mercredi 23 août 2017 - par Sylvain Rakotoarison

Saint-Just : on ne fait pas la révolution innocemment !

« Je ne suis d’aucune faction. Je les combattrai toutes. » (Saint-Just, le 27 juillet 1794).



Le jeune avocat Louis-Antoine de Saint-Just n’était pas un saint de la Révolution française, mais il en a été l’un des milliers de martyrs : à son époque, la lame aiguisée de la guillotine fonctionnait à plein régime et imposait sa loi implacable. Il l’a connue à l’âge de 26 ans dans la logique suicidaire de la Terreur. Saint-Just, figure importante de la Révolution, est né il y a deux cent cinquante ans, le 25 août 1767. C’est l’occasion de revenir sur sa courte destinée.

Né à Decize, près de Nevers, Saint-Just n’a pas été un enfant facile et a même connu la maison de correction. Il a néanmoins poursuivi des études jusqu’à la faculté de droit de Reims pour devenir avocat. Il faut dire que sa capacité à parler et à convaincre était excellente, et aussi à écrire (il a même rédigé des poèmes très "osés" en 1787 qui lui auraient valu la prison s’ils avaient été signés).

Son "fief" fut la maison familiale à Blérancourt, en Picardie (son père est mort quand il avait 10 ans). Il était à Paris au début de la Révolution française et a même participé à la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 (il avait alors presque 23 ans). Son côté probablement romantique et exalté en a fait un penseur intransigeant. Pour lui, ce qui comptait, c’étaient les intentions, pas les actes. Probablement qu’il aurait aimé instituer un droit de penser !

Son exaltation provenait de sa fascination du Siècle des Lumières : Rousseau et aussi Montesquieu pour ses idées constitutionnelles. Il est incontestable qu’il a nourri une réflexion politique de haute envergure très jeune, et cette précocité, ainsi que cette impatience dans l’action, ont fait de ce jeune homme l’un des révolutionnaires les plus marquants de la période.

Il s’est lié d’amitié à Robespierre en août 1790 après un échange de correspondances. Robespierre, "l’incorruptible", de presque dix ans son aîné, ne pouvait qu’apprécier Saint-Just, "l’intransigeant". Dans les faits, Saint-Just suivit Robespierre dans toute son aventure humaine, jusqu’à la fosse commune.

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Cependant, en raison de son trop jeune âge, il lui était impossible de se présenter aux élections pour désigner l’Assemblée nationale législative qui se sont déroulées du 29 août 1791 au 5 septembre 1791. Cette assemblée avait pour but de mettre en œuvre la monarchie constitutionnelle en collaboration avec le roi Louis XVI.

La fuite du roi et son arrestation à Varennes-en-Argonne le 21 juin 1791, puis l’insurrection de la Commune de Paris le 10 août 1792 précipitèrent la fin de la royauté. L’Assemblée nationale législative s’est autodissoute. De nouvelles élections eurent lieu et pour la première fois, au suffrage universel à deux niveaux (auparavant, il s’agissait de suffrage censitaire).

Notons néanmoins que "l’universel" ne contenait que des hommes et les femmes ont dû attendre le Général De Gaulle en 1945 pour avoir le droit de voter elles aussi ! Ni les révolutionnaires de la Première République, ni ceux du XIXe siècle (1830 et 1848), ni les socialistes supposés progressistes de Jean Jaurès puis Léon Blum n’ont su faire accepter le vote des femmes.

Venant juste de franchir le seuil des 25 ans nécessaires pour être éligible, Saint-Just fut alors élu député d’Aisne le 5 septembre 1792 à la Convention nationale, selon une dénomination prise aux jeunes États-Unis. Dès la première séance de la Convention, dominée par les girondins (révolutionnaires refusant le progrès social), le 21 septembre 1792, la royauté fut abolie et la République fut proclamée. Saint-Just, lui, a rejoint Robespierre dans le groupe des montagnards (en haut de l’Hémicycle, républicains et progressistes).

On pourrait d’ailleurs faire commencer le clivage droite/gauche dans ce clivage entre ces députés révolutionnaires qui, en dehors du Marais (la Plaine), se polarisèrent soit du côté des girondins (favorables à une modération face aux monarchistes pour éviter une contre-révolution) soit du côté des montagnards sous la houlette de Robespierre (radicaux et prêts à affronter durement les contre-révolutionnaires). Le roi fut finalement guillotiné le 21 janvier 1793 après un procès peu régulier.

La domination des girondins sur la Convention a duré jusqu’au 2 juin 1793. La France révolutionnaire était prise de toutes parts, à l’extérieur par les monarchies voisines et à l’intérieur notamment par les Vendéens, mais aussi par ceux qui refusaient d’être tirés au sort pour faire partie d’une armée de 300 000 hommes pour combattre les monarchies européennes (selon la loi du 24 février 1793). Ceux qui refusaient de combattre étaient considérés comme rebelles et devaient être exécutés dans les vingt-quatre heures sans jugement. La Terreur démarrait…


En raison des difficultés économiques et des nombreux fronts armés, les girondins acceptèrent la création du Comité de Salut public le 6 avril 1793 pour diriger le pays face aux nombreuses menaces. À l’origine, les membres de ce pseudo-gouvernement étaient désignés tous les mois par la Convention. Du 6 avril 1793 au 10 juillet 1793, le Comité fut dominé par Danton, un montagnard "modéré". Le 26 mai 1793, Robespierre a appelé ses collègues à renverser les girondins et le 2 juin 1793, les montagnards ont provoqué une nouvelle insurrection (intervention armée à la Convention) et sont parvenus à faire arrêter les principaux responsables girondins avec la passivité d’un Danton qui n’avait plus la "pêche".

Et Saint-Just dans tout cela ? Dès les premiers mois de la Convention, il s’est fait remarquer par ses discours brillants et éloquents. Lors du procès de Louis XVI, le 13 novembre 1792, Saint-Just usa de belles formules percutantes comme : « On ne peut régner innocemment. ». Il est devenu un porte-parole de la Montagne particulièrement efficace et très dur contre les girondins.

À partir du 9 mars 1793, il fut envoyé par la Convention pour lever une armée et la faire combattre contre les forces coalisées des monarchies européennes. Pendant un an et demi, Saint-Just fut, avec Lazare Carnot (entré au Comité du Salut public quelques semaines après lui), le spécialiste militaire de la Convention et était pour la lutte totale, malgré les réticences de certains généraux, permettant notamment les victoires à Courtrai le 11 juin 1794, à Charleroi le 25 juin 1794 et à Fleurus le 26 juin 1794.

Associé au Comité du Salut public le 31 mai 1793, Saint-Just est devenu membre titulaire élu le 10 juillet 1793 jusqu’à sa mort l’année suivante. Le Comité fut alors dominé par la personnalité de Robespierre, très populaire dans "l’opinion publique", devenu membre élu le 27 juillet 1793.

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Saint-Just continua à remplir des missions militaires pour assurer la victoire de la France révolutionnaire face à l’Europe des monarchies, et fut même élu Président de la Convention nationale du 19 février 1794 au 6 mars 1794, fonction qui ne durait jamais plus de quinze jours successifs et qu’on pourrait assimiler, dans cette période institutionnelle troublée, à un poste de chef de l’État (inexistant depuis la chute du roi le 10 août 1792).

Partisan de la redistribution de la richesse, Saint-Just prôna, sans doute le premier, la "moralisation de la vie publique" en soutenant la confiscation des biens des suspects et en les redistribuant aux "patriotes" pauvres. Le 3 mars 1794, il s’en expliqua ainsi, au nom du Comité : « L’opulence est entre les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution, les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis (…). Les malheureux sont les puissances de la terre, ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. ».

En juin et juillet 1794, la Terreur terrorisait la plupart des députés. Hébert et ses amis ("ultra-révolutionnaires) avaient été arrêtés et guillotinés le 24 mars 1794. Danton, Camille Desmoulins et leurs amis ("modérés") avaient été guillotinés le 6 avril 1794. C’était d’une sorte de logique folle à laquelle Saint-Just contribua beaucoup. Il n’était pas bon d’être parlementaire à cette époque. Ce fut les girondins, amis de Brissot, futur guillotiné le 31 octobre 1793, qui initia le principe de mise en accusation devant le Tribunal révolutionnaire d’un député malgré son immunité parlementaire (le ténor montagnard Marat, qui fut acquitté le 24 avril 1793).

Entre le 10 juin 1794 et le 27 juillet 1794, 1 376 condamnations à mort furent prononcées sans interrogatoire, sans défense d’un avocat ni témoins, selon la seule intime conviction morale des juges et des jurés avec seulement deux verdicts possibles : l’acquittement ou la peine de mort (loi du 22 prairial an II). Saint-Just l’a reconnu lui-même : « Tout ce qui se passe est horrible, mais nécessaire. ». Danton, ferme partisan de la création du Tribunal révolutionnaire le 10 mars 1793, expliqua ce jour-là : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ! ».

Dans les faits, le bilant statistique de la Terreur est …terrible : environ 500 000 personnes furent incarcérées et environ 100 000 personnes furent exécutées entre 1793 et 1794, dont environ 17 000 guillotinées, 30 000 fusillées, les autres massacrées ou noyées dans la guerre civile.

La victoire de Fleurus a permis à l’armée française de conquérir en quelques semaines Anvers et Liège. La victoire sur l’Europe coalisée était irréversible, la Révolution était sauvée, il n’y avait donc plus besoin de la Terreur, selon la Plaine. Un membre "centriste" du Comité du Salut public, Barère (1755-1841) constata, dans ses mémoires : « Les victoires s’acharnaient sur Robespierre comme des furies. ». Robespierre ne participait alors plus aux séances du Comité depuis la fin juin 1794, traité aux réunions de "dictateur", après avoir claqué la porte en disant : « Sauvez la patrie sans moi ! » (selon le conventionnel René Levasseur, lui aussi coauteur de la loi créant le Tribunal révolutionnaire le 10 mars 1793).

Un rassemblement de conventionnels, très hétéroclite, se forma pour s’opposer à Robespierre. Ce dernier commit une erreur tactique fatale lors de son dernier discours à la Convention le 26 juillet 1794 : il ne cita pas les noms de ceux qu’ils voulaient éliminer. Tout le monde a eu peur et fut convaincu qu’il fallait le renverser.

Saint-Just avait une position légèrement différente. Il voulait préserver l’unité au sein du Comité du Salut public et avait cherché avec Barère, le 23 juillet 1794, une solution pour mettre tout le monde d’accord. Le 27 juillet 1794 vers midi, Saint-Just n’a même pas eu le temps de prononcer son discours à la Convention qu’il fut pris à partie et interrompu par Tallien. Il fut alors lui aussi mis en état d’arrestation.

Saint-Just avait commencé son discours ainsi : « Je ne suis d’aucune faction. Je les combattrai toutes. Vos Comités de Sûreté générale et de Salut public m’avaient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu’avait éprouvée l’opinion publique dans ces derniers temps. La confiance des deux comités m’honorait. Mais quelqu’un cette nuit [les montagnards Billaud-Varenne et Collot d’Herbois] a flétri mon cœur et je ne veux parler qu’à vous (…). On a voulu répandre que le gouvernement était divisé : il ne l’est pas ; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu. ». Il proposa un décret pour proclamer que les futures institutions « présenteront les moyens que le gouvernement, sans rien perdre de son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l’arbitraire, favoriser l’ambition, et opprimer ou usurper la représentation nationale ».


Arrêtés le 27 juillet 1794, Robespierre, Saint-Just, Georges Couthon et d’autres robespierristes furent libérés le même jour par la Commune de Paris et protégés à l’Hôtel de Ville de Paris. Les troupes de la Convention vinrent alors les rechercher. La Commune de Paris était prête à organiser une insurrection populaire pour les défendre, mais Robespierre refusa probablement par légalisme et préféra laisser son destin aux mains des conventionnels (devenus "thermidoriens").

Le 28 juillet 1794 dans l’après-midi, l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire Fouquier-Tinville condamna à mort sans procès Robespierre (qui avait reçu une balle dans la mâchoire la veille), Saint-Just et vingt autres robespierristes. Ils furent guillotinés immédiatement et jetés dans une fosse commune avec de la chaux vive pour ne laisser plus aucune trace du "tyran". Un anonyme a même écrit, en guise d’épitaphe imaginaire de Robespierre : « Passant, ne t’apitoie pas sur mon sort, si j’étais vivant, tu serais mort. ». Plus de soixante-dix autres amis de Robespierre furent exécutés le lendemain et surlendemain.

Les robespierristes ont été victimes de leur propre loi du 22 prairial an II. Couthon, qui avait fait voter à la Convention, de façon unanime, le 25 septembre 1792, ce célèbre article : « La République est une et indivisible. », avait déclaré à la Convention pour défendre cette loi implacable : « Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître. Il s’agit moins de les punir que de le les anéantir (…). Il n’est pas question de donner quelques exemples, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie ou de périr avec la République. » (10 juin 1794).

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Inflexible dans sa logique révolutionnaire, ultracombatif dans la défense militaire de la France révolutionnaire, Saint-Just fut une sorte d’étoile filante furtive dans la vie historique du pays, qui ne brilla qu’une vingtaine de mois. Il fut néanmoins, selon notamment le philosophe Jean-Pierre Faye, l’inspirateur principal de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclamée le 24 juin 1793 en guise de préambule à la Constitution du 5 messidor an I ratifiée par le plébiscite du 9 août 1793 (jamais appliquée car la Convention avait décrété le 10 octobre 1793 que le gouvernement resterait révolutionnaire jusqu’à une situation de paix).

Parmi les innovations par rapport à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen votée le 26 août 1789, il y avait de nouveaux droits économiques et sociaux (association, instruction, etc.), un droit à l’insurrection populaire quand le gouvernement viole les droits du peuple (droit de résistance à l’oppression) et surtout, la définition de la souveraineté populaire (au lieu de nationale). L’inscription du droit (et devoir) à l’insurrection avait surtout pour objectif de "légaliser" a posteriori l’insurrection du 10 août 1792 de la Commune de Paris : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (article 35).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 août 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Saint-Just.
Napoléon Ier.
Le Congrès de Vienne.

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9 réactions


  • adeline 23 août 2017 11:27

    Il a même écrit sur AVX mais son compte et tous les commentaires ont été supprimés.


  • bob de lyon 23 août 2017 11:34

    Fouché et Barras, les deux vrais salopards de la période, s’en sont servis pour se disculper de leurs propres turpitudes…

    Il faudrait, un jour, leur rendre justice à ces deux là !


  • zygzornifle zygzornifle 23 août 2017 17:04

    c’est pas faux st just ....


  • Cateaufoncel 23 août 2017 19:53

    Il est cocasse que les philosophes de la Raison aient engendré une bande de fanatiques aussi prompts à se laisser submerger par leurs sentiments (haineux).

    Cela aurait pu servir de point de départ à une réflexion ultérieure empreinte de sagesse et de bon sens. Au lieu de quoi, on en est encore à écrire « lumières » avec un « L » majuscule.


  • zygzornifle zygzornifle 24 août 2017 15:19

    Saint Justin Bridou a terminé en chair a saucisse ......


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