mercredi 30 juillet 2014 - par Matthieu Stelvio

Comment l’Etat s’attaque à la liberté d’expression pour mieux massacrer les bouquetins

Ou la petite histoire d'un représentant du gouvernement qui use abusivement de son autorité pour exercer une pression nuisible à la liberté d’expression...

Le 15 juin, Thierry Lejeune, président du Conservatoire des espaces naturels de la Haute-Savoie (Asters) donnait son point de vue sur les abattages massifs de bouquetins ordonnés par le préfet de son département, et motivés par un foyer de brucellose : « franchement, on n’a pas été très honnête ». « Normalement, toutes les bêtes abattues devaient être analysées. Cela n’a pas été fait. On a simplement envoyé les carcasses à l’équarrissage. On a voulu gérer un problème par l’éradication d’une espèce protégée, au nom du principe de précaution. C’est du jamais vu. Surtout que la situation n’était pas aussi urgente qu’on a voulu le faire croire. Asters défend une position scientifique et non idéologique. On est allé trop vite. On a voulu jouer aux apprentis sorciers et on n’a rien réglé. Aujourd’hui, les études ne sont pas rassurantes. Il faut ramener le débat sur un plan rationnel et agir sur la base d’études scientifiques solides. Nous ne sommes pas prêts à accepter une nouvelle tuerie, en sachant très bien qu’elle est en préparation… »

Suite à cette déclaration, le préfet de la Haute-Savoie « a exclu Asters des réunions de concertation sur l’affaire des bouquetins du massif du Bargy » (1). Face à cette pression, le président d’Asters s’est senti obligé de demander au préfet « de bien vouloir accepter [ses] excuses les plus vives ».

Le Conservatoire que Thierry Lejeune préside est financièrement « grandement » dépendant du département de la Haute-Savoie. « Asters [est] un partenaire fiable et compétent des services de l’Etat depuis plus de 30 ans ». Pour sauver ce statut que le préfet ose bassement menacer, Thierry Lejeune est contraint de ne pas assumer ses propos (qui corroborent pourtant les analyses de scientifiques indépendants). En clair, le représentant du gouvernement en Haute-Savoie use abusivement de son autorité pour exercer une pression nuisible à la liberté d’expression ; ce qui n’est malheureusement pas vraiment étonnant chez ce responsable connu depuis longtemps pour son manque de diplomatie. Il y a quelques années, un journaliste de Libération évoquait une certaine agressivité du personnage ainsi que des « relations méprisantes » ; et le disait « roublard, cachotier, ador[ant] les coups en douce et les coups de force. »

En outre, le préfet prétend que « les associations de protection de l’environnement locales et nationales [sont] régulièrement consultées » sur cette affaire de bouquetins, ce qui est faux. De nombreuses associations indépendantes protestent contre ces abattages, le préfet les ignore. La seule association de protection de l’environnement ayant le droit de « dialoguer » avec le préfet est une association locale, la Frapna, qui est financièrement rattachée au département de la Haute-SavoieEn septembre dernier, cette association subventionnée a cautionné les abattages à l’aveugle de bouquetins, et est allée jusqu’à saluer cette mesure pourtant contraire à l’avis scientifique du Conseil National de Protection de la Nature. Depuis que cet avis est rendu public, la Frapna a fait volte-face, ce qui a déplu au préfet. Ainsi, le 14 avril, le dépositaire de l’autorité de l’Etat aurait virulemment « réprimandé » la Frapna durant une heure pour avoir soutenu ma lettre ouverte à la ministre de l’Ecologie (1). Le 1er juillet, face à la Frapna, le préfet aurait poursuivi l’intimidation en formulant « quinze minutes d’invectives » au sujet de la déclaration du président d’Asters (1).

Le préfet ne semble donc accepter de « dialoguer » qu’avec les partenaires financièrement dépendants de l’Etat ; et dès que ces partenaires ne le caressent pas dans le bon sens du poil, il les « réprimande », les intimide ou bien les exclut des concertations. En somme, face à un interlocuteur, la seule compétence que le préfet semble reconnaître est le hochement vertical de la tête, si bien que pour résoudre la situation sanitaire du Bargy, il n’est pas nécessaire de faire appel à des scientifiques, un jouet ayant une tête sur ressort suffirait (et permettrait à l’Etat de réaliser des économies).

Face au massacre à l’aveugle de centaines de bouquetins, animaux protégés et emblématiques des Alpes, aucune consultation citoyenne n’est organisée (ce qui est contraire au code de l’environnement). Et ce ne sont pas deux ou trois réunions avec deux représentants d’une association financièrement rattachée au département qui feront illusion. (Après plus de cinq mois, notre lettre ouverte reste sans réponse.) C’est un fait : un préfet, dépositaire de l’autorité de l’Etat et représentant direct du gouvernement, est donc libre de ne pas se soucier des citoyens, même lorsqu’ils sont réunis par dizaines de milliers autour d’une pétition. Contraire au suffrage universel, la nomination arbitraire et poussiéreuse d’un décideur aux pouvoirs si étendus ne coûterait-elle pas, parfois, très chère à une société prétendument démocratique ?

La pétition : http://www.sauvonslesbouquetins.com

(1) Source : Echanges privés avec des représentants de la Frapna.



4 réactions


  • Txotxock Txotxock 30 juillet 2014 09:02

    Et je ne vous dis pas les bouquetins de Gaza …


  • ben_voyons_ ! ben_voyons_ ! 30 juillet 2014 20:46

    Une « marche blanche » pour les bouquetins.


  • Depositaire 30 juillet 2014 21:11

    La question à poser est pourquoi ce préfet veut faire massacrer les bouquetins ? Quelle affaire sordide se cache derrière cette mesure absurde ? Il y aurait une histoire de « gros sous » que cela n’aurait rien d’étonnant. Il serait bien que les associatiosn locales enquêtes sur cette affaire. On pourrait avoir des surprises.


  • RICAURET 30 juillet 2014 22:55

    qu est ce que l on attend pour virer ce préfet qui ne fait que des dégâts comme le dit (par depositaire ) il y a anguilles sous roche
    il nous mène tous vers une catastrophe écologique et financière


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