Le conditionnement évaluatif
La publicité n’est pas un art mais une industrie qui s’appuie sur des techniques dont l’efficacité est mesurable. Et ces techniques ne sont pas utilisées que pour vendre des produits dont on a pas besoin.
Vous vous rappelez certainement de cette publicité. Un footballeur célèbre et adulé, champion du monde de surcroît, décrit son quotidien dans les vestiaires avant le match, ses habitudes, ses rituels, avant de conclure qu’il ne manque pas de se désaltérer d’une grande rasade de Vivian.
La technique utilisée dans cette réclame porte le joli nom de « conditionnement évaluatif ». Le psycho-sociologue Jean-Léon Beauvois a bien décrit cette technique, notamment dans son ouvrage « Les illusions libérales » (PUG). Celle ci est d’une simplicité étonnante. Prenez une personnalité en situation valorisante et faites-lui affirmer quelque chose sans argumentation. Dans le cas de notre réclame, la situation valorisante, c’est le fait d’être champion, et l’affirmation non argumentée c’est boire Vivian. Cette technique a été développée aux Etats-Unis et son efficacité a été depuis largement vérifiée : ça marche, même auprès de ceux qui connaissent l’entourloupe : difficile d’échapper à son subconscient.
Tant que cette technique (et il en existe bien d’autres) n’est utilisée que pour nous inciter à acheter telle marque d’eau minérale plutôt que telle autre, pas de quoi fouetter un publiciste. Mais elle est employée aussi, et de plus en plus souvent, dans un cadre qui se prétend informatif.
Vous avez certainement déjà vu cette scène des dizaines de fois sur vos écrans. Un économiste renommé, professeur dans une grande université (situation valorisante) affirme de manière péremptoire « l’euro nous a protégé de la crise ! » (absence d’argumentation). On rappellera que la zone euro a été la première à morfler après la crise américaine des sub-primes : en terme de protection, on a vu mieux. Mais, comme pour l’eau minérale, ça va s’inscrire dans les esprits. Ce n’est plus une boisson que l’on vend, mais du prêt-à-penser. Insistons sur ce point apparemment paradoxal : il est statistiquement prouvé que sur une population, une affirmation sans argumentation est plus persuasive qu’une explication argumentée.
L’exemple de « l’euro qui nous protège de la crise » et ses produits dérivés n’est pas, hélas, un cas isolé et il serait interminable de lister les affirmations qu’on nous vend à l’aide de ce tour de passe-passe manipulatoire : cela va de « La France est le pays ou l’on paye le plus d’impôts » (elle est dans la moyenne européenne) à « Nous vivons au dessus de nos moyens » (nous aurions largement de quoi vivre si les financiers ne nous saignaient pas aux quatre veines).
Certaines émissions sont même devenues de véritables grossistes du conditionnement évaluatif. Citons par exemple « Le grand journal » (qui n’est pas un journal et dont la grandeur est très surestimée) qui se fait une spécialité d’inciter ses invités à s’en tenir à des affirmations sans argumentation (répondez par oui ou par non !) sauf bien sûr si l’invité n’a pas un discours politiquement correct, auquel cas ce sont les chroniqueurs qui prennent la relève.
Rappelez vous lors du référendum sur la constitution européenne. Combien de fois a t-on vu dans ce « journal » des invités en situation valorisante (artiste venant de sortir un livre ou un disque par exemple) interrogés en fin d’émission : « en un mot, oui ou non, qu’allez-vous voter ? ». Si l’invité répondait « oui », on passait à la pub, sinon, on lui demandait d’argumenter, ce qui affaiblissait le message. Heureusement, tout le monde ne regarde pas « Le grand journal », mais je fais le pari que ceux qui le regardent assidûment (il y en a) ont voté majoritairement « oui », sans trop vraiment savoir pourquoi.
On prête à Noam Chomsky cette phrase : nous sommes un troupeau d’esprits indépendants. Contrôler un esprit indépendant, c’est difficile. Contrôler un troupeau par contre…