lundi 1er février 2010 - par Pierre Thivolet

« Why Haiti matters » : Tous les nègres ne sont pas noirs, et tous les blancs ne sont pas blancs

Venir en aide à Haïti, ce n’est pas seulement aider des millions de personnes victimes d’une catastrophe épouvantable, ce n’est pas seulement venir en aide aux habitants d’un des pays « les plus pauvres » du monde. C’est aussi, pour la première fois, comprendre que l’humanité a une dette à l’égard des haïtiens. Une dette à l’égard de Haïti, première République noire, qui a payé depuis 200 ans, le combat pour les valeurs que nous défendons aussi « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». Haïti n’est pas un pays maudit, mais un pays puni, mis au banc des nations pendant plus de 100 ans pour avoir été « révolutionnaire ». C’est pour cette raison aussi que comme l’a écrit le Président Obama « Haïti matters ! » « Haïti est importante »..
Peu de pays, peu de cultures, peu de langues peuvent se dégager de représentations issues de cinq cents ans de domination du monde par le monde « blanc  », longtemps synonyme chez les « blancs » de civilisation. Et il est difficile encore aujourd’hui de ne pas se représenter notre monde en dehors du point de vue élaboré et transmis par les européens.

Prenez la « découverte » de l’Amérique. Sans rentrer dans le débat de savoir qui de Christophe Colomb ou des vikings ont atteint en premier les côtes américaines, comment ne pas « visionner » cette « découverte » sans adopter le « regard » européen ? Comme le résume Jean-Claude Bajeux, ancien ministre de la culture d’Haïti, « quand vous pensez aux caravelles qui s’approchent des rivages de cette île des Bahamas atteinte par Colomb en 1492, où vous trouvez-vous ? Avec les marins sur les caravelles, vous criez « Terre », et vous voyez sur la plage des « indiens » qui vous regardent approcher ? Ou bien sur l’île, sur la plage et vous voyez approcher ces pirogues, bizarres et ventrues, sur lesquelles s’agitent des êtres blancs et poilus ?  ». Tout est question de point de vue.

C’est comme le climat. Les européens ont décrété que la norme, le climat « tempéré », était le climat de Londres ou Paris, c’est-à-dire franchement un climat pluvieux et morose… Le reste est soit climat « froid » soit climat chaud. Alors que lorsque Colomb est arrivé aux Antilles, sa première réaction a été de trouver que climat était paradisiaque « aussi doux qu’un printemps en Andalousie ». Tout est question de point de vue.

C’est comme la « couleur  ». 400 ans d’esclavage nous ont tous conditionnés à considérer que tout ce qui n’était pas blanc-blanc était noir. Ainsi un métis blanc + noir est noir, « afro-américain » dirait-on au pays d’Obama. Et l’on sait que même 70 ans après la « négritude » d’Aimé Césaire, et de tous ces mouvements visant à remettre le « nègre debout », de Cuba au Brésil en passant par la Martinique ou la Guadeloupe, on considère encore un peu, trop ! qu’un enfant métis sorti clair est « bien sorti  », et que s’il n’a pas des cheveux crépus, il a « de beaux cheveux  »…

Un seul pays a inscrit dans sa culture traditionnelle, dans sa langue un autre « point de vue  » : Haïti.

Après la Révolution haïtienne et la proclamation de l’indépendance de la première République noire, il n’y a plus de blancs en Haïti. C’est un pays de noirs, en créole « nèg ». Tout ce qui entoure Haïti, ce sont des pays « blancs », en tout cas dominés par les « blancs ». En créole haïtien « blan » est donc synonyme d’étranger. Ainsi « Nan peyi blan » veut dire : « A l’étranger ».

Cependant, dans ce pays « noir », quelques « blancs » ont été « intégrés ». Ainsi, des « blancs » ont été aux côtés des « noirs » pour défendre la liberté puis l’indépendance. Comme, par exemple, et cela appartient à la conscience historique de tous les haïtiens, les polonais faisant partie des 30 000 soldats envoyés par Napoléon pour reconquérir Haïti. Ils ont rapidement déserté et rejoint les haïtiens. Après l’indépendance, ils se sont implantés dans le sud du pays, près d’Aquin et de Saint-Louis du Sud. Et aujourd’hui encore, quand on voit une personne au teint et aux yeux clairs, on pense souvent qu’elle est originaire de cette région. Il y eu aussi d’autres métissages, notamment avec des familles de commerçants venus de « l’étranger », obligés de se mélanger car pendant longtemps, les « blancs » n’avaient pas le droit de posséder un bien, une terre en Haïti. Ce qui a donné des « mulâtres » qui ont par la suite développé des monopoles dans le commerce avec l’étranger.

Malgré tout, le point de vue de départ est resté, que l’on retrouve dans la langue créole : Un blanc c’est un « nèg rouj », littéralement « homme rouge ». Et un noir américain peut être traité de « blan », c’est-à-dire d’étranger…

Bien sûr, les « valeurs » du vaste monde qui entoure Haïti, les « valeurs » du reste de la Caraïbe, ou des Etats-Unis, partout marquée par une hiérarchisation de la société héritée de l’esclavage, ces valeurs ont pénétré la société haïtienne qui perd petit à petit son "point de vue"original.

Mais l’exemple d’Haïti et de sa langue montre qu’il y a une autre voie que de partir d’une vision « blanche » , « européenne », « occidentale » du monde. C’est une nouvelle fois une démonstration de l’importance de la Révolution haïtienne de 1804 pour la lutte pour la Liberté, l’Egalité, la Fraternité de tous les hommes dans le monde. C’est cette Révolution haïtienne qui donne aux valeurs défendues par la Révolution française leur aspect universel. « Liberté, égalité, fraternité" « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » ne sont pas uniquement des valeurs réservées aux seuls blancs, aux seuls européens, aux seuls « pays développés », au seul "Occident chrétien". Mais pour tous, y compris les nègres, « nèg », c’est à dire « homme » en créole…

Pour cette seule raison, déjà, oui, comme l’a écrit le Président Obama. « Haïti matters  », c’est-à-dire qu’Haïti est importante pour nous tous, pour tous les hommes, pour le monde entier.

 
 


13 réactions


  • faxtronic faxtronic 1er février 2010 11:53

    et ?

    Haiti a eu une succession de dictateur tous aussi cingles les uns que les autres pendant 200 ans. 


    • Pierre Thivolet 1er février 2010 12:35

      c’est absolument faux. Haïti n’a pas eu pendant 200 ans que des dictateurs cinglés . D’ailleurs, en matière de dictateurs, l’Europe n’a pas été mal non plus : Napoléon n’a-t-il pas trahi les idéaux de la Révolution française ? N’a-t-il pas été un chef de guerre, de guerres responsables de millions de morts ? (Demandez aux espagnols ce qu’ils en pensent !!!), ce n’est pas pour autant que les idéaux de la Révolution n’ont pas marqué un progrès très important dans le combat pour les libertés. Quant à la très civilisée Allemagne, qui dans les années 1920, était un des phares de la « civilisation » européenne, produisant tant de Prix Nobel, de philosophes, n’a-t-elle pas produit avec Hitler un des dictateurs les plus fous ?


  • Arunah Arunah 1er février 2010 12:26

    Le point de l’homme blanc vous dérange ? Mais c’est celui qui témoigne qui écrit l’histoire ! 
    Nous attendons avec impatience les témoignages des premiers habitants d’Hispaniola...
    Le point de vue de Christophe Colomb est parfaitement légitime puisqu’il s’agit d’un témoignage de première main. 


    • Pierre Thivolet 1er février 2010 12:43

      Mais il existe d’autres points de vue ! (Lire : « L’envers de la conquête »). Le problème est que ces autres points de vue n’ont pas pu se faire entendre car le monde à l’époque (celle de la colonisation) était dominé par les pays européens . Aujourd’hui, le monde a changé, et les « européens » ( ou les pays d’origine européenne) sont confrontés à l’émergence d’autres pays qui ont un autre « point de vue » : Le Japon, la Chine, l’Inde. Remettre à sa juste place ce qu’a apporté le combat des Haïtiens à la lutte pour la liberté, l’égalité, c’est préparer le monde de demain, c’est démontrer à ceux (par exemple les fondamentalistes musulmans) que ces valeurs ne sont pas uniquement des valeurs européennes, « blanches » !


  • samdream 1er février 2010 13:47

    Encore un article de très faible niveau. Vous omettez deux choses à votre paradis haïtien : Toussaint Louverture faisait massacrer les mulâtres partisans de Rigaud et son fidèle Messaline a ensuite soigneusement massacré tous les blancs qui restaient après le départ des Français ! N’oublions pas que les tontons macoute sont responsables de l’exil de nombreux Haïtiens mulâtres.... c’est à ce prix que s’est fait cette 1ère république noire. Vous permettrez à chacun de penser que cette vision n’est en rien égalitaire mais plus dans la revanche des noirs sur les blancs.
    Pour le reste, votre cliché sur le métis qui préfère ne pas avoir les cheveux crépus est de la psychologie de trotoir, feriez-vous la même analogie sur les européennes aux cheveux raides qui se font frisées ?


  • samdream 1er février 2010 15:04

    Vous n’avez pas d’autres arguments que « ce n’est pas pire qu’ailleurs » ?


    • Pierre Thivolet 2 février 2010 11:23

      - Il ne s’agit pas de Messaline (ça c’est l’Empire romain !) mais Dessalines... et après l’indépendance, et 4 ans de guerre de résistance contre les 30 000 soldats envoyés par Napoléon pour rétablir l’esclavage... Vous vouliez quoi ? Qu’ils baisent les pieds de tous les blancs en leur disant « oui Bwana, tu veux me remettre en esclavage, mais moi, généreux et magnanime, je t’embrasse sur les 2 joues ??? »


  • Laminak 1er février 2010 16:56

    N’ecoutez pas les facheux. Bel article d’optimisme et realitude :)
    Lami.


    • Pierre Thivolet 2 février 2010 11:18

      Merci... Mais je suis consterné par ces réactions... Nos pères , ceux qui ont fait de notre pays le « pays des droits de l’Homme » (en tant comme idéal à atteindre) doivent s’en retourner dans leurs tombes au Panthéon !!!! Eux, qui avaient compris en quoi la révolte des esclaves haïtiens , au nom de nos principes, donnaient à la Révolution française une dimension universelle !!!!


  • voxagora voxagora 2 février 2010 08:17

    Me restent en mémoire des images télévisées des 1er jours après la catastrophe.
    L’une d’elles : un groupe d’haitiens arrivant à Port au Prince, et un reporter tendant un micro à une femme qui lui dit, éberluée : « Ce pays a changé, il y a des blancs partout ! »
    C’est net, c’est franc, et c’est normal : ce qui littéralement « saute aux yeux » quand un humain rencontre un autre humain, c’est son genre (homme, femme), puis ses couleurs : sa peau, ses yeux, ses cheveux etc..
    Vous avez un problème avec la couleur de la peau : en vous contortionnant pour nous expliquer qu’on peut avoir la peau noire et « être blanc dedans » ou l’inverse, c’est ce problème que vous essayez de résoudre.
    Cela ne veut rien dire « être noir dedans », dedans on est tous pareils, tous bons et mauvais en même temps.


  • Pierre Thivolet 2 février 2010 11:13

    « très faible niveau... ! » Je vous retourne le compliment : 


    - 1) Sur les préjugés hérités de la hiérarchisation blanc- noir des sociétés issues de l’esclavage, visiblement vous ne connaissez ni la Martinique, ni la Guadeloupe, ni le Brésil ni Cuba etc... Même si cela n’est pas dit ouvertement, les préjugés sont là à chaque naissance, où encore une fois on dit en créole quand une enfant sort plus « clair » « il est bien sorti », et quand il a des cheveux lisses (pas des cheveux défrisés, mais lisses) « i ni bel chivé » , il a de beaux cheveux. ET je suis bien placé avec ma peau blanche, les yeux bleus, et mes beaux cheveux pour parler de ces préjugés qui continuent à l’intérieur de nos familles, de la part de nos propres grand mères et des nos propres enfants !!!!!

    - 2) Toussaint , et les esclaves révoltés haïtiens de 1791 sanguinaires ? Je vous renvoie aux débats de l’Assemblée nationale et de la Constituante, avec notamment les interventions de Mirabeau, Sonthonax, et Dufay (tous français de l’hexagone) et notamment au débat du 4 février 1794 : « 
    Nous nous attendons bien que les ennemis des citoyens de couleur et des noirs vont les calomnier auprès du peuple français. Ils vont les peindre comme des hommes méchants et indisciplinables, enfin comme des êtres cruels et féroces. Citoyens français, ne les croyez pas ; ceux qui tiennent ce langage ne sont pas des colons fidèles, ce sont des colons contre-révolutionnaires qui font la guerre à la liberté et à vous-mêmes, d’accord avec des émigrés français ; ne les croyez pas, ils vous ont trompés tant de fois ! Ces noirs qu’on vous peindra si méchants, autrefois réunis dans des ateliers de trois, quatre ou cinq cents, se laissaient conduire par un seul blanc sans rien dire, et étaient dociles à tous ses caprices. S’ils étaient si féroces, les aurait-on menés si facilement ? Leur méchanceté n’est que dans le coeur de leurs oppresseurs ; c’est un prétexte que ceux-ci prennent pour justifier l’esclavage ; (...) Depuis trop longtemps ils avaient été vexés, opprimés et souvent torturés, martyrisés de toutes les manières : se sont-ils permis quelques vengeances ? n’ont-ils pas, au contraire, sauvé un grand nombre d’Européens dans les journées désastreuses des 20 et 21 juin ? N’ont-ils pas, au milieu des combats, respecté tous ceux qui étaient sans armes ? n’ont-ils pas sauvé tous leurs maîtres qu’ils escortaient eux-mêmes jusque dans le camp des commissaires ? Depuis que la guerre civile, allumée par Galbaud, a cessé par sa fuite, s’est-il commis un seul meurtre ? Que leurs ennemis parlent, qu’ils en citent un seul, nous les en défions ! Non, l’espèce africaine n’a pas à rougir d’un seul assassinat. Je vous observe que ce ne sont point les noirs, jadis esclaves, ni les citoyens du 4 avril qui ont été les agresseurs. Ils n’ont fait que se défendre, que résister à l’oppression, que protéger la sûreté des délégués de la République française.

    Si les noirs, depuis ce temps, ont mérité quelques reproches d’indiscipline, excusez-les, citoyens : ce sont quelques mouvements d’effervescence ; c’était l’effort d’un peuple encore nouveau qui brisait ses chaînes, et ne pouvait le faire sans quelque bruit, tant elles étaient pesantes. Ils ont été au premier moment agités du fanatisme de la liberté ; ils ne faisaient que d’être émancipés ; ils devaient naturellement avoir besoin de guides. Le monde, les lumières, les sciences ne se sont perfectionnés que par degrés, et il est pour les hommes un passage nécessaire de la jeunesse à la virilité.Législateurs, on calomnie les noirs, on envenime toutes leurs actions, parce qu’on ne peut plus les opprimer. Nous les mettons sous votre sauvegarde. Vous saurez démêler les causes de toutes ces accusations. - Il ne faut attribuer les écarts de la liberté qu’à ceux qui voudraient la détruire. »  

    Mais évidemment, j’imagine que ces débats qui ont conduit à la première abolition de l’esclavage en 1794 sont pour vous « de faible niveau » !!!!!


    • samdream 2 février 2010 12:08

      Rassurez-vous monsieur Thivolet, cet article est un cran au-dessus de votre précédent « papier » truffé d’erreurs. Au moins, je suis content que vous acceptiez la critique et que vous défendiez vos thèses. Ce que vous n’avez apparemment pas eu le courage précédemment.

      1) J’ai justement vécu pas mal d’années dans un pays à la majorité de la population est métissée pour contredire votre théorie. C’est de la foutaise d’européens bien-pensants. Faites-vous le même procès d’intention aux parisiennes bobos qui se font une permanente et des séances d’UV ?

      2) Evidemment, si vous me faites dire des choses que je n’ai pas écrites, on peut aller très loin. Sinon, quel rapport entre ce discours admirable qui a conduit à l’abolition de l’esclavage et mon propos sur les massacres de Louverture et Dessalines qui tempèrent votre apologie de la révolution haitienne ?
      .


  • toto1701 7 février 2010 00:30

    parti pris de l’auteur c’est son droit le plus absolu et aussi le talon d’achille de l’article.

    Qu’il m’explique comment 1 % de la population haitienne detient 50% de la richesse.
    Qu’il m’explique l’existence des « resteavec ».
     Qu’elle analyse fait il de l’absence totale de conscience politique collective ;

    remarques personnelles:un haitien m’a dit un jour « celui qui fait confiance a un haitien est un homme mort.
    Allez dire a mimi barthelemy la conteuse haitienne qu’il y a pas de blanc en haiti...Vous semblez ignorez cher monsieur que le vrai pouvoir est entre leurs mains.

    Proverbe haiti : moin cél un zozio moin ka posé an tout pié bwa , mé moin pa ka mangé tout grenn » missié moin, seraisje tente de dire



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