La Crise grecque ? Une tragi-comédie française !
Je n'ai sans doute pas tout suivi ni tout compris et je m'en excuse d'avance.
Mais la « passion grecque » qui a saisi la France en dit presque plus sur nous et notre nombrilisme mal pensé que sur le fond de la situation européenne :
« Tsipras a-t-il trahi ses engagements électoraux ? »
« Tsipras est-il un dangereux démago ou le prophète de la réorientation de l'Union européenne ? »
« Merkel est-elle la mère fouettard de l'Europe ? »
« Faut-il voter « nai » ou « oxi » au référendum...grec ? »
Telles sont les questions (cruciales) qui mobilisent à plein temps les commentateurs français.
Et c'est bien là que réside une partie du malaise : tout se passe comme si la France commentait la crise grecque de l'extérieure, alors que sa responsabilité (2e créancier de la Grèce, 2e économie de la zone euro, membre fondateur etc etc...), lui commande, d'une part, de proposer des solutions, et, d'autre part, de ne pas perdre son temps à trancher des débats dont elle n'a pas la clé.
Peu importe que Tsipras ne veuille pas sortir de l'euro puisque ce n'est visiblement pas le souhait de la plupart des Grecs non plus.
Peu importe que la classe politique allemande, socio-démocrates et conservateurs à l'unisson, ait quelques réticences à renflouer à fonds perdus la Grèce, approuvées par une population qui sort de 10 ans de « modération » salariale.
Nous ne sommes ni Grecs ni Allemands et il est finalement aussi absurde de reprocher à l'Allemagne de « trop bien s'en sortir » que de reprocher sa noyade à la Grèce depuis la rive.
Alors que cette situation confuse, cette partie de poker où chacun a intérêt à bluffer l'autre, exigerait un décryptage serré, les commentateurs, en plaquant leurs à-priori idéologiques, ajoutent un rideau de fumée supplémentaire.
Pour ce qui concerne les politiques français, passons rapidement sur le cas de Nicolas Sarkozy, totalement aligné sur les exigences de l'Allemagne, dont la sévérité ressemble fort à l'expression d'une rancune personnelle, lui qui était aux commande lors des précédents « plans de sauvetage » de 2011 2012...qui n'ont en définitive rien sauvé du tout.
Pour ce qui concerne le gouvernement, sa « stratégie » ne peut se lire qu'en creux :
François Hollande et Manuel Valls s'attribuent le rôle avantageux de Messieurs bons offices entre la Grèce et « ses créanciers » (dont nous sommes aussi).
« La Grèce doit rester dans l'euro...mais elle doit aussi rembourser ses dettes », ajoute aussitôt Michel Sapin.
Pour Jean-Luc Mélenchon, la Grèce ne peut être être "chassée" de l'euro, et doit faire valoir une sorte de droit à l'euro.
En clair, il faut surtout continuer comme si de rien n'était…
Ce qui revient, avec une certaine lâcheté, à confier à Tsipras le rôle de mandataire électoral d'un certain François Hollande, qui devait « renégocier les traités » et s'y est employé...pendant une demi journée. Le gouvernement grec s'est attelé à cette tache, seul depuis 6 mois, avec un pistolet sur la tempe. On a peu de risques de se tromper en prédisant que ses chances de réussite sont très minces.
Au fond, le PS, d'Emmanuel Macron jusqu'à Jean-Luc Mélenchon en passant par les frondeurs (bizarrement aphones sur la question), a sans doute une préférence secrète pour une sortie par le haut, la transformation de l'euro en grande monnaie fédérale, avec des transferts de fonds massifs entre pays devenus régions.
Cette option implicite, véritable utopie hors sol, n'est toutefois guère défendue diplomatiquement. On comprend facilement pourquoi, vu le contexte. Elle aboutit toutefois à la « solution », ou plutôt l'absence de solution, la plus injustifiable possible, à savoir prétendre jouer collectif (la mutualisation des dettes) lorsque tous jouent personnel :
L'Allemagne veut retrouver ses billes et poursuivre la politique de l'euro fort. Pour cela, elle est prête à faire sortir la Grèce de la zone euro.
La Grèce ne peut plus, à l'heure actuelle, payer ses échéances, mais approuve le principe d'une monnaie forte...pour en bénéficier malgré une économie dévastée.
Et la France ? Quels sont ses intérêts ?
En haut lieu, on semble l'ignorer...
On ne peut pas reprocher au gouvernement Tsipras de ne pas avoir fait de pédagogie pour exposer les mécanismes profonds qui animent cette construction européenne :
Lorsque les institutions européennes conditionnent l'aide financière à l'ouverture des magasins le dimanche, à l'augmentation de la durée maximale du temps de travail ou à la baisse du SMIC, toutes choses fort respectables mais qui n'ont qu'un rapport très lointain avec le remboursement des dettes souveraines, il est difficile de soutenir que l'euro est dissociable d'une politique de dérégulation économique et sociale.
Lorsque l'organisation d'un référendum soulève l'indignation et la condescendance, ou lorsque la « morale » est utilisée pour soustraire ces injonctions ultra-libérales au domaine du politique, les invocations rituelles à l'endroit de « la démocratie, valeur fondamentale de l'Union » sonnent bizarrement.
Enfin, lorsque des conditions draconiennes sont imposées sans envisager, contre l'évidence, que la Grèce puisse un jour quitter l'euro, il faut comprendre que tout doit être sacrifié au dieu monétaire, alors que la monnaie est censée servir la société, non pas l'inverse.
Lorsque François Hollande conclut de ces crises à répétition qu'il faut "faire avancer l'Europe", il faut comprendre que rien ne doit remettre en cause la fuite en avant qui anime l'Union depuis les années 90, alors que son modèle atteint ses extrêmes limites, que ce soit en Grèce ou en Ukraine.
Malgré cette crise, malgré les précédentes (et les suivantes), il est malheureusement à nouveau probable que notre nuage de fumée franco-français réussisse encore une fois à escamoter le débat, à l'image de la présidentielle 2007 et des trois candidats qui ont pu réintégrer sans trop de difficultés la dissidence qui s'était manifestée le 29 mai 2005.
Depuis le temps, si la prise de conscience massive n'a pas encore eu lieu, n'est-il pas trop tard ?