La France en marche vers la désintégration ?
Il n’aura échappé à personne que les deux scrutins nationaux de 2017 ont bouleversé l’échiquier politique. La lecture du précédent quinquennat permet de comprendre aisément les séquences ayant conduit à la configuration politique actuelle. Par contre, l’avenir reste plus que jamais illisible et incertain.
De 2012 à 2017, la France a été marquée par plusieurs phénomènes de grande ampleur. L’aggravation des inégalités, le chômage, le déclin de la ruralité, les actions terroristes et la vague de migrants, sans oublier l’accentuation des problèmes communautaires dans les cités. François Hollande a mené contre son gré une politique de division et les fractures se sont ouvertes au grand jour. Avec la question du mariage pour tous qui a divisé la droite et la politique de l’offre économique qui a divisé la gauche. Les frondeurs se sont radicalisés. On a vu le résultat après les primaires socialistes qui ont poussé Benoît Hamon sur le devant de la scène. A droite, la victoire du clan Fillon aux primaires a été propulsée par la frange radicalisée et catholique des sympathisants LR au détriment de la mouvance modérée incarnée par Alain Juppé dont l’un des très proches n’est autre que l’actuel premier ministre.
Le résultat de la présidentielle et des législatives était prévisible et conforme à ce que l’on pouvait attendre des électeurs et des politiques après l’épisode des primaires qui ont mis à jour les fractures présentes depuis des années au sein des deux partis dominants pendant la cinquième république, LR et PS.
La situation sociale est inédite. L’intensité des informations en boucle et des publications sur les réseaux sociaux crée une agitation intellectuelle guère favorable à l’élaboration d’une réflexion argumentée. Ce n’est même plus la défaite de la pensée mais la dissolution de la pensée qui nous guette. D’un côté les pouvoirs sont dans un déni de réalité face aux aspirations ou aux possibilités d’existence pouvant émerger parmi les populations. Mais ces mêmes populations sont gagnées par l’inculture et une forme de déni de réalité conduisant à propager les thèses complotistes et se complaire dans les ressentiments. La démocratie a placé au pouvoir une majorité capable de gouverner et pourtant nombreux sont ceux qui pensent que nous ne sommes pas en démocratie. Qu’ils nous expliquent alors ce qu’ils entendent par démocratie. D’aucuns ont même affirmé que les législatives de 2017 ont utilisé un suffrage censitaire et non pas universel. Ils feraient mieux d’ouvrir un livre d’histoire avant de professer de telles âneries.
Plus généralement, on assiste à un appauvrissement du langage, voire carrément une lente corrosion produite le plus souvent non intentionnellement, par des émotions, par la paresse intellectuelle, par les affects qui se substituent à la volonté et la puissance de la pensée. Les gens se sentent impuissants, n’ont plus de prise sur la configuration du monde qui à leurs yeux, s’effondre. L’habitation de l’homme vacille, la demeure se fracture et comme le langage est la demeure de l’être, alors ce langage lui aussi s’effiloche. Y compris chez les politiciens dont les phrases reproduites par les médias en boucle sont souvent dépourvues de sens.
Nous sommes dans une maison de fous. Si un sursaut du langage et de la pensée ne se produit pas, la France ira vers une lente désintégration ; avec en marche les entrepreneurs sachant parler la langue de l’entreprise et du commandement et en rade, les populations privées du sens et de voie, dépossédées du pouvoir herméneutique et de ce fait, possédées par les affects et les craintes. Les gens qui n’ont plus l’usage de la langue n’ont plus la liberté de pensée. Ils s’en remettent aux habiles gourous politiques ou religieux.
Dans le monde, une option possible se dessine avec le très conventionnel Etat policier dosé spécifiquement comme on en voit en Russie, Turquie ou Egypte. Les classes bourgeoises sont favorables à ce type de régime plus ou moins autoritaire qui garantit l’ordre. La France elle aussi n’échappera pas à cette orientation dont le sens dépendra de la manière dont penchent les classes moyennes et aisées. La société en rade n’est pas en mesure actuellement de proposer une force révolutionnaire. Et la société en marche risque de conduire à une fausse révolution. Il faut rester attentif et attendre les actes de ce nouveau gouvernement.
J’insiste sur le rôle du langage. Mon prochain livre articule les communications et les émergences. Il offrira quelques outils pour comprendre ce qui émerge actuellement en France et dans le monde. Emerge ? Ou se désintègre par liquéfaction sémantique ?