jeudi 8 octobre 2009 - par Daniel Roux

De la décadence au suicide collectif

Qu’y a-t-il de commun entre le déni démocratique permanent, la lamentable prestation du pouvoir en place sur l’affaire Polanski, les révélations de « Bakchich » sur la scandaleuse affaire des « frégates de Taïwan »et celle des sous-marins pakistanais, et la promotion éclair imméritée du prince héritier dans les Hauts-de-Seine ? L’aboutissement de la décadence de notre civilisation originale qui prétendit promouvoir l’égalité entre les hommes et l’universalité de ses valeurs humanistes.

La France est en décadence depuis la débâcle militaire de 1870 aggravée par les conséquences de la guerre de 1914/18. Tel l’empire romain durant le 3ème siècle, notre civilisation a connu un sursaut dans les années 1960-70. Grâce à des circonstances exceptionnelles, de Gaulle comme les empereurs illyriens, conquiert le pouvoir grâce à sa personnalité et à ses compétences. Lui aussi mit fin à l’anarchie militaire qui sévissait aux limbes de l’empire.

Cette époque est caractérisée par une maîtrise, et parfois une avance technologique dans de nombreux domaines (recherche fondamentale, aéronautique, TGV, énergie atomique, etc..), une existence intellectuelle originale et vivante ( De Beauvoir et Sartre, Deleuze, Bourdieu et d’autres), un régime politique fort représenté par un homme exemplaire ( les citoyens le voyaient ainsi, mais de Gaulle tolérait les magouilles des coquins et les copains), les promesses d’une ère de paix avec les débuts de l’Europe Unie, le sentiment populaire de l’existence de valeurs morales et l’ascenseur social reposant sur la méritocratie républicaine.

Aujourd’hui, au début du 21ème siècle, la civilisation française est à l’agonie.

Pour comprendre cette dramatique situation, il faut renoncer à chercher un bouc émissaire étranger et à mettre notre décadence sur le dos de forces extérieures, comme l’Union des Etats européens ou américains, ou sur des forces naturelles potentiellement cataclysmiques.

Le développement de notre civilisation était la résultante des actions de l’ensemble des Français. Son déclin a la même origine. Toutes proportions gardées, la dynamique observée est semblable à ce qui se passe dans une entreprise. Une période d’expansion jusqu’à être florissante, puis le déclin jusqu’à sa disparition éventuelle. Les causes de ces évolutions sont à rechercher dans les actes des êtres formant cette mini société humaine qu’est l’entreprise et non pas dans ceux de ses concurrents.

Les différences sont multiples entre une civilisation et une entreprise. Les buts de cette dernière sont restreints et connus. Elle agit dans un cadre formel sur lequel elle a peu ou pas d’influence, les personnels qui la font fonctionner entrent et sortent à volonté, etc..

 Il y a toutefois quelques ressemblances dans le parcours de la naissance à la mort. Prenons le schéma classique de sa création par le grand-père, de son expansion par le père et de sa consommation par l’héritier. En caricaturant, le premier réalise à l’âge d’homme un projet personnel, en s’appuyant sur les dures leçons que la vie lui a données et en risquant son avenir et celui de sa famille. Le second, éduqué et influencé par un père dynamique et courageux, a suivi son exemple et s’est attaché à améliorer son œuvre ; Le dernier a bénéficié dès sa naissance d’un milieu aisé et d’une éducation protectrice. Comblé avant de désirer, rien ne l’intéresse que lui-même et son ennui. L’entreprise n’est plus alors qu’une source de revenus pour un héritier promu dirigeant malgré lui.

Cette phase conduit inexorablement au déclin de l’entreprise et c’est sur ce point qu’un parallèle peut être fait avec la décadence de notre civilisation.

Montesquieu (1) énumérait dix sept causes à la chute de l’empire romain et parmi celles-ci, le discrédit du pouvoir dont la production législative avait pour but principal de confisquer le maximum de ressources au profit d’une classe oisive et hédoniste sans fournir de réels services à la population. Ces pertes du sens du bien public et des réalités des difficultés économiques rencontrées par le peuple entraîne un discrédit général de la classe dirigeante accompagné du sentiment d’une perte des valeurs morales d’antan.

C’est à peu près ce qui se passe en France depuis les années « Giscard ». Les « affaires » donnent l’impression d’une classe dirigeante amorale au-dessus des lois. Une classe qui se goberge et se coopte alors que le peuple se débat désespérément dans des difficultés économiques, lutte contre les fermetures d’usines ( Lip et Manufrance à l’époque) et subit la hausse inexorable du chômage.

A cela s’ajoute ce que j’appelle « la fin de l’illusion démocratique ». L’impression que quoi que l’on vote ou que l’on fasse, rien ne change. La trahison des élus avec la négation du référendum sur le traité européen n’a fait que révéler cette réalité à tous.

Aujourd’hui, les événements en cours marquent l’aboutissement du déclin de la civilisation française. Depuis plus de trente ans, l’indifférence et les fins de non recevoir comme réponses aux doléances du peuple conduisent à un sentiment d’injustice et d’abandon. Comme de Rougemont (2) l’écrivait à propos de décadence, celle-ci commence quand l’homme ne se demande plus « Que puis-je faire ? » mais « Que va-t-il arriver ? ».

La décadence découle de la fin des illusions. L’illusion démocratique marquée au fil du temps par la concentration des pouvoirs conduisant à sa confiscation par un groupe uniquement préoccupé de lui-même, et l’illusion du dessein intelligent du Marché entretenue, malgré ses conséquences désastreuses du point de vue humain, par la même clique.

Entre l’anarchie des marchés et l’autoritarisme impuissant et grotesque d’un agité caractériel revendiquant tous les pouvoirs sans assumer aucune responsabilité ; entre les affaires mafieuses jamais résolues jetant un doute légitime sur la probité des dirigeants et les difficultés de la population ; entre les annonces de réformes prétendument palliatives, le vote de lois indignes souvent partiales et les attentes réelles des citoyens, s’installe le sentiment général d’une grande confusion malsaine.

Il apparaît clairement que le développement souhaité, par et pour, notre société vers l’apaisement des conflits de classes et la résolution des contradictions systémiques connues dans l’intérêt public, sont contrariés par la volonté d’un petit groupe organisé pour confisquer le pouvoir et interdire toute alternative remettant en cause les privilèges de l’aristocratie financière.

Si nous les laissons faire, ces gens là nous entraîneront dans leur fuite suicidaire en arrière.

Ne votez pas pour vos ennemis.


1) Montesquieu (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence,1734)
2) Denis de Rougemont (L’avenir est notre affaire, 1977)
 


16 réactions


  • xbrossard 8 octobre 2009 15:25

    CLAP CLAP CLAP !!!!!!


  • linus20024 linus20024 8 octobre 2009 15:37

    Le mot « décadence » sied bien à la situation que connait la France en ce moment. Un joli concentré de n’importe quoi.
    Là où il faudrait un peu de sérénité pour remonter la pente après la crise financière, on nous sert quotidiennement une espèce de spectacle politique grotesque où un agité caractériel, comme vous dites, ternit chaque jour un peu plus l’image de la France dans le monde par ses décisions ineptes. 
    La candidature de son fils cadet, jean, à l’EPAD est hallucinante. Le môme n’a que 23 ans et a les dents qui rayent littéralement le parquet. Aucun diplome à la mesure du poste convoité..
    Bonjour la méritocratie chère à Sarkozy.
    La France s’enfonce dans un trou noir.
    Que fait la presse ? Nada.
    Elle s’en fiche comme d’une guigne et préfère cracher sur internet, ce tout à l’égoût qui fait quand même un sacré boulot d’investigation, n’en déplaise à Denis Olivennes, patron de l’Obs.
    J’ai parfois l’impression que nous connaissons dans une moindre mesure, ce qu’ont vécu les US avec Bush Jr. 
    Un homme ou une femme politique digne de ce nom va t’il un jour sortir de ce cloaque ? 


  • nowak 8 octobre 2009 15:43

    Oui,vraiment ,bravo !
    Même voter ,le seul droit (et devoir) qu’il nous reste ...A quoi bon . Ce monde est pourri .


  • faxtronic faxtronic 8 octobre 2009 15:44

    « Ne votez pas pour vos ennemis »

    Nous n avons pas d amis helas. Nos dirigeants se foutent de nous et les autres peuples veulent notre peau car nous sommes en concurrence entre les peuples.


    • PhilVite PhilVite 9 octobre 2009 00:09

      Votez, votez,votez...

      Moi, je me souviens d’avoir voté NON à la constitution européenne, comme 53% des français.

      Et ils se sont essuyés les pieds sur notre vote qui ne leur convenait pas.

      Conclusion : voter ne suffira pas. Malheureusement.


  • faxtronic faxtronic 8 octobre 2009 16:23

    Qunad je pense que Jean Sarkosy est nomme president de l EPAD. Il a 23 ans, il est en deuxieme anne de droit....

    Il faut absolument arreter Sarko, le juger, lui et son clan. Il faut arreter cela.

    Il faut eteter la societe francaise. Il faut un bain de sang et massacrer toute cette racaille.


  • Daniel Roux Daniel Roux 8 octobre 2009 16:52

    La presse, c’est principalement des entreprises dont les riches actionnaires sont les mêmes que ceux des méga entreprises militaro-industrielles.

    Ces entreprises sont à la fois « promoteurs des élus » au pouvoir et dépendants des commandes de l’état, sans que ce système ne soit remis en question par qui que ce soit.

    Il n’y a donc pas de mystère dans la censure permanente à laquelle se livrent les médias. Les journalistes sont des salariés et les salariés sont sous l’autorité de leur patron. La sélection se fait donc sur des critères d’opinion ou de soumission. Les journalistes ne sont pas seuls en cause, cela se passe de la même façon partout où les embauches, nominations, promotions, récompensent dépendent du seul maître à bord, Sarko.

    Ce qui est un peu surprenant pour le public est l’absence de réaction de l’opposition. Personne ne demande de commissions d’enquête sur l’affaire des frégates ou sur celle des sous-marins pakistanais, dont on n’entend déjà plus parler.

    Rappelons-nous l’affaire des lycées d’Ile de France, une entente mafieuse entre presque tous les partis, dénoncée par une seule élue de la majorité (que devient-elle au fait ?).


  • Bobby Bobby 8 octobre 2009 17:50

    Voilà qui correspond bien à ma propre analyse... peu de choses à apporter donc, si ce n’est qu’effectivement, les pouvoirs actuels semblent bien interdire toute remise en cause (toute intellectualité ?) de la dynamique sociale établie... celle qui se rit des désordres qu’elle cause, celle qui voit la misère économique des classes les plus pauvres conjuguée par celle, encore plus grande par son impact sociétal, d’une politique basée sur l’augmentation de l’ego et de l’intérêt individuel au détriment de l’analyse systémique et de l’intérêt commun...

    Il est bien l’heure de retrousser ses manches ! et de réinventer une politique plus saine ! ce ne sont ni les « uniformes » qui nous y aideront, ni les conservateurs de tout poil ! mais des personnes qui auront d’autres approches...

    On peut regretter que le communisme ait été à ce point dévié de son but pour atteindre les déséquilibres que l’on a pu constater... et que le capitalisme actuel lui emboîte le pas au point de mettre en danger nos sociétés dites « évoluées »... Il est clair que la destruction de la dynamique contemporaine est une nécessité... elle mène droit à une logique plutôt sombre (cf. PNAC) par exemple, mais il faut la remplacer par une logique constructive ! et là, il y a peu, très peu de matière. On ne se bouscule pas au portillon ! C’est évident !

    La mort du « big is beautiful »... oui, bien qu’elle va gêner ceux qui en profitent le plus et qui possèdent les pouvoirs économiques de diriger les autres pouvoirs !... Le phénomène est planétaire et les réponse le sont aussi !... remettre en question ce déséquilibre profond... risque fort d’entraîner des conflits majeurs si on se laisse aveugler...

    Une situation Ubuesque dont on ne voit pas la sortie !... et pourtant, il faut bien en trouver une !
    ... si on veut ne pas se voir obligé d’en découdre... jusque chez nous si rien ne change.

    Une attitude citoyenne à mon sens ne se tournerait pas vers les « responsables » qui ont été fort bien décrits par l’auteur, mais plutôt vers un questionnement : « Que peut*-on faire pour trouver une solution qui ne mène pas aux catastrophes qui semblent à ce point inéluctables ? ».

    Je n’ai, pas beaucoup de réponse... réduire à la fois la population planétaire et notre mode de vie et notre consommation... et essayer de retrouver un équilibre systémique plus stable... c’est probablement ce que cherchent également (à peu de choses près) les lemmings !!! c’est bien peu réjouissant s’il faut se résoudre à les immiter !


    • Daniel Roux Daniel Roux 8 octobre 2009 18:30

      Les lemmings ne votent pas et leur suicide supposé, n’est paraît il qu’un accident.

      Le problème que nous rencontrons, la confiscation du pouvoir par une oligarchie, est assez semblable à celui existant sous la monarchie au 18ème siècle. La solution trouvée fut assez radicale mais dès 1800, un empereur mégalo reprenait le pouvoir.

      La solution se trouve d’abord dans l’élaboration d’une constitution séparant les 3 pouvoirs par des barrières infranchissables. Le chef de l’exécutif serait élu par le parlement national lui même désigner par tirage au sort sur des listes régionales établies avec les critères de désignation des jurés.

      Les lois votées par le parlement serait applicables immédiatement après recours éventuel de l’exécutif devant le conseil constitutionnel. Les décrets d’application pourront seulement préciser les aspects juridiques et techniques des lois sans les remettre en cause sur le fond de façon détournés et seront eux aussi susceptibles d’être annulé par le parlement.


    • Bobby Bobby 8 octobre 2009 19:15

      ... en effet (c’est la raison pour laquelle j’ai ajouté : « à peu de choses près »).

      En complément, je viens de regarder ceci, qui me paraît arriver à point nommé !

      Bien cordialement !


  • Alain-Goethe 9 octobre 2009 12:08
    • Article très lucide !

      La phrase suivante qui y figure est très vraie :

      «  » Il apparaît clairement que le développement souhaité, par et pour, notre société vers l’apaisement des conflits de classes et la résolution des contradictions systémiques connues dans l’intérêt public, sont contrariés par la volonté d’un petit groupe organisé pour confisquer le pouvoir et interdire toute alternative remettant en cause les privilèges de l’aristocratie financière «  »

  • ramonjimenez ramonjimenez 9 octobre 2009 12:14

    @ l’auteur

    bravo et merci pour votre article.

    j’aime beaucoup « quand l’homme ne se demande plus « Que puis-je faire ? » mais « Que va-t-il arriver ? ». » on vraiment en plein dedans

    merci à la classe soit disant dirigeante de nous éclairer le chemin avec son feu de recul !


  • Daniel Roux Daniel Roux 9 octobre 2009 12:23

    Merci à tous pour vos encouragements et vos commentaires.


  • Moristovari Moristovari 9 octobre 2009 12:32

    La politique n’est qu’une partie d’une civilisation et la guerre perdue de 1870 ne suffit pas pour faire un constat de décadence. C’est contre cet amalgame que Nietzsche écrivit en 1873 sa première considération inactuelle dont voici un extrait de l’introduction :

    « Il parait que l’opinion publique en Allemagne interdit de parler des conséquences néfastes et dangereuses d’une guerre, surtout s’il s’agit d’une guerre victorieuse. [...] la conséquence la plus néfaste, c’est peut-être cette erreur presque universellement répandue : l’erreur de croire [...] que c’est aussi la culture allemande qui a été victorieuse dans ces luttes »

    A cette époque, la culture allemande vivait déjà sur ses réserves. Inversement, la culture française était encore créatrice. De mon point de vue, cette créativité faiblit lentement au début du XXème puis expira en deux soupirs : celui de l’après WW2 et a la fin des années 60. Depuis, civilisation française me paraît un grand mot pour une petite chose.

    Toutes les civilisations actuelles sont décadentes : le libéral-capitalisme s’est installé partout et mène toujours au nihilisme. Mais le nihilisme n’est pas un conflit de classe, c’est un conflit de sens. Tant qu’on croira par habitude que les bons sont pauvres et exploité et les méchants riches et au pouvoir, ce sera l’éternel retour du même.


  • BA 9 octobre 2009 12:38

    Evidemment, j’ai lu ce qu’on a pu écrire sur le commerce des garçons d’ici et vu quantité de films et de reportages ; malgré ma méfiance à l’égard de la duplicité des médias je sais ce qu’il y a de vrai dans leurs enquêtes à sensation ; l’inconscience ou l’âpreté de la plupart des familles, la misère ambiante, le maquereautage généralisé où crapahutent la pègre et les ripoux, les montagnes de dollars que cela rapporte quand les gosses n’en retirent que des miettes, la drogue qui fait des ravages et les enchaîne, les maladies, les détails sordides de tout ce trafic. [...]

    Bizarrement, il a plus de mal à retirer son pantalon et son caleçon américain, il évite mon regard, un fond de pudeur, une ombre d’inquiétude peut-être devant mon comportement qui doit lui paraître exagéré, insolite. Ces gosses ont largement l’habitude des hommes bien qu’ils ne les aiment pas vraiment, ils considèrent leur désir avec satisfaction mais avec une sorte de persistance dans l’étonnement candide ;

    Frédéric Mitterrand, « La mauvaise vie ».

    http://www.liberation.fr/livres/0101595944-que-dit-la-mauvaise-vie


Réagir