samedi 31 octobre 2015 - par Sylvain Rakotoarison

Retour synthétique sur la loi Claeys-Leonetti

« Nous avons voulu tenir compte de la réalité d’une société qui a évacué l’accompagnement des mourants. Les futures générations n’auront jamais vu une personne mourir, car on envoie désormais mourir ailleurs. » (Michel Amiel, corapporteur de la proposition de loi Claeys-Leonetti au Sénat, le 21 octobre 2015).



Ce jeudi 29 octobre 2015, le Sénat débat en séance publique de la proposition de loi Claeys-Leonetti en deuxième lecture. J’ai évoqué précisément le déroulement de la procédure législative, tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, tant en commission qu’en séance publique, tant en première lecture qu’en seconde lecture, au risque d’être trop précis et détaillé et de faire perdre le fil et les enjeux. J’en profite donc pour rappeler deux ou trois enjeux.

Le sujet de la fin de vie est un thème essentiel à notre époque où l’espérance de vie augmente et le progrès médical est performant. Cela signifie d’une part qu’on vit plus longtemps, parfois très âgé, et d’autre part, qu’on est capable de soigner des maladies qu’on n’était pas capable de soigner auparavant, ou qu’on est capable de pousser la vie humaine très loin. Ce thème est crucial car il concerne tout le monde, et il est d’autant plus difficile à traiter pour le législateur que chaque vie, chaque fin de vie est un cas particulier et que légiférer, c’est surtout donner un cadre général.

La première conséquence, c’est que tous ceux qui veulent soit polémiquer avec ce sujet soit politiser ce sujet sont totalement hors sujet. Il ne s’agit pas d’établir ni vérité ni règles morales (à chacun les siennes et la loi sur la laïcité le permet). En revanche, il s’agit de proposer un cadre qui permette le consensus sur cette question essentielle.

Quels sont les éléments du consensus ?
J’en vois trois mais il peut y en avoir plus.


Soulager la souffrance

Le premier élément, c’est d’éviter le plus possible la souffrance. C’est un élément majeur, c’est celui qui revient dans toutes les études d’opinion. Si l’on meurt, il ne faut pas souffrir atrocement. La mort en elle-même est une souffrance, pour celui qui meurt (il n’y a pas de mort douce, quoi qu’on en dise), et aussi pour ses proches pour qui c’est une tragédie, celle de l’absence, celle de la séparation. Mais les heures, les jours voire les semaines qui précèdent la mort ne devraient pas, ne devraient plus faire souffrir. Aujourd’hui, les progrès de la médecine donnent la possibilité, dans la très grande majorité de situation, d’éliminer toute souffrance.

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Il y a deux moyens de supprimer la souffrance.

Le premier moyen, celui qui devrait être le plus répandu et qui est le moins destructeur, ce sont les soins palliatifs. On parle de soins palliatifs quand on pense qu’il n’y a plus de possibilité de lutter contre une maladie ou contre une évolution de dégénérescence et que la seule aide que peut apporter la médecine, c’est d’accompagner la personne pour qu’elle vive le reste de son existence, qui peut encore être long, dans le meilleur confort possible et dans tous les cas, sans souffrance. Ici, c’est un "simple" problème budgétaire.

Mais un gros problème : la France est en retard sur ses lois, et cela fait dix ans qu’il y a retard. Seulement une à deux personnes sur les dix qui ont besoin de soins palliatifs ont pu en bénéficier. C’est un véritable scandale. Avec deux possibilités : dans une structure médicalisée, ou à domicile (ce qui est très rare aujourd’hui). François Hollande avait promis le 17 juillet 2012 à Rueil-Malmaison un grand plan en faveur des soins palliatifs. Trois ans plus tard, toujours rien, pourtant, l’annonce future de ce plan avait été rappelée le 12 décembre 2014. Qu’attend donc le gouvernement ?

Dans une enquête publiée la semaine dernière dans "The Economist Intelligence Unit", sur 80 pays, la France se situe en dixième place dans le monde (le Royaume-Uni occupe la première place) et dans une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiée en janvier 2014, la France se situe en seizième place. On est loin du compte même si la situation dans d’autres pays sont pires.

Dans toutes les discussions, tous les débats et échanges concernant la fin de vie, tout le monde est d’accord sur le sujet des soins palliatifs : en les développant et en rendant leur accès à tous ceux qui en ont besoin, on réduirait déjà la très grande majorité des situations difficiles dues à la maladie ou à la fin de vie et on réduirait la plupart des demandes d’euthanasie.

Le second moyen pour supprimer la souffrance, lorsque celle-ci est réfractaire, c’est ce que propose le nouveau texte en discussion, à savoir une "sédation profonde et continue" qui permet à la personne de vivre ses dernières heures ou journées de manière soulagée et apaisée.


Renforcer la liberté des personnes

Le deuxième élément de consensus, c’est de rendre réelle la liberté des personnes, ainsi que leur autonomie. En résumé, que le patient soit maître de son destin. La loi du 4 mars 2002 avait rendu nécessaire l’accord du patient pour suivre des traitements. Cela signifie que n’importe quelle personne a le droit de refuser de se faire soigner. Ce refus de traitement peut avoir des conséquences graves, jusqu’à aboutir à la mort de la personne, le médecin doit donc bien informer le patient sur les conséquences de son refus, mais il ne peut pas refuser la volonté du patient.



Le problème vient lorsque la personne n’est plus en état d’exprimer sa volonté, et depuis la loi du 22 avril 2005, il est possible de rédiger des directives anticipées (à froid, en bonne santé, il est très difficile de rédiger quelque chose de vraiment pertinent) ou, le cas échéant (c’est plus facile), désigner une personne de confiance qui saura témoigner de la volonté de la personne le plus exactement possible (le texte de la proposition qui est en débat prévoit même la désignation d’une personne de confiance suppléante dans le cas d’un empêchement de la personne titulaire).


Interdire de tuer

Le troisième élément, enfin, qui devrait être consensuel car il reprend un principe élémentaire du code pénal, mais qui est parfois décrié par certains lobbies, c’est le préserver l’interdit de donner la mort, l’interdit de tuer. En France, cet interdit n’a été juridiquement acquis que le 9 octobre 1981 avec l’abolition de la peine de mort, même si, en situation de guerre, ou d’intervention militaire ou policière, l’État ne peut pas se priver la possibilité de donner la mort en raison d’objectifs clairement définis (c’est le problème de toute implication dans un conflit militaire ou dans la protection de la sécurité publique).


Faut-il une nouvelle loi ?

J’ai considéré qu’une nouvelle loi me paraissait inutile tant l’actuelle loi, celle du 22 avril 2005, qui a maintenant plus de dix ans, est peu connue et peu appliquée. Notamment dans l’accès de tous aux soins palliatifs, comme je viens de l’expliquer. Elle était même peu connue par les équipes médicales et soignantes il y a encore quelques années. Heureusement, depuis dix-huit mois, il semble que cette loi soit un peu mieux connue et plus appliquée.

Elle est un savant équilibre justement entre le soulagement indispensable de la souffrance et l’interdit de tuer. Elle est pour la fin de vie ce que la loi du 9 décembre 1905 est pour les relations entre l’État et les religions : un cadre original et équilibré qui permette le consensus de toute une société nationale. D’ailleurs, même si cela a été peu dit, la loi du 22 avril 2005 correspond tout à fait à l’esprit de Jacques Chirac dans sa conception de la personne humaine et de la dignité, l’un des points forts de sa très longue carrière politique qui a aussi montré beaucoup d’aspérités.

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Pour autant, les sondages aux questions plutôt biaisées et mal posées car toujours binaire (choix entre la souffrance ou l’euthanasie alors que je viens d’expliquer qu’il y a techniquement la possibilité d’éviter les deux) encouragent la pression des lobbies qui veulent imposer la légalisation de l’euthanasie à la classe politique, en d'autres termes, de lever l'interdit de tuer.

Par conséquent, un nouveau texte, celui de la proposition Claets-Leonetti, me paraît être une meilleure solution qu’un écart entre le cadre législatif et "l’opinion publique" qui serait si large qu’un jour, un gouvernement en panne de popularité se sente obligé de céder sur l’interdit de tuer. Comme ce fut le cas, avec un enjeu nettement moindre et sans conséquence sur la vie humaine, avec le mariage gay alors que si Nicolas Sarkozy avait fait adopter, comme il le voulait initialement, un contrat d’union civile, il n’y aurait pas eu tout ce débat assez vain et stérile du mariage gay qui a pollué le débat public sur l’emploi, pourtant première priorité affichée du gouvernement.

Par ailleurs, un nouveau texte renforcerait le principe de la loi du 22 avril 2005 en maintenant les trois éléments de consensus que j’ai indiqués plus haut. Pour moi, donc, une nouvelle loi (si elle ne perd pas son esprit d’origine en cours de route), loin de se rapprocher de la légalisation de l’euthanasie, s’en éloigne au contraire car elle renforcera les solutions "alternatives" et amènera petit à petit "l’opinion publique" à la compréhension que la culture de la mort n’est pas la solution au soulagement de la souffrance.

Il faut aussi saluer que les médias sont beaucoup plus objectifs depuis une année lorsqu’ils évoquent ce sujet, ce qui n’était pas le cas auparavant, peut-être avec la connaissance de la situation de Vincent Lambert. Le verdict rendu en appel le 24 octobre 2015 et qui a condamné le docteur Nicolas Bonnemaison à deux ans de prison avec sursis (le procureur avait requis cinq ans avec sursis) ainsi que les débats du procès ont été couverts par les médias avec beaucoup plus d’honnêteté intellectuelle et d’objectivité qu’au premier procès. Ces évolutions sont rassurantes.


L’avenir de la proposition Claeys-Leonetti

Le pari d’une loi votée par consensus parlementaire est toutefois loin d’être gagné à l’heure actuelle. En raison d’une opposition presque frontale du Sénat. La dénaturation du texte lors de la discussion en séance publique au Sénat en première lecture a abouti à son rejet comme s’il s’était agi d’un suicide collectif : on vote n’importe quoi et finalement, on se saborde pour éviter de conserver un texte complètement dénaturé pour la seconde lecture.

La commission des affaires sociales du Sénat, qui avait pourtant fait du bon travail de précision sémantique en première lecture, a essayé, lors de sa réunion du 21 octobre 2015, de se prémunir contre une nouvelle offensive frontale en adoptant quelques amendements qui avaient été adoptés en séance publique en première lecture.

Mais rien ne dit que la deuxième lecture sera moins combative que la première.

Du côté de l’Assemblée Nationale, le refus des deux corapporteurs de préciser par des phrases explicites l’esprit de leur texte est assez troublant. En effet, quelques députés et la commission sénatoriale souhaitent inscrire dans la loi les explications de texte que Jean Leonetti a lui-même apportées aux différents articles de la proposition de loi, donc, tout le monde devrait être d’accord sur cette amélioration par précision.


Sauf s’il y a un flou juridique volontairement généré par la loi pour permettre une évolution sans nouvelle loi mais seulement avec une jurisprudence, par exemple, par l’interprétation des textes a posteriori par le Conseil d’État comme cela avait déjà été le cas le 24 juin 2014. Une proposition de loi ne passe d’ailleurs pas par une étude préalable par le Conseil d’État (au contraire d’un projet de loi d’origine gouvernementale).

Le vrai clivage politique est bien là, entre l’Assemblée Nationale (à majorité de gauche) et le Sénat (à majorité du centre et de droite). Ce n’est pas sur le fond ni l’esprit du texte, mais sur la précision explicative du texte de loi. Les sénateurs sont des gens prudents et ne veulent pas que, par la suite, les textes soient dévoyés et mal interprétés, même par l’instance suprême de la justice administrative. Les députés ne devraient pas s’y opposer puisqu’ils sont d’accord aussi sur cette interprétation. L’enjeu n’est donc pas pour aujourd’hui, mais pour après-demain. Et c’est cela qui rend le consensus parlementaire très peu garanti : les arrière-pensées sont peu trop bruyantes !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les deux rapports des commissions sénatoriales en deuxième lecture (à télécharger).
Retour synthétique sur la loi Claeys-Leonetti.
La loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat pour la deuxième lecture.
Les sondages sur la fin de vie.
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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4 réactions


  • Le p’tit Charles 31 octobre 2015 10:03

    Joli tableau...de caillebotte.. ?


  • jako jako 31 octobre 2015 10:34

    Juste pour prévenir, en Belgique on commence à discuter carrèment du suicide assisté.


  • Samson Samson 31 octobre 2015 15:34

    En Belgique, en sus de l’accessibilité à des unités de soins palliatifs, la loi autorise dans un cadre strictement déterminé le recours des majeurs à l’euthanasie, depuis 2002 : dans des conditions fort controversées, il a été étendu aux mineurs en 2014.

    Si, notoirement composée en majorité de militants pro-euthanasie, la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie n’a depuis 2002 pas jugé qu’un seul des cas qui lui ont été soumis ait enfreint le cadre légal, on commence à très sérieusement s’inquiéter du sérieux de ses évaluations, d’autant qu’on estime que 50% des euthanasies ne sont toujours pas déclarées.

    Malgré le cas médiatisé de l’euthanasie accordée à une jeune femme affectée de dépression sévère et chronique, c’est seulement par suite d’un reportage sur une télévision australienne qu’un premier dossier d’euthanasie, en fait le suicide assisté d’une vieille dame qui - affectée du deuil récent de sa fille - ne souhaitait plus vivre, vient d’être transmis à la justice.

    Au bout de 13 ans d’une politique renvoyant pratiquement la décision d’euthanasie à l’arbitraire du seul médecin, un arrêt de la Cour constitutionnelle finit par s’en inquiéter tandis que les spécialistes et éditorialistes se décident à sonner l’alarme.

    Joyeux Halloween et bonne fête de Toussaint à toutes et tous ! smiley


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