais faute d’autre choix sinon le retour au servage, la population à la formation politique quasi nulle mais toujours avide d’espoir réélit une fois encore les Chemises Rouges. Plutôt que d’accepter une défaite future qui s’avérait inéluctable, les Jaunes décidèrent de boycotter les élections, puis allèrent jusqu’à empêcher le déroulement du processus électoral, si bien que le quota de votants ne fut pas atteint. Victoire à la Pyrrhus, nos « démocrates « empêchaient par cette manœuvre dilatoire Thaxin de continuer son œuvre de captation totale, c’était gagné.

Gagné mais perdu ! Le gouvernement continua son action comme si de rien n’était, malgré le mouvement de protestation jaune – tout aussi factice et payé pour ce faire que celui de son concurrent rouge. Ultime parade, c’est alors que la Cour Constitutionnelle trouva le moyen imparable de reprendre la main en destituant la sœur de Thaxin SHINAWATRA pour de vagues raisons de corruption, un peu comme elle découvrait enfin l’existence de ce poison, alors que le pays, quelle que soit l’autorité à sa tête, n’a jamais vécu que de cela.

L’hypocrisie thaïe dans toute sa splendeur… 

Pauvre Thaïlande qui ne sait plus à quel saint ( à quel Bouddha ? ) se référer. Un paradoxe : elle aime au-delà du raisonnable son Roi considéré comme l’émanation de Bouddha sur terre, déteste son fils appelé à lui succéder, mais vote envers et contre tout pour son pire ennemi …sauf le Sud musulman qui est le seul, avec les élites aristocratiques, à soutenir le Parti démocrate.

Rien d’étonnant donc au sondage mis en exergue en préambule : cette Xième crise amuse le peuple plus qu’elle ne le divise, son choix se résumant à éliminer la peste ou le choléra, mais pas les deux.

Cela a marché quand il n’y a qu’un seul parti au pouvoir, mais est devenu impossible depuis qu’ils sont plusieurs à e pas vouloir se partager le gâteau.

L’armée et son Commandant en chef PRAYUTH CHAN, certainement guidé par plus haut ont donc décidé de prendre les choses en mains en proclamant la loi martiale et en interdisant la parution d’une dizaine d’organes de presse ( pour éviter la propagation de fausses nouvelles, dit-elle … ) non pas en prenant le pouvoir auquel cas elle serait désavouée par les USA, l’allié de toujours, mais, souriez devant l’euphémisme, pour sommer les deux parties à s’entendre : les Rouges qui veulent des élections qu’ils devraient en principe gagner grâce au réseau corruptif de Thaxin SHINAWATRA et les Jaunes qui veulent d’un Conseil du peuple non élu qui redonnera le pouvoir aux politiques …le jour où Thaxin ne se présentera plus, ceci sans le dire évidemment.

Superbe de déontologie à revers, elle a donc appelé les deux parties à collaborer avec elle en attendant de résoudre la crise, sous-entendu qu’elles se débarrassent l’une comme l’autre du clan Taxi.

Il n’y a donc pas de coup d’Etat sensu stricto, CQFD…

En attendant le prochain numéro qui pourrait bien être la guerre civile. Qui pourrait l’être si la Thaïlande n’avait pas un objectif supérieur : le business, le fric et rien que le fric.

Avec le sourire… Ce seul sourire commercial qui lui tient lieu d’émotion.

 



12 réactions


  • leypanou 20 mai 2014 17:25

    Merci à l’auteur pour ce bref petit résumé : j’ai beaucoup appris sur la Thaïlande à sa lecture.

    1ère remarque pour l’empire : tant que l’orientation globale de la politique locale n’est pas défavorable à ses intérêts, il laisse faire.
    2ème remarque : la facilité de manipulation du « peuple » avec des clopinettes ici, ailleurs avec des slogans/causes bidons genre patriotisme ou nationalisme ou liberté ou religion ou football, les vraies « affaires » étant bien sûr résolues ailleurs.


    • asterix asterix 20 mai 2014 22:05

      Merci de votre commentaire, Lepeynou.
      Il n’y a que le mot liberté qui me choque en ce qui concerne la Thaïlande, je le remplace par CONDITIONNEMENT.


  • L'enfoiré L’enfoiré 20 mai 2014 17:26

    Bonsoir Asterix,

     Je m’amuse toujours avec les proverbes. Les Thaïs sont succulents.

  • L'enfoiré L’enfoiré 20 mai 2014 18:09

    « Déclarer la loi martiale n’est pas un coup d’Etat », mais vise « à restaurer la paix et l’ordre public », a assuré l’armée dans une annonce faite au petit matin à la télévision, qui a suscité les inquiétudes de la communauté internationale.


    S’ils savaient combien de meetings qui tournent parfois très mal, se déroulent en occident, la loi martiale serait toujours en place. Pour rappel, elle met un pays en état judiciaire d’exception, au sein duquel  l’armée assure le maintien de l’ordre à la place de la police..

  • agent ananas agent ananas 21 mai 2014 12:16

    Sawadee krap kun Asterix

    L’imposition de la loi martiale par l’armée thaïe serait un moyen de prévenir que le pays sombre dans la guerre civile. La situation est tendue en Thaïlande suite aux nombreux attentats et attaques depuis décembre.
    Par ailleurs il est possible que le « Democrat Party » et ses alliés du PAD (chemises jaunes) font une erreur de ne pas vouloir participer aux élections. L’électorat du parti de Thaksin Shinawatra s’est effrité depuis le « collapsus » du programme d’achat de riz initié par le gouvernement de Yingluck. Les agriculteurs n’ont pas été payés suite à la chute du cours du riz, ce qui a provoqué de nombreux mécontentements et défections d’une grande partie de ceux qui constituaient la colonne vertébrale de son électorat.
    Il est vrai aussi, que l’achat de votes est une tradition en Thaïlande et que Thaksin à encore les poches profondes malgré ses déboires.

    Wait and see. Malgré le déploiement des troupes à Bangkok, l’activité n’est pas perturbée et paradoxalement apporte un sentiment de sécurité.

    Chok dee krap


    • asterix asterix 21 mai 2014 14:48

      Sabaïdee bô, khon Magnak ( ceci en lao )

      Ton intervention consolide mon analyse des raisons profondes qui ont mené à la dernière en date des crises thaïlandaises et des raisons profondes des 18 coups d’Etat qu’a connu ce pays depuis 1932. Nous en arrivons exactement aux mêmes conclusions, ce qui ne peut que conforter l’opinion que le lecteur d’Agoravox aura du sujet et qu’il ne trouvera pas dans la presse traditionnelle.
       
      Chokdee dheu ( toujours en lao )


  • ZEN ZEN 21 mai 2014 13:32

    Salur astérix

    Je ne sais rien de ce pays, et n’ai jamais voulu le visiter. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il est trop couru...Par contre, j’ai adoré le Vietnam profond.
    Merci de réparer mon ignorance, car je ne comprends rien à ce qui se passe.
    Je fais confiance à ton expérience.
    Un cycliste comme toi ne peut qu’être fiable...L’expérience au ras des pneus, à la bonne vitesse pour observer.
    Bien à toi


    • L'enfoiré L’enfoiré 23 mai 2014 18:00

      Salut Zen,

       Vous ne savez rien de ce pays. Moi pas beaucoup plus.
       Hier, j’ai vu le film «  »On ne choisit pas sa famille" qui se passe à Bangkok.
       Alors faisons un peu de pub smiley

  • ZEN ZEN 21 mai 2014 13:34

    On attend la parution de Zobelix au pays des Maemitang... smiley


    • asterix asterix 21 mai 2014 14:35

      Bonjour Zen

      Nous ne nous connaissons pas, mais avons deux hobbys communs qui sont le vélo et Agoravox dans les colonnes duquel nous avons l’occasion de constater que nous sommes très proches tout en ne s’étant jamais vus. J’en profite pour te saluer en tant qu’ami.
      Si la modération le permet, Agoravox est une grande démocratie, je ferai, pour la toute première fois en quatre ans, une publicité pour un de mes travaux, l’autre étant un remake du Vieil Homme et la mer, un roman sur Cuba qui devrait bientôt se trouver sur Amazone. Dans les deux cas, j’espère intéresser le lecteur avec ma vision de terrain du sujet. L’un et l’autre paraîtront sous mon vrai nom que, par pudeur et déontologie je n’ai jamais donné jusqu’ici.
      Bien à toi.


  • Serge LAURENT Serge LAURENT 25 mai 2014 21:50

     Taksin achéte les électeurs ? Ça les change des coups de baton, alors ils en redemandent, c’est leur choix. Peu importe que les rouges soit aussi méchants que les jaunes, selon vous. C’est les électeurs qui doivent décider. Le reste n’est que bavardage. Vive la démocratie !


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