vendredi 8 janvier 2016 - par lephénix

Capitalisme 3.0 : le tsunami...

Le tsunami numérique à l’œuvre dans nos « sociétés postindustrielles en pleine crise identitaire » menace d’emporter nos emplois et métiers, nos protections sociales, notre relation au travail et jusqu’au cadre de vie connu – dont « l’Etat providence » privé des ressources nécessaires au maintien de ses missions…

 

« Aucun pan de la société n’est à l’abri de la révolution numérique » rappellent Philippe Escande, éditorialiste au Monde et Sandrine Cassini, journaliste aux Echos. Dit autrement, non sans insistance : « La machinerie numérique est en train de s’attaquer à toute la société et personne n’en sortira indemne »…

Mais, au-delà de cette sémantique insidieusement fataliste, est-il vraiment possible d’imaginer cet « avenir » ( ?) numérisé, voire de l’organiser dans un sens conforme à « l’intérêt général », dans ce nouveau monde algorithmique annonciateur de la « fin des temps » du salariat et du travail de masse ?

 

La « troisième révolution industrielle » ?

Le « premier âge du capitalisme » occupe tout le XIXe siècle – c’est « celui de l’acier, de la vapeur, de l’enthousiasme scientifique et de la misère ouvrière ». Le second, commencé industriellement en 1908 notamment avec « l’organisation scientifique du travail » sur les chaînes de fabrication de la Ford T, est « celui de l’électricité et du pétrole ». Avec ce modèle qui s’imposera à la planète, Henry Ford (1863-1947) a inventé la voiture universelle dont la production massive appelle une consommation de masse - « organisation fordiste, grands conglomérats et société de consommation ont porté la plus formidable période de croissance de l’histoire »…

Elle s’est épanouie dans « furie des Années folles où l’intelligentsia ne jurait que par l’automobile et l’électricité et où Manhattan se couvrait de gratte-ciel »….

Et voilà le troisième, « porté par la libéralisation financière, la mondialisation des échanges et la révolution numérique » - dont Philippe Escande et Sandrine Cassini, familiers des « acteurs » de ce bouleversement sans précédent, révèlent la folle machinerie s’emballant sous de suaves terminologies comme « l’économie de partage » aux résonances bien « sympa » et utopiques, compte tenu du « juteux business » qui s’y joue au grand casino…

Cette économie-là, en ouvrant un boulevard au « travail indépendant », sonnera-t-elle la fin du salariat voire l’obsolescence du travail humain – si ce n’est purement et simplement celle de l’humain ?

« Le salariat est aussi le socle sur lequel s’est bâtie la société, qui permet d’ouvrir un compte en banque, d’obtenir un crédit immobilier, d’acheter un appartement. Sans salaire, construire l’avenir est un parcours hasardeux, semé d’embûches »… Assurément, ce socle-là vacille dans l’épuisement de la société salariale, la fragilisation de plus en plus massive de l’emploi et la déconstruction du système de protection sociale élaboré tout au long du XXe siècle au sein d’un « compromis fordiste » désormais ébranlé par une accélération des ponctions parasitaires...

 

« L’or noir du XXIe siècle »

L’irruption numérique en cours a déclenché, à l’âge de la connexion permanente et de la téléprésence au monde, un nouveau cycle de « destruction créatrice », un « concept » cher à l’économiste américain Joseph Schumpeter (1883-1950) – et une dérégulation à outrance, agrémentée d’ « optimisation fiscale » qui prive « l’Etat providence » des ressources nécessaires à la poursuite de ses missions...

Le monde du big data, des imprimantes 3D et d’Internet serait-il celui de « retour vers demain » avec le travail payé à la tâche voire en promesses de « visibilité » et en « référencements » dans « la Toile » - celui du travailler toujours plus pour être payé toujours moins – et être de moins en moins « couvert » face aux « accidents de la vie » ?

« Le lien social physique se distend, remplacé par le réseau social omniprésent. Le temps de travail n’est plus un objectif, seule compte la mission. Elle remplace la subordination, symbolisée par la pointeuse qui venait rappeler, comme une horloge, l’idée qu’avec le travail, on achète avant tout du temps humain dans un lieu donné ». Assise sur la maîtrise de « la ressource la plus précieuse du XXIe siècle, celle sur laquelle se construit le capitalisme 3.0 », à savoir le logiciel informatique, l’irruption numérique dévore le monde à belles dents comme elle a déjà dévoré celui de la musique et de la presse – tout cela par « l’accroissement de la performance des composants électroniques »…

Comme les auteurs l’exposent avec clarté, « le nouvel or noir du XXIe siècle » ce sont les données : « Chaque jour, l’humanité entière alimente par pelletées de données fraîches la grande chaudière numérique »…

Mais ces données personnelles se feront de plus en plus pirater et rançonner – et ce, au sein d’une société de surveillance généralisée qui insidieusement supplante la société assurancielle dont nous préférons ignorer être sortis… Les « générations futures » apprivoiseraient-elles le « monstre numérique » ? Ou seront-elles laminées par la « fatigue d’être soi », à force de multi activité obligée (chauffeur Uber la nuit pendant que Google finalise la voiture sans chauffeur, promeneur de chien en début de soirée chez DogVacay et « entrepreneur de soi » toute la journée ouvrable et au-delà, sommé de « s’adapter » en permanence à l’insoutenable…) et de mise en concurrence perpétuelle ?

Entre mirages made in Silicon Valley et pratiques sociales régressives, « l’avenir » numérisé semble carburer avant tout à l’insécurité économique de ses soutiers, contrepartie à l’inquestionnable et insoutenable opulence de ses rentiers…

En conclusion, les auteurs interrogent : « Sommes-nous à l’aube d’un hypercapitalisme où tout sera marchandise - les corps et les âmes -, porte ouverte à tous les excès et à tous les despotismes ? Nous dirigeons-nous, au contraire, vers un post-capitalisme où le partage remplacera l’échange commercial ? Ou plutôt, quel sera le dosage final entre ces deux solutions extrêmes ? ».

Pour l’heure, cet avenir numérisé a tout d’un emballement incontrôlé, parfaitement étranger à la cadence naturelle de l’humain : serait-ce là l’horizon commun qui nous est assigné et prévoit-il vraiment de réintégrer dans « l’économie » les dépossédés du « monde d’avant » ? Comme dit le poète, « toute aurore est cruelle parce qu’elle est une promesse qui ne va pas s’accomplir – ou qui s’accomplira à moitié »…

Philippe Escande et Sandrine Cassini, Bienvenue dans le capitalisme 3.0, Albin Michel, 256 p., 18 €



15 réactions


  • Clark Kent M de Sourcessure 8 janvier 2016 11:04
    Le numérique comme destructeur de l’« état-providence » !

    Comme si l’évolution technologique était une génération spontanée sans recherches ni investissements, une fatalité sans volonté stratégique d’opérateurs et sans conflits entre les acteurs de la société.

    Ce genre d’analyse permet d’oblitérer la notion de « classe social », de « rapports sociaux » et d’expliquer les régressions par une évolution « naturelle ».

    Bientôt on trouvera des analyses créationnistes de l’histoire.

  • lephénix lephénix 8 janvier 2016 11:33

    @M. de Sourcessure

    effectivement, il est bien question entre les lignes de volontés stratégiques à l’œuvre et à la manœuvre... et d’une accélération fulgurante, tout un continent vient d’émerger qui s’est formé en deux décennies avec des investissements étatiques - et voilà de larges pans de la puissance publique emportés et la société postindustrielle en « pleine crise identitaire »... et le revenu de base revient en débat...


  • lsga lsga 8 janvier 2016 17:54

    ce qui prive l’État Providence de ses ressources, c’est la mondialisation qui met à mal les politiques néo-coloniales de la France en Afrique.

     
    Pour rappel, dans le cadre d’une économie Capitaliste, l’augmentation du niveau de vie des salariés permis par l’État Providence est compensé par l’importation de matières premières à bas coût (cf : Rosa Luxembourg).
     
    Tant qu’à la fin du travail : c’est juste l’objectif ultime du socialisme. 
    Tant qu’à l’incompatibilité du capitalisme avec la robotisation : c’est juste le coeur du livre 3 du Capital.
     
    Bref, rien de nouveau sous le Capitalisme. Vive la fin des États Nations, des États Providence, et des castes moyennes mi-racistes mi-fascistes.

  • Samson Samson 8 janvier 2016 19:18

    Quand mécanisation, automatisation et informatisation se substituent massivement au travail humain pour produire la richesse, la seule possibilité de continuer à assurer à chacun l’accès aux ressources qui lui sont nécessaire consiste en une restauration de la puissance publique et la réappropriation par la société du contrôle des outils - maintenant numériques - de productions et des leur bénéfice, soit l’abolition du capitalisme privé.

    Pas gagné, mais avons-nous encore le choix ? Si nous ne l’abolissons pas, c’est lui qui nous abolira ! smiley


  • DelapatriedeBricmont DelapatriedeBricmont 8 janvier 2016 19:36

    En Finlande, le ’’revenu universel’’ tel qu’il est versé par l’état depuis quelques mois dans une région de ce pays fortement touchée par le chômage est l’anticipation d’une solution au problème d’emploi que cette mutation technologique va décupler. L’avenir nous dira si cette solution est viable économiquement pour le pays et si le nouveau mode de vie qui va avec est enviable pour les individus.


  • clostra 8 janvier 2016 19:59

    On a l’intuition que s’est construit, se construit un monde factice et éphémère ...

    « autrefois » les « communicants » avaient du charisme, aujourd’hui, ils ont appris, par exemple.

    Un monde factice où les « talents » ne sont pas exploités, on achète le talent des autres, de certains autres qui parfois se copient entre eux, un talent démultiplié à l’infini, reproduit.

    Un monde éphémère par nécessité économique, obsolescence programmée, évolution des langages et des codes. « On arrête pas le progrès » comme on dit depuis la machine à vapeur.

    un monde fragile.

    Et on hésite à s’en réjouir s’il ne s’appuie sur la vérité des rapports humains, simplement parce que cette pseudo gratuité, la vraie gratuité n’est pas du côté que l’on pense : nous offrons gratuitement l’observation de nos comportements, ce qui au final est/sera terrifiant ! ceci me fait penser à une « expérience faite il y a des années qui consistait à faire passer des photos de visages humains à quasi 24 images/seconde (limite subliminal) pour obtenir au final un visage unique ! ce visage était rond comme une lune à laquelle finalement il ressemblait.

    La médecine, la chirurgie esthétique permettraient de »normaliser", mais que faire de la normalisation des comportements ?

    Faut y penser.


  • lephénix lephénix 8 janvier 2016 20:31

    @Samson

    oui sans doute faudra-t-il une pratique de mise en commun afin de décider de ce qui est commun à tous ce qui revient comme le rappellent dardot et laval à une nouvelle institution de la société par elle-même...


  • lephénix lephénix 8 janvier 2016 20:35

    @Isga

    plutôt que de « stigmatiser » les classes moyennes en voie de déclassement accéléré et d’extrapoler sur leur présumé « fascisme » (padamalgam svp) mieux vaut redéfinir les besoins vitaux à assouvir et réinstituer ce qui devrait être inappropriable...


  • lephénix lephénix 8 janvier 2016 20:44

    @delapatriedebricmont

    le revenu de base serait l’outil approprié pour briser le tabou du chômage de masse, dégonfler les clichés et leurres du « plein emploi » du « je touche un salaire donc je suis » etc et répartir la richesse publique

    ce n’est pas seulement une somme pour survivre mais aussi pour prendre part à la société et un filet de sécurité dans des phases de transition ou d’intermittence

    comme le disent ses promoteurs ce serait assurément « la conquête du XXI siècle » pour restaurer la capacité humaine à développer son potentiel créer des ressources etc

    à suivre donc


  • lephénix lephénix 8 janvier 2016 20:48

    @Clostra

    et si cette « gratuité » était l’autre nom de la vampirisation ? plus besoin d’esclaves, juste de la ressource à obsolescence programmée, jetable à merci pour que d’autres puissent augmenter leur rente et « s’augmenter » ?


  • boris 8 janvier 2016 23:44

    qu’est ce que vous avez à critiquer, nous vivons dans un monde qui va de mieux en mieux , la misère a reculé comme jamais auparavant, il y a de moins en moins de guerres, on vit de plus en plus vieux et en bonne santé, maintenant si certains touchent une plus grosse part du gateau, quoi de plus normal c’est la vie, ceux qui font des efforts sont récompensés, les autres n’ont qu’a s’adapter, ou sinon ils sont obsolètes ça toujours été, alors plutot que de vous plaindre sortez vous les doigts du +++ et battez vous pour ce monde


    • CN46400 CN46400 9 janvier 2016 08:19

      @boris


      « ceux qui font des efforts sont récompensés, »

       Ex : Mme Bétancourt, Mr Tapie........


  • julius 1ER 9 janvier 2016 09:52

     Sans salaire, construire l’avenir est un parcours hasardeux, semé d’embûches »… Assurément, ce socle-là vacille dans l’épuisement de la société salariale, la fragilisation de plus en plus massive de l’emploi et la déconstruction du système de protection sociale élaboré tout au long du XXe siècle au sein d’un « compromis fordiste » désormais ébranlé par une accélération des ponctions parasitaires...


    @l’auteur,
    comme Marx l’écrivait déjà il y a plus d’un siècle, le Capitaliste fait lui-même le noeud à la corde qui va le pendre .... rien de changé au XXI ie xiècle !!!
    en multipliant l’économie marchande privatisée dans toutes les zones de la société il ne fait que retarder l’échéance cad son auto-destruction, car c’est dans son ADN augmenter les profits soit par le volume, soit par le taux en réduisant toujours plus les coûts du travail ou en accaparant les matières premières à moindre coût .... la seule limite à ces aspects délétères était le Fordisme car Ford appliquait la sentence « intérêt bien compris commence par soi-même en ce sens il savait que l’ouvrier, ou l’employé devait pouvoir gagner sa vie pour acheter ses produits..... 
    mais le »greedy« Capitaliste toujours oublieux des effets dévastateurs de ce système a cru que dans le vent de la mondialisation, le binôme baisse des coûts du travail /majoration des profits suffirait à maintenir le bateau à flôt, mais il n’en est rien .... ces paradigmes économiques ont toujours les mêmes effets dévastateurs et sont de plus aggravés par un système financier irresponsable !!!!!!!!!
    il est clair qu’au jour d’aujourdhui le système est complètement bloqué du fait de tous ces paradoxes que les ultras-libéraux que l’on devrait qualifier de conservateurs obtus ne veulent pas résoudre du fait de leur position dominante dans la société et l’économie, à cet égard, ils ne feront rien qui puisse modifier l’ordre établit ..... 

    c’est seulement avec un »choc " du genre crise planétaire, insurrection de 
    masse ou explosion sociale qu’il pourra y avoir une redistribution des cartes !!!

  • lephénix lephénix 9 janvier 2016 10:22

    @Juiius1er

    effectivement, la mission d’une entreprise est-elle de réaliser des « profits » à n’importe quel prix (social, environnemental, etc) ou de répondre aux besoins vitaux de la collectivité en biens et services ? comme le serpent se mord la queue, autant changer de paradigme pendant qu’il en est encore temps...

     maintenant que le facteur de production « humain » a été remplacé par le facteur « machine », la première urgence serait de prendre acte du découplage « travail » et « revenu » : si le « travail » n’est plus la source de revenu « naturelle », autant délivrer les humains de l’angoisse existentielle d’être « privé »/« libéré » du « travail » en leur accordant un revenu qui leur permettra de « travailler » plus « utilement » à leur accomplissement dans le sens de « l’intérêt général » bien compris...


  • lephénix lephénix 9 janvier 2016 10:26

    @CN46400

    effectivement tapie le contribuable n’a pas fini de payer depuis les seventies son aventure « entrepreneuriale » et sa « plus grosse part du gâteau »... cf « sous le tapis » de laurent maudhuit


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