mercredi 19 janvier 2011 - par Olivier Perriet

Contre la censure

Si la censure émanait traditionnellement de pouvoirs établis comme l'État, l'Église et les religions en général, ce sont maintenant des associations qui, au nom de l'antiracisme, demandent à la justice de restreindre la liberté d'expression.

Les républicains radicaux qui ont permis, avec la loi de 1901, la libre association des citoyens, peuvent se retourner dans leur tombe.

Qu'on ne se méprenne pas : j'estime qu'une certaine restriction de la liberté d'expression peut se justifier pour autant que les appels à la haine ou à la violence soient sans équivoques.

J'avais développé une analyse allant dans ce sens au sujet de la seconde intifada (2000-2002), où la bulle médiatique crée par ce conflit a certainement énormément contribué à l'importation des violences en France, et à l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle.

Le cas d'Eric Zemmour n'est cependant pas précisément un appel à la haine, et le lamentable procès qui lui est intenté n'est que la manifestation d'une bien fragile Inquisition.

Il ne s'agit pas ici de défendre l'individu Zemmour : les enjeux soulevés par cette affaire dépassent largement les frêles épaules du polémiste de droite préféré du moment.

Il est inutile de jouer sur les mots en inversant le sujet et son attribut :

En prétendant que "[si la police contrôle plus fréquemment les jeunes issus de l'immigration, c'est parce que] la plupart des trafiquants sont des noirs et des arabes", on n'affirme pas que "la plupart des noirs et des arabes sont des trafiquants". Fin du débat.

Plus que la phrase en elle-même, les associations plaignantes mettent en cause les arrières pensées supposées de Zemmour, journaliste de droite revendiqué, sympathisant assumé du Front National, qui aime jalonner ses écrits de clins d'oeils à l'endroit de Jean-Marie Le Pen[1].

La démarche de ces associations vise à "mettre un coup d'arrêt à "la lepénisation des esprits" provoquée par un chroniqueur très médiatisé : si Zemmour prétend que la plupart des trafiquants sont des noirs et des arabes, il sous-entendrait en fait que la plupart des noirs et des arabes sont des trafiquants.

Seulement, à moins d'être Dieu le père, il est impossible de sonder les arrière-pensées des individus. Et il est extrêmement malhonnête de déformer des propos publics pour étayer un raisonnement.

Retour au temps de l'Inquisition, où les conversos (juifs et musulmans convertis) étaient sans cesse soupçonnés d'être de faux chrétiens. Retour à la fin du 17e siècle où un Louis XIV vieillissant allié au Pape traquait les jansénistes dissimulés à coup de prestations de serments sans cesse renouvelés.

Les débats crées sont en effet interminables et stériles : tel rappeur, qui a tenu des propos injurieux dans un de ses textes et s'en est excusé publiquement, mérite-t-il d'être invité au festival de La Rochelle ? Sa contrition est-elle sincère ou hypocrite ? etc…

Conséquence : une méfiance grandissante envers "le système", et une crédibilité accrue des propos que l'on souhaite combattre : c'est Georges Frêche réélu haut la main, Bigard (celui du 11 septembre) promu intellectuel !

Le débat public, lui, attendra, et prendra, au mieux, la forme des plaidoiries des avocats. Comme lorsque l'un des reproches faits à Zemmour est de faire l'impasse sur les causes sociales de la délinquance.

Certes, avec cette phrase lapidaire, on n'a pas rédigé une synthèse exhaustive sur la question. Mais depuis quand a-t-on la naïveté de croire que les "talk show" de Thierry Ardisson sont des lieux privilégiés de débat ?

Et ce n'est évidemment pas devant un tribunal que cette question doit être posée.

Le qualificatif "arabe" pour ne décortiquer qu'un mot de cette phrase, laisse perplexe. Il est vrai qu'il est revendiqué par une large partie des maghrébins eux-mêmes.

Pourtant, il me semble évident qu'il s'agit d'un emprunt à la conception allemande de la nationalité, qui privilégie une nationalité "culturelle", héritée, venue d'en haut, qui s'impose aux individus. Au contraire de la conception française qui fonde l'appartenance nationale sur une volonté partagée de vivre ensemble. C'est le fameux débat entre les historiens Mommsen, l'Allemand, et Fustel de Coulanges, le Français, sur "la nationalité de l'Alsace"[2].

Ainsi Messali Hadj, père fondateur de la nation algérienne, résumait les choses en disant que "[s]a patrie est l'Algérie, [s]a langue l'arabe, et l'Islam [s]a religion".

Exit donc les chrétiens et même les non arabophones, qui se trouvent sans le vouloir en dissidence…alors que les parlés berbères sont antérieurs à l'arrivée de l'arabe.

Comme le soulignait le chanteur (et kabyle) Idir : "Je ne sais pas ce qu'est un arabe, pour moi c'est un habitant de l'Arabie. Que l'arabe devienne la langue officielle de l'Algérie ne fait pas de nous des Arabes" (L'Est républicain, 19 avril 2009).

C'est pour moi une énigme non résolue que ce tropisme allemand du nationalisme arabe - et turc (il est vrai que les liens historique entre l'Allemagne et la Turquie sont très probablement un facteur explicatif décisif).

On n'en parlera pas. Encore…

Ne comptons pas sur les spécialistes patentés en la matière : tout occupé à instruire à longueur d'ouvrage le procès de la France en Algérie, Benjamin Stora voit dans le "jacobinisme" (c'est-à-dire, par extension, dans la colonisation française) la source de l'attitude méfiante du pouvoir algérien à l'égard de la Kabylie.

Sa dernière livraison[3] marque d'ailleurs clairement l'assèchement intellectuel du paradigme qui consiste à se pencher sans cesse sur les méfaits de la colonisation, afin d'obtenir un écho médiatique important - on ne compte plus le nombre de téléfilms et de films qui, souvent plusieurs soirs dans la même semaine, mettent en scène la déportation des juifs pendant l'Occupation ou la guerre d'Algérie.

Pourquoi l'homme qui a aboli la peine de mort en France en 1981 a-t-il laissé condamner à la peine capitale tant de militants nationalistes dans les années 50 lorsqu'il était Garde des Sceaux ? On a connu plus passionnant comme question : en 30 ans les gens peuvent changer…

Il faut donc faire toute la publicité possible autour de cette affaire, qui illustre l'absurdité d'un raisonnement "antiraciste" qui promeut ce qu'il combat et en est réduit à demander l'application de la censure. Un aveu de faiblesse ? Si on est opposé à une thèse, on la réfute, on en parle, on argumente, on ne demande pas à ses opposants de faire silence.

Nous vivons plus que jamais l'écroulement des modèles économiques, politiques, sociaux, moraux qui se sont imposés dans les années 80 et 90 (fédéralisme européen, libéralisme financier, ordre moral soi-disant antiraciste…). À court terme, il est donc plus qu'incertain de prévoir une fin heureuse pour la liberté d'expression dans cette affaire[4], puisque, lorsqu'un ordre se délite, il jette ses ultimes feux et cherche à paraître le plus intimidant possible. La fin en est pourtant écrite, et la reconstruction doit déjà commencer.

Olivier Pierret


[1] Ainsi dans Le Premier sexe (2006), Zemmour considère par exemple, avec une sympathie certaine, que l'un des derniers symboles virils présent dans un discours politique français féminisé est le fameux surnom "le menhir" que se donne à lui-même Jean-Marie Le Pen…

[2] Faut-il le préciser ? Il s'agit de théories. Lorsque l'Alsace est redevenue française, aucun référendum n'a eu lieu pour confirmer ce rattachement. Il ne s'agit que de théories, mais une théorie libérale a objectivement moins de chances de se traduire par un système autoritaire qu'une théorie en elle-même déjà peu libérale comme a pu l'être le nationalisme allemand et le pangermanisme, ou comme peut l'être actuellement le nationalisme arabe.

[3] Mitterrand et la guerre d'Algérie, Benjamin Stora et François Mallye, 2010

[4] comme l'a montré le procès de l'affiche de la France aux couleurs algériennes réemployée en la caricaturant par le FN lors de la dernière campagne des régionales, dans ce que je considère comme une sorte de troisième degré (rendre encore plus absurde un dessin déjà absurde). Une interprétation qui n'a manifestement pas été celle des juges.



17 réactions


  • Grasyop 19 janvier 2011 11:15

    Cet article aurait pu et aurait dû s’en tenir à la défense de la liberté d’expression.

    Malheureusement il dérive vers l’affirmation de positions politiques...


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 19 janvier 2011 17:01

      C’était pour développer un exemple de questions -le nationalisme arabe et l’adjectif "arabe employé à tout bout de champs- et que j’aimerais justement voir débattues ou, au moins, évoquées.
      Ce qui ne sera sûrement pas le cas si on censure tout ce qui touche aux immigrés/descendants d’immigrés.


  • paul 19 janvier 2011 12:46

    Se cacher derrière la liberté d’expression -qui permet de dire tout et n’importe quoi - revient aussi
    à défendre « le politiquement correct » qui est reproché à ceux qui invoquent les limites de cette liberté , qui, comme chacun sait, finit où commence celle des autres .

    Inutile d’aller chercher des justifications historiques à ce qui n’est qu’un amalgame douteux sur
    la base d’un constat de nature policière , sans aucune mise en perspective factuelle : grave échec de la politique sociale, compensée par une politique répressive et discriminatoire .

    Il est très inquiétant que de tels propos - qui plaisent à Hortefeux et à Le Pen - soient si peu contredits dans les médias, et même par certains de la gauche dite anti-libérale .
    Peut être une Hongri-sation de la sociéte .L’exemple vient d’en haut .


    • ecophonie ecophonie 19 janvier 2011 13:12

      Quelqu’un peut il m’expliquer cette phrase « Se cacher derrière la liberté d’expression -qui permet de dire tout et n’importe quoi - revient aussi à défendre » le politiquement correct « qui est reproché à ceux qui invoquent les limites de cette liberté , qui, comme chacun sait, finit où commence celle des autres . »

      J’ai déjà lu ce genre de moyen de défense mais n’en ai jamais saisi le sens.
      Cette phrase a-t-elle vraiment du sens ?


  • Crab2 19 janvier 2011 13:01

    Dans tous les partis il y a des gens intelligents mais encore plus qui ne le sont pas

    Commencement [s]

    Écouter l’enregistrement de France culture en fin de texte

    France culture

    Étienne KLEIN

    Michel Cassé

    et les Bogdanoff

    -Sur

    http://laiciteetsociete.hautetfort.com/archive/2010/11/02/medias-et-croyance1.html

    Ou directement sur

    http://blvids.free.fr/Commencement-%20en%20question.mp3

    Suite sur

    Illusions perdues

    http://laiciteetsociete.hautetfort.com/laboratoire-de-zetetique/

    Vidéo

    http://www.terre.tv/fr/evenements/85_26e-festival-science-frontieres/3473_quand-la-nature-inspire-lhomme

    SCOOP

    Dieu condamne la peine de mort bien trop couteuse

    Suite sur

    http://laiciteetsociete.hautetfort.com/archive/2011/01/13/0-2011-dieu-condamne.html

    Note

    http://blog.lefigaro.fr/transamerica/2011/01/dans-la-bible-belt-les-athees-font-de-la-resistance.html



  • Traroth Traroth 19 janvier 2011 16:09

    « ’En prétendant que »[si la police contrôle plus fréquemment les jeunes issus de l’immigration, c’est parce que] la plupart des trafiquants sont des noirs et des arabes« , on n’affirme pas que »la plupart des noirs et des arabes sont des trafiquants« . Fin du débat. »


    Et bien non, ce n’est pas la fin du débat. Ce n’est pas vous qui décidez quand le débat se termine.

    Si Zemmour ne laisse pas entendre que la plupart des Noirs et des Arabes sont des trafiquants, je ne vois pas en quoi on peut justifier le contrôle au faciès par le fait que la plupart des trafiquants seraient noirs ou arabes, puisque ça voudrait malgré tout dire qu’on va contrôler une majorité d’innocents  !

    • Olivier Perriet Olivier Perriet 19 janvier 2011 17:20

      Non certes ce n’est pas moi qui le déciderai (et heureusement) ce sont des juges saisis par des « antirascistes » smiley
      Vous déviez un peu du sujet : Zemmour n’est pas le porte-parole officiel de la police, il a cherché à fournir un élément d’explication en réponse à une mise en cause des méthodes policières, lors d’un débat spectacle où on ne privilégie pas le fond et les argumentations poussées.
      Et c’est Zemmour qui va être jugé, pas la police et ses contrôles.

      C’est à mon avis un autre débat, qui a déjà été posé ici : si le but de la police est de découvrir des délinquants, les contrôles impliquent forcément une certaine « discrimination » sans quoi on ne contrôlerait que des personnes n’ayant rien à se reprocher.
      Si on voulait avoir une action réellement égale partout, on contrôlerait également sorties de boîtes de nuit et sorties de maisons de retraites par ex.
      Ce qui serait sans doute peu efficace.
      Je suppose que toutes les polices du monde pratiquent de la sorte.

      2e : je crois l’avoir montré, je n’aime pas le mot « Arabe » appliqué aux Maghrebins. Et le mot « Noirs » (avec sa majuscule, s’il vous plaît) est aussi pitoyable.


    • Grasyop 20 janvier 2011 16:43

      « on va contrôler une majorité d’innocents  ! »

      J’espère bien ! Parce que si la majorité des personnes contrôlées sont coupables, il y a de quoi s’inquiéter !


  • etychon 19 janvier 2011 19:10

    Tout à fait d’accord pour défendre le soldat Zemmour quel que soit ses opinions politiques.
    Au sujet du nationalisme : le nationalisme allemand se base sur le sang et à ce titre on peut comprendre que les Allemands peuvent considérer les Alsaciens comme des Allemands.
    Le nationalisme arabe n’existe pas. Il n’y a pas de nation arabe. Le panarabisme a été inventé de toutes pièces par Nasser et les Américains, qui ont une vision simplificatrice du monde, ont abondés dans ce sens. Les Maghrébins sont à 95 % des Berbères qui, malheureusement ne connaissent plus bien leur histoire. Le nationalisme français se base lui sur une histoire commune et une culture commune.


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 19 janvier 2011 19:31

      Sur le nationalisme allemand, il me semble que les théoriciens du XIXe parlaient eux-même de la Kultur : en gros (je n’ai pas lu les échanges Momsen Fustel de Coulanges), pour le premier les Alsaciens sont Allemands car ils parlent un dialecte allemand et partagent une culture commune avec l’Allemagne, tandis que pour le second, les Alsaciens sont Français car ils le veulent.
      Il ne s’agit que de théories bien sûr.
      Le nationalisme arabe me semble directement inspiré du nationalisme allemand. On peut parler aussi si vous préférez « du nationalisme des pays arabes » car aucune tentative d’union n’a vraiment marchée.
      Si on raisonne par analogie avec la France : le territoire français était peuplé de gaulois qui parlaient leurs propres langues et ont adopté une langue latine latine après l’arrivée des Romains. Un phénomène semblable a dû se produire en Afrique du Nord de manière générale : l’Egypte millénaire n’a pas été submergée par des populations venues de l’Arabie mais a adopté leur langue et leur religion (même si les coptes comme les berbérophones d’ailleurs, symbolisent le maintien d’une tradition antérieure à l’arrivée arabe).
      En fait plutôt que de parler « d’Arabes » je préfèrerait parler « d’arabophones » (un terme un peu long, et qui peut désigner n’importe qui sachant s’exprimer en arabe) ou de Maghrebins (terme géographique, comme ça on est sûr de ne pas se tromper).


    • etychon 19 janvier 2011 19:47

      Les alsaciens sont devenus sujet du roi de France lors de la conquéte de l’Alsace par Louis XIV autour de 1650 a la fin de la guerre de 30 ans. Auparavent ils étaient parfaitement bien intégrer au saint Empire Romain Germanique et ne demandaient rien à personne. L’ Alsace a d’abord été peuplé par des celtes puis peu à peu ce sont les tribus des Allamands qui ce sont installées. Si ils parlent un dialecte allemand c’est parce que c’est leur langue maternelle. Les Maghrebins parlent très mal l’Arabe, leur dialecte ets souvent un gros mélange d’arabe de turc de berbère et de francais de plus parler d’arabophone ne ma parait pas logique dans ce cas il faudrait qu’on se définnissent comme latinophone ?


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 19 janvier 2011 22:01

      Oui, « arabophone » c’est pas terrible


  • nainbe 20 février 2011 19:13

    moi je ne suis ni raciste et ni antiraciste, mais des lois m’oblige a me soumettre si je me fais traiter de face de craie , j’ ai une mémoire des années 80-90 la police préferait controler les punk et hardrockers , n’ etaient jamais la quand y avait des agressions. qu’ il soit de n’ importe quel coins du monde , le respect de l’ un et de l’ autre est indiscutable je suis ouvert à toute les cultures et je suis fier de la mienne 


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