vendredi 21 avril 2017 - par Sylvain Rakotoarison

L’autorité et la liberté

« Aucune intimidation ne fera plier notre volonté alors que depuis plus de deux mois, le plus incroyable système de dénigrement mis en place sous la Ve République tourne à plein rendement. En dépit de la situation économique, en dépit de la montée des périls extérieurs et alors même que des attentats continuent de se perpétuer sur notre territoire. » (François Fillon, le 27 mars 2017 à Nantes).

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La campagne présidentielle n’en finit pas de surfer sur le creux des vagues sans s’attarder au fond des choses, à savoir : quelle est la vision de la France de demain de chacun des candidats à l’élection présidentielle ? Au lieu de cela, il n’y a que des sujets périphériques qui détournent les électeurs des vrais enjeux (affaires, survie du PS, rassemblement de la gauche radicalisée, sourire du crémier, etc.). Pourtant, les électeurs se détermineront sur des enjeux de fond, pas sur la couleur du pantalon ou le prix des costumes.

On pourra regretter amèrement la campagne présidentielle de 2007, il y a dix ans. Il y avait eu un vrai débat de fond, sur des clivages bien particuliers, conséquence des personnalités très différentes des trois principaux candidats Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou qui ont véritablement renouvelé la classe politique dominée encore par Jacques Chirac, Lionel Jospin, Jean-Marie Le Pen, etc. Ces trois candidats ont entraîné à l’époque à la fois un fort mouvement d’adhésion militante (UMP, Désirs d’avenir, futur MoDem) mais aussi un mouvement de détestation personnelle et de rejet (quasi-passionnel).

Pour la campagne 2017, l’encéphalogramme est plutôt plat, au contraire de 2007. Certains candidats essaient alors d’en profiter pour mener le débat sur le clivage à propos de l’Europe. C’est un clivage qui avait été un grand facteur de division au sein du RPR à l’époque du Traité de Maastricht (1992) et au sein du PS à l’époque du TCE (2005). Les débats européens en France ont toujours été pollués par la politique intérieure et il faut bien avouer qu’il n’y a pas eu beaucoup d’enthousiasme politique en France depuis une vingtaine d’années pour la construction européenne, ce qui n’a pas empêché les gouvernements successifs de l’accompagner, plutôt mollement voire, parfois, honteusement. Sans compter que certains étaient contre l’Europe car ils voulaient plus d’Europe (allez comprendre !).



Au moins trois candidats voudraient faire de cette élection présidentielle un référendum pour ou contre l’Europe : Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau. Pourtant, ils se trompent d’élection (ce ne sont pas des élections européennes) et surtout, ils se trompent de clivage.

Car les problèmes en France n’ont pas pour origine l’Europe ou pas l’Europe. Le chômage, les délocalisations, la désindustrialisation, ce n’est pas l’appartenance à l’Union Européenne ni à la zone euro qui est la cause de ces maux. C’est la globalisation des échanges qui concerne le monde entier et ces maux deviennent des maux français parce que la France n’a pas su s’adapter à cette évolution.

La preuve que ce n’est pas l’Europe qui est en cause, c’est qu’au contraire, l’Allemagne s’en sort très bien. Pareil pour l’équilibre budgétaire, le déficit public, etc. D’ailleurs, la zone euro a permis des taux assez faibles que la France n’aurait jamais obtenus seule avec le franc.

D’ailleurs, parlons de la souveraineté nationale. François Fillon répète dans ses meetings avec raison que la France n’aura pas de souveraineté économique tant que ses finances ne seront pas assainies et qu’elles dépendront de créanciers étrangers. Invité de la matinale de France Inter le 30 mars 2017, le journaliste spécialiste des questions européennes Jean Quatremer s’est interrogé sur le niveau de souveraineté de la France si elle reprenait le franc. Par exemple, dans le cas où la Deutsche Bank augmenterait ses taux d’intérêt, quelle serait la nature de la souveraineté de la France ? Jean Quatremer l’a évaluée à …trois secondes. Le temps pour la Banque de France de réagir et d’augmenter aussi ses taux d’intérêt.

Les causes réelles des problèmes français ne sont pas à l’extérieur des frontières françaises mais à l’intérieur : les gouvernements depuis trop longtemps ont toujours refusé de réformer notre système social qui doit nécessairement s’adapter aux évolutions du monde et de la technologie, et quand ils cherchent à le réformer, ils le font d’une manière si honteuse qu’ils ont du mal à l’expliquer et sont rejetés par les électeurs.

Invité d’Yves Calvi le 30 mars 2017 sur LCI, l’ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali a expliqué qu’il existait deux idéologies très différentes du pessimisme ambiant en France. Il y a ceux qui considèrent que la France d’avant était mieux et qu’il s’agirait d’y revenir (retour au franc, etc.). Et il y a ceux, au contraire, qui trouvent que la situation actuelle leur est plutôt profitable, mais ils ont peur que cela ne dure pas et qu’elle se détériore. Ces deux pensées, très différentes, empêchent tout progrès et surtout, toute innovation car il faut surtout imaginer de nouveaux modèles pour adapter le pays aux évolutions du monde.

Une fois cela dit, quels sont les enjeux de l’élection de 2017 ? Certains veulent y voir le double enjeu du renouvellement et de la protection. Je crois bien sûr au besoin de protection, qui est double et, dans le clivage droite/gauche, qui est ambigu : la protection sociale de ne pas être déclassés, soi ou ses enfants, et la protection physique et matérielle de ne pas être dans l’insécurité.

Le besoin de renouvellement est bien sûr réel, c’est d’ailleurs ce qui a fait la popularité d’Emmanuel Macron, nouveau venu du paysage politique, mais y a-t-il un besoin plus grand de renouvellement que d’expérience ? Ce n’est pas évident. Vanter son immaturité politique peut inquiéter des citoyens déjà angoissés par un monde aux menaces multiples (terroristes, diplomatiques, économiques, migratoires, etc.). Le besoin de renouvellement a d’ailleurs été largement satisfait à partir du moment où Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Hollande, et dans une moindre mesure, François Bayrou, ne participent pas à l’élection 2017.

De nouveaux hommes, de nouveaux visages ont pris place, et finalement, ce sont ceux qui disent vouloir révolutionner les choses qui sont en fait les perpétuels candidats non renouvelés : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, et je n’évoque pas les "petits candidats" dont la plupart (à l’exception de Jean Lassalle et François Asselineau) n’ont rien de "renouvelé".

Au-delà du renouvellement des visages, y a-t-il vraiment renouvellement des usages pour Emmanuel Macron ? Pas certain. Ceux qui ont vu son meeting à Marseille le 1er avril 2017 (10 000 personnes revendiquées) ont vu du bel ouvrage, une communication politique parfaitement au point, mais rien de nouveau. Il faut revoir les meetings du RPR d’il y a vingt-cinq ans pour revoir les mêmes militants crier "Chirac Président !" ou les drapeaux s’agiter (évidemment pas, à l’époque, sur injonction par sms d’un chef d’orchestre en coulisses).

Le renouvellement des usages chez Emmanuel Macron, c’est peut-être le creux de ses discours, où il ne précise rien de son programme, il n’explique rien de la manière d’appliquer ce qu’il prétend proposer… mais certainement pas sa cuisine politicienne pour les investitures aux élections législatives où il a affirmé le 28 mars 2017 vouloir donner une part égale aux candidats d’origine LR, d’origine centriste, d’origine PS. Cela ressemble plus aux combinaisons et manœuvres de la IVe République qu’à une pratique renouvelée de la vie politique, malgré l’appel à candidature qui a fait remonter 14 000 dossiers de candidature pour 577 circonscriptions !

À mon sens, c’est le double besoin de protection évoqué plus haut qui va dominer les attentes des électeurs. Pour simplifier, il concerne la protection physique (se prémunir de l’insécurité et du terrorisme) et la protection économique (avoir un emploi ou pas). En d’autres termes, les deux enjeux, ce sont le régalien et l’économique.

Or, pour répondre à ces deux défis, il n’y a que deux réponses possibles pour être efficace. Le régalien nécessite l’autorité et l’économique nécessite la liberté.

L’autorité, c’est celle de redonner un sens à l’histoire, de remettre la France dans son cadre millénaire (c’est une récurrence de François Fillon depuis un an), c’est de redonner fierté à l’identité française. L’autorité, c’est de permettre aux enseignants de ne plus avoir peur de leurs élèves quand ils arrivent en cours. L’autorité, bien sûr, c’est aussi de pouvoir retrouver une parole influente dans le concert des nations, face aux grands ensembles, face aux conflits.

La liberté, c’est la seule valeur qui permettrait de créer des emplois. Que des activités ou des emplois meurent est dans l’ordre des choses, les technologies évoluent, la société évolue, les besoins de consommation évoluent et c’est donc normal de ne pas vouloir tout faire pour continuer à produire par exemple des tubes cathodiques. Le problème en France, c’est qu’on sait mourir mais on ne sait pas naître. Or, il faut tout faire pour créer de nouvelles activités économiques. Cela signifie tout miser sur l’innovation (trop peu d’investissements et pas beaucoup français), et tout miser sur la liberté de créer, en se débarrassant de tous les carcans administratifs qui découragent ou délocalisent toute nouvelle idée.

Si l’on prend ces deux critères, autorité et liberté, on arrive vite à une analyse assez facile des cinq principaux candidats à l’élection présidentielle de 2017.

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Marine Le Pen est certainement crédible sur le registre de l’autorité, mais absolument pas sur le registre de la liberté. Au contraire, elle a repris le même programme économique que l’extrême gauche (au grand dam d’ailleurs de sa nièce).

Emmanuel Macron, au contraire, présente une crédibilité inversée : il l’est sur le plan des libertés économiques, on peut lui accorder qu’il sait ce qu’est une entreprise et comment créer de l’activité. En revanche, il n’a pas beaucoup de crédibilité sur le régalien et cela ne s’improvise pas, cela s’éprouve. Comment un jeune homme de 39 ans sans expérience pourrait-il inspirer l’autorité de l’État et de la France dans le monde moderne ? On s’effraie du rappel que l’un des premiers objectifs du Président de la République sera de lutter contre le terrorisme islamique et de savoir s’il faut continuer ou pas l’état d’urgence (rappelons que chaque changement de gouvernement entraîne automatiquement la fin de l’état d’urgence, c’était le cas pour la nomination du gouvernement de Bernard Cazeneuve).

Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, parce qu’ils naviguent dans les mêmes eaux, se retrouvent dans une analyse similaire du point de vue du régalien et de l’économique. Parce qu’ils proposent des dizaines voire centaine de milliards d’euros de dépenses supplémentaires, ils empêchent toute initiative économique de se développer par une augmentation massive des impôts et taxes et de la dette publique. La liberté économique, seule créatrice d’emplois durables, n’est donc pas leur fort. Quant à l’autorité, ils ne peuvent en inspirer s’ils ne veulent pas réguler les flux migratoires ou s’ils montrent une certaine candeur face aux cyniques.

François Fillon a incontestablement l’expérience de l’autorité régalienne. Il n’a rien à prouver sur ce plan. Son livre contre le terrorisme islamique renforce cette crédibilité. Quant à l’éthique de liberté économique, il a accepté de reconnaître que son gouvernement entre 2007 et 2012 n’avait pas pris assez conscience des carences de la France pour libérer la création de valeur et l’initiative économique. Il l’a accepté de manière très humble, en allant quérir les conseils et avis de milliers de professionnels de tous les domaines pour savoir ce qu’il faudrait changer ou conserver et quelles seraient les priorités et les urgences. Son programme économique est le plus élaboré et aussi le plus motivé.

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On pourrait croire que l’autorité et la liberté seraient finalement deux notions contradictoires : l’autorité réduirait la liberté, et réciproquement. Précisons d’abord qu’il s’agit d’autorité régalienne de l’État, celle qui régule à l’intérieur et qui influence à l’extérieur, et de liberté économique, celle qui débureaucratise, qui libère les énergies, qui encourage l’innovation et la création. Ensuite, ces deux notions sont finalement fondées sur une même nécessité, le sens des responsabilités. Pas de liberté sans responsabilité. Pas d’autorité sans responsabilité.

La responsabilité est toujours une prise de risque, car l’assumer revient à dire en cas de problème qu’on se reconnaît coupable. Mais c’est aussi la seule voie du redressement, car sans assumer les réformes, le peuple ne suivra jamais (c’était le cas de François Hollande). C’est sans doute le pari de François Fillon. C’est un enjeu qui le dépasse. Qui dépasse sa femme, ses enfants, ses costumes coûteux, son patrimoine (plus faible du reste que celui de Jean-Luc Mélenchon). C’est aussi cela l’enjeu de responsabilité, celle de l’élu l’est aussi parce que ses électeurs sont responsables. On peut appeler cela également maturité démocratique.

C’est l’espoir du 23 avril 2017 : « L’Histoire nous apprend que les peuples se plaignent rarement dans les temps difficiles d’une excès de courage, de clarté ou de volonté. » (François Fillon, le 27 mars 2017).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Qui sera nommé Premier Ministre en mai 2017 ?
Macron ou Fillon ?
Le Pen et Mélenchon ?
La Ve République.
Un Président exemplaire, c’est…
Deuxième débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (4 avril 2017).
Les propositions des cinq grands candidats (20 mars 2017).
Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).

Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Programme 2017 de Benoît Hamon (à télécharger).
Programme 2017 de Jean-Luc Mélenchon (à télécharger).
Programme 2017 de Marine Le Pen (à télécharger).
Le bilan comptable du quinquennat Hollande.
La déclaration de patrimoine des candidats (à télécharger).
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 18 mars 2017.
Liste officielle des onze candidats à l’élection présidentielle (21 mars 2017).
Premier débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (20 mars 2017).
Les 500 parrainages.
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 18 mars 2017.
Le grand remplacement.
Campagne en état d’urgence.
Autorité et liberté.
Choisir entre Fillon et Macron ?
Comptes à débours.
Et si… ?
L’élection présidentielle en début janvier 2017.
François Fillon.
Emmanuel Macron.
Benoît Hamon.
Jean-Luc Mélenchon.
Marine Le Pen.
Nicolas Dupont-Aignan.
Nathalie Arthaud.
Philippe Poutou.
François Hollande.
Manuel Valls.
François Bayrou.
Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé.
Primaire de la droite et du centre (novembre 2016).
Primaire des socialistes (janvier 2017).
Primaire des écologistes (novembre 2016).

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5 réactions


  • foufouille foufouille 21 avril 2017 17:29

    « ces maux deviennent des maux français parce que la France n’a pas su s’adapter à cette évolution. »
    le retour en 1912 ?
    la belle époque ou la plupart des sans dents crevaient beaucoup en travaillant.
    et beaucoup d’argent sale pour la famille fillon ............ et ses amis.
     


  • xana 21 avril 2017 18:53

    Sylvain, tu nous les brises...

    Et tes images sont à dégueuler. Laisse tomber Photoshop, prends un autre logiciel.

    Bah, de toutes façons le résultat sera toujours aussi nul.
    Jean Xana


    • bouffon(s) du roi bouffon(s) du roi 21 avril 2017 19:01

      @xana

      Non, vous n’y êtes pas, c’est un jeu.

      1ere photo : devinez qui est-ce ?
      2eme photo : truc de logique, rond carré rond carré rond carré, trouver «  ? »
      3eme photo : le jeu des 5 erreurs
      4eme photo : mais où est Charlie ?
      quant à la dernière photo, je ne sais pas, un truc d’initiés, trop dur pour moi ^^


    • Yvance77 Yvance77 22 avril 2017 09:32

      @bouffon(s) du roi

      Ce n’est pas le Rakoto qui les brise, mais Avox dont la modération va piocher sur son blog pour prendre les billets de ce crétin. 

      Les coupables sont là chez Avox, d’avoir distiller la parole d’un salaud qui a pillé l’argent public... une vraie honte. Au nom de quoi d’ailleurs. Qu’il donne la parole à un gus de l’EI, une serial ailler tant qu’ils y sont.


  • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 22 avril 2017 08:58

    Le diagnostic est juste, notre déclin est un problème interne, l’appartenance à l’UE ne fait que le révéler et l’aggraver. Il est aussi essentiellement moral, car sans moralité, pas de confiance et sans confiance, pas de commerce florissant.

    En fait, tout est lié, baisse de l’autorité et de la moralité entraînant un déclin intellectuel et économique. Ce n’est pas la sortie de l’UE qui va régler ce problème par magie. Mais quid du problème migratoire ?


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