mercredi 20 juillet 2016 - par Pale Rider

Extrémisme chrétien, extrémisme musulman, ou : chariots de feu contre camion de la haine

« Toutes les religions se valent. » « La violence, c’est de la faute des religions. » Ces amalgames faciles sont impossibles, notamment entre le christianisme et l’islam. Il faut absolument examiner les textes que leurs adeptes considèrent comme fondateurs et sacrés.

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Eric Liddell
Champion olympique et missionnaire

Dans les débats sur l’islam, on entend dire tout et n’importe quoi. Et on assiste à un festival d’hypocrisie. Ainsi, telle association musulmane ayant participé à une réunion très sympathique entre chrétiens et musulmans (j’y étais) n’a rien trouvé de mieux que d’inviter, quelques mois plus tard, Tariq Ramadan, le maître de l’ambiguïté, celui qui se présente comme un grand démocrate tout en admettant qu’un homme puisse battre sa femme. Or, Tariq Ramadan n’est pas l’ami des chrétiens, et je doute qu’il soit approuvé par toute la communauté musulmane. Double langage. Double attitude.

Le salut par la guerre sainte

 On entend également dire que l’islam n’est pas guerrier, pas agressif, alors qu’il suffit de feuilleter le Coran quelques minutes pour y trouver des versets appelant explicitement à l’extermination des infidèles : « Quand vous rencontrez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage… » (Coran, 47.4) « …tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les, et guettez-les dans toute embuscade ; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière, s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est indulgent et miséricordieux. » (C, 9.5 ; voir 2.190-191, etc.) La miséricorde d’Allah ne s’applique donc qu’à ceux qui se sont soumis, pas aux pécheurs qui ne sont pas encore convertis.

 Il n’est donc pas honnête de refuser aux islamistes la légitimité religieuse qu’ils s’attribuent pour massacrer, à la Kalachnikov, au couteau ou au camion, tous ceux qu’ils estiment être infidèles à la voie indiquée par Mohammed. Leur légitimité, ils la tirent du Coran même. Sur les textes sacrés de l’islam, il n’est pas possible de distinguer, pour être religieusement correct, l’islam de l’islamisme sur cette question. Voilà pourquoi, malgré leurs condamnations de principe, les associations musulmanes sont bien timides parce que, pour être parfaitement en phase avec la réprobation publique, il faudrait qu’elles renient une partie des textes qui fondent leur foi. Étant moi-même croyant, je conçois que cette démarche est très difficile, même avec le débat théologique intra-musulman sur les « versets abrogeants » et les « versets abrogés ». Mais le problème est bien un problème scripturaire coranique et non un problème d’extrémiste islamiste.

 Mais il y a pire : en islam (comme dans le catholicisme, d’ailleurs), on n’est pas assuré de son salut éternel. Or, en islam, la seule façon d’être sauvé pour l’éternité, c’est de mourir au djihad : « Ceux qui auront succombé dans le chemin de Dieu, Dieu ne fera point périr leurs œuvres. Il les dirigera et rendra leurs cœurs droits. Il les introduira dans le paradis dont il leur a parlé. » (C, 47.5-7)

Et les guerres bibliques ?

 Je m’attends à l’inévitable réplique : puisque, dans ta fiche AgoraVox, tu te dis chrétien, tu sais très bien que la Bible est remplie de violence, de guerres, et même d’exterminations. Tu sais que des petits malins ont même fait des statistiques par traitement de texte pour déterminer qu’il y avait plus de versets violents dans la Bible que dans le Coran.

 Tu sais aussi que, pendant les Croisades, tes amis chrétiens ont promis le salut à ceux qui allaient combattre les infidèles en Terre sainte. Ils ont fait contre les musulmans ce que certains musulmans font aujourd’hui contre les « Croisés ». Retour à l’envoyeur.

 Oui, tout cela est exact. Et ça pourrait donner raison à ceux qui disent que les religions sont des activateurs de violence. Et, en effet, quand on se réclame de Dieu, quand on fait retentir « Allah akhbar » comme cri de guerre juste avant d’aller se faire exploser au milieu d’un marché à Bagdad ou ailleurs, rien ne peut plus nous arrêter puisque c’est le Créateur lui-même qui cautionne notre sacrifice. Oui, tout cela est exact. Mais il faut rappeler (je l’ai déjà montré ici même) que le record de massacres a été établi par des idéologues athées : Staline, Mao, Pol Pot, entre autres. L’idée selon laquelle les religions seraient plus violentes que l’absence de religion ne tient pas la route cinq minutes, surtout quand on considère l’histoire sanglante du xxe siècle. Les Russes d’aujourd’hui savent que c’est l’athéisme qui a été leur pire exterminateur.

 La Bible est composée de l’Ancien et du Nouveau Testaments, le premier annonçant le second, le second se réclamant du premier. Je ne vais pas me lancer dans une argumentation théologique qui prendrait beaucoup trop de place ici. La Bible n’est pas un seul livre, mais un recueil de livres rédigés sur plus de mille ans, contrairement au Coran qui se présente d’un bloc comme parole incréée de Dieu. La différence est essentielle pour appréhender les textes. Cela posé, je me limiterai à quelques remarques parfaitement vérifiables :

 Les guerres bibliques tournent essentiellement autour de la conquête de la Terre promise, puis de sa défense. Sur le plan moral, elles ne sont pas sans poser des questions difficiles, elles restent embarrassantes, malgré de fort bonnes études qui en montrent la logique liée à leur époque : impossible de les lire avec nos lunettes d’Occidentaux du xxie siècle sans faire un effort d’herméneutique. Néanmoins, le peuple juif n’a jamais cherché à convertir ses voisins, il n’a jamais cherché à se répandre au-delà des frontières que ses textes lui avaient assignées. Plus encore, la guerre n’y est pas glorifiée en tant que telle. Nous en avons un indice dans l’épisode suivant rapporté dans la Bible : « [David] appela Salomon, son fils, et lui ordonna de bâtir une maison pour le Seigneur, le Dieu d’Israël. David dit à Salomon : Mon fils, j’avais à cœur de bâtir une maison pour le nom du Seigneur, mon Dieu. Mais la parole du Seigneur m’est parvenue : ‘Tu as répandu beaucoup de sang, tu as fait de grandes guerres ; tu ne bâtiras pas une maison pour mon nom, car tu as répandu devant moi beaucoup de sang sur la terre. Il naît de toi un fils qui sera un homme de repos ; je lui accorderai le repos en le délivrant de tous les ennemis qui l’entourent : son nom sera Salomon, et j’accorderai la paix et la tranquillité à Israël pendant ses jours.’ » (1 Chroniques 22.6-9 ; Salomon signifie « le Pacifique ») Pourtant, les guerres menées par David étaient souvent défensives, rarement désapprouvées par Dieu, ce que montre la savoureuse formulation de Salomon dans un autre passage : « David, mon père, […] n’a pas pu bâtir une maison pour le nom du Seigneur, son Dieu, à cause de la guerre qu’on lui a faite de toutes parts… » (1 Rois 5.16) Même des circonstances extérieures poussant David à la violence lui ont valu une sanction divine. Dans la Bible, la guerre est donc considérée comme un mal, fût-il nécessaire.

 Quant au Nouveau Testament, la cause est beaucoup plus simple : ni dans la personne de Jésus, ni dans les injonctions des apôtres il n’y a d’appel à la coercition ou au meurtre pour amener les gens à la conversion. Aucun. À cet égard, la vie de Saul de Tarse, Juif « djihadiste » qui consacrait sa vie à pourchasser les adeptes de Jésus de Nazareth et à les faire mourir, est exemplaire du retournement opéré par le christianisme : il devint l’apôtre Paul, le plus grand des apôtres, et l’ancien persécuteur mourut en martyr à Rome (voir Actes des Apôtres 9.1-21).

 Mais ce qui est le plus décisif, c’est que le Dieu des chrétiens s’est incarné dans le Christ crucifié –ce que les musulmans ne supportent pas parce que le Fils de Dieu ne peut pas être vaincu. L’apôtre Paul a résumé ce paradoxe dans une formule toujours actuelle : « Or nous, nous proclamons un Christ crucifié, cause de chute pour les Juifs et folie pour les non-Juifs. » (1 Corinthiens 1.23) Oui, le christianisme est la religion qui considère comme Dieu un innocent condamné comme un malfaiteur. Et, à l’image de leur Sauveur, les premiers chrétiens ne furent nullement persécuteurs mais persécutés dans leur militantisme –dans leur prosélytisme. Le chrétien doit être prêt à sacrifier sa vie, mais sa vie uniquement, jamais celle des autres. Ceux qui, en des temps inquisitoriaux, ont torturé des gens pour les sauver malgré eux avaient de bien curieuses conceptions, eux dont le Sauveur était un homme torturé. Pas une ligne, pas un mot du Nouveau Testament (ni même de l’Ancien) ne justifie le massacre de ceux que l’on considère comme infidèles pour les convertir. Jésus ordonne même de les aimer jusqu’au bout, même quand ils veulent nous tuer (Matthieu 5.44 ; Romains 12.14), le jugement appartenant à Dieu seul sans qu’il ait besoin de nos petits bras armés.

Un exemple contemporain

 On peut être extrême dans sa foi, c’est même recommandé : « Si seulement tu étais froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni bouillant ni froid, je vais te vomir de ma bouche. » (Apocalypse 3.15-16) Mais comment peut-on être bouillant sans être nuisible ? Et même, comment peut-on l’être en devenant admirable ?

 Je citerai l’exemple d’Eric Liddell (1902 - 1945). Cet athlète refusa, par conviction religieuse, de concourir dans la course du 100 m lors des Jeux olympiques d'été de 1924, car la finale se disputait un dimanche ; c’était pourtant sa spécialité. Sachant, bien avant les épreuves, qu’il ne pourrait pas disputer ce 100 m, il s’était entraîné pendant plusieurs mois pour disputer le 200 m et le 400 m. Il obtint une médaille d’or au 400 m et une médaille de bronze au 200 m. Son histoire est racontée (avec quelques aménagements) dans le film Les chariots de feu.

 Son intransigeance (son « extrémisme ») le poussa ensuite à rester missionnaire en Chine alors même que toute sa famille était évacuée à cause de l’invasion nipponne ; et c’est dans un camp d’internement japonais qu’il mourut en 1945, quelques mois avant la libération.

Le dialogue, mais cartes sur table

 Entre l’extrémisme chrétien d’Eric Liddell et l’extrémisme islamiste du chauffeur de camion dont le nom ne mérite que les poubelles de l’histoire, il n’y a pas photo.

 Même si je suis sûr qu’il y a aussi des musulmans extrêmes dans le bien, non, toutes les religions ne se valent pas. Elles ne sont pas équivalentes. Si elles l’étaient, on se demande pourquoi les trois monothéismes (pour s’en tenir à eux), juif, musulman et chrétien, n’auraient pas fusionné (quoique, en théologie chrétienne, tout chrétien soit nécessairement un judéo-chrétien). On peut avoir de l’estime réciproque, on peut dialoguer et même, on le doit. Mais un vrai dialogue ne peut se mener que dans l’honnêteté. Honnêteté par rapport à la religion de l’autre. Honnêteté par rapport à sa propre religion. Or, tant que l’islam n’écoutera pas les quelques courageux imams et penseurs musulmans qui sont bien isolés dans leur démarche d’appel au réexamen des textes coraniques, on enverra encore des petites filles se faire exploser dans les marchés du Nigeria, on enverra encore des fanatiques ravager un aéroport turc, on enverra encore des délinquants qui se savent perdus dans une salle de spectacle, pour y marchander leur salut éternel contre un paquet de dynamite.




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