Français « je vous aime »
Il est toujours difficile de mesurer l’impact réel d’un discours sur l’opinion, mais il faut aussi se rappeler que le verbe est important en ce sens qu’à lui seul il peut créer l’évènement, surtout mettre en place un environnement, une ambiance. Au Bourget tout était en place pour créer l'ambiance. Des artistes connus étaient là et bien ciblés par les caméras, le chouchou des Français, Yannick Noah en particulier et bien d’autres. Le tout PS avait répondu unanimement à l’appel et les éléphants se tenaient étroitement les coudes au premier rang d’une salle remplie dont les hourras bruyants gênaient parfois l’audition de l’orateur. Et l’orateur alors ? Et l’oraison ?
Le ton est maintenant connu, certains accents mitterrandiens sont parfaitement cultivés, mais il semble manquer quelques silences. On ne retrouve pas les géniales variations du ton de TONTON. Il avait le talent de faire respirer son discours avec parfois un susurrement presque confidentiel, pour retrouver le renflement d’une bonne dramaturgie. Chez François Hollande la variation est plus rare, moins emblématique, moins symbolique. On se prend parfois à être à bout de souffle, ce qui n’arrivait jamais avec Mitterrand. Le contenu du discours marque un changement très net avec des propos jusqu’à présent plus modérés. François Hollande tient sans doute compte des menaces qui pèsent sur sa gauche pour le premier tour. Il est indéniable que les idées remuées, les propos tenus sont plus radicalement à gauche et il sera intéressant de regarder les réactions côté Mélenchon. Désignant son ennemi "le monde de la finance", il nous reste à découvrir comment il mettra en forme cette louable intention. Dimanche après-midi Hollande a essayé de répondre à Mélenchon sur le « front de la gauche » Il clame « je suis socialiste » soulevant les hourras ; comme si des doutes existaient. A contrario quand il s’envole avec un « la France n’est pas un problème, la France c’est la solution » on se prend à croire entendre cette fois une Marine Le Pen. Dans la même veine, "attention les petits caïds, la République vous rattrapera" essaye d'éviter l'erreur d'un Jospin méprisant les questions de sécurité.
Sur de nombreux sujets on espère une conception européenne revisitée qui ne vient pas pour l'instant. Souvent brocardé pour son "flou", François Hollande a cette fois-ci dévoilé des tonalités de gauche décomplexée, prônant l'encadrement des loyers, la fin des bonus financiers et la fiscalité plus élevée pour les plus hauts revenus. Son souci d’en rajouter une couche l’amène quelquefois à des amalgames ou raccourcis un peu rapides. Ainsi quand il évoque les « pendus résistants » de son département, qui « eux ne demandaient pas de stock-options », il va tout de même un peu loin. Enfin, ce n’est pas le moindre des changements, la Marseillaise entonnée par la foule du Bourget nous éloigne des meetings socialistes d’hier : un apport de Ségolène Royal qui ne doit pas passer inaperçu. Les lèvres du candidat bougent à peine, mais la posture est bonne, on se croirait à un match de foot avec des joueurs mimant le psaume sur ordre de l'entraineur. Avec ce premier grand meeting, François Hollande vient de lancer effectivement sa campagne en déclarant sa flamme « j’aime les gens ». Qu’il sache que « les gens » n’ont pas besoin d’entendre « je vous aime » … Ils le sentent instinctivement !