jeudi 10 janvier 2008 - par calach

Fichiers policiers version 2008 : STIC et JUDEX donnent naissance à ARIANE et snobent la CNIL

STIC et JUDEX sont nés et ont vécu longtemps dans la clandestinité avant d’être légalisés par un Parlement bienveillant qui décida, en 2004, de les « unir » pour donner naissance à leur fille ARIANE. Il est vrai que STIC et JUDEX, en tant que fichiers policiers, n’étaient pas des « clandestins » ordinaires !

STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées) est un fichier policier dont le projet initial a été conçu lors du vote de la loi du 7/08/1985 relative à la modernisation de la police nationale. Il a fonctionné de manière expérimentale dans un premier temps puis en grandeur réelle au début des années 90 sans autorisation de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). Une première demande d’avis n’a été déposée à la CNIL, par le ministère de l’Intérieur, qu’en 1994. Puis le STIC fut évoqué officiellement comme une priorité du ministère de l’Intérieur dans un document annexé au texte de loi du 21 janvier 1995 sur la sécurité. Il fonctionna encore sur l’ensemble du territoire, de manière clandestine, pendant 6 années, sans aucun moyen pour les personnes concernées d’exercer leur droit d’accès, avant la publication du décret d’application du 5 juillet 2001 lui donnant officiellement naissance. Malgré cette activité clandestine, la CNIL reconnut son existence en 1998 avec interdiction, cependant, de l’utiliser à des fins administratives ! En 2005, il était riche d’un « patrimoine » de 4,7 millions de « personnes mises en cause » (suspects, victimes, condamnés, innocents ayant bénéficié d’un non-lieu ou d’un acquittement) avec 33 000 consultations par jour.

JUDEX (Système Judiciaire de Documentation et d’Exploitation) est une base de données de la gendarmerie, conçue en 1986 également sans autorisation de la CNIL, et qui est née officiellement, seulement en novembre 2006 alors qu’une promesse d’union avec STIC lui avait déjà été accordée en 2004 lors de la refonte de la loi informatique et libertés. En 2005, son « patrimoine » était composé d’environ 2,8 millions de « personnes mises en cause » (suspects, victimes, condamnés, innocents ayant bénéficié d’un non-lieu ou d’un acquittement) avec 7 500 consultations par jour.

ARIANE (Application de Rapprochements d’Identification et d’Analyse pour les Enquêteurs) a été conçue le 9 novembre 2006 par la décision d’accouplement entre STIC et JUDEX avec une naissance prévue en 2008. ARIANE aura pour objectif de mutualiser les ressources de STIC et de JUDEX et donc de les remplacer à terme avec un coût de mise en place de 15 millions d’euros !

Conformément à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, STIC et JUDEX étaient censés fonctionner sous le contrôle d’une CNIL prétendue indépendante et souveraine, ayant le mérite d’exister et de protéger les libertés individuelles même si les obstacles qu’elle avait à surmonter étaient nombreux (manque de personnel, budget très faible, tâches de plus en plus nombreuses, explosion des fichiers numériques).

Mais lorsque la SECURITE INTERIEURE mène la danse, les libertés publiques et l’indépendance des organismes de contrôle sont priées de quitter la piste...

LA CNIL rendue aveugle...

Déjà écartée, dès la loi de janvier 1995 (Article 10 ), du contrôle de la quasi-totalité des systèmes de vidéosurveillance confié non plus à une autorité prétendue « indépendante » mais à des commissions placées sous l’autorité des préfets (donc de l’Etat), la CNIL s’est vu retirer également, dans la refonte de la loi informatique et libertés du 15 juillet 2004, ses pouvoirs de contrôle préalable et de sanction des fichiers policiers, gouvernementaux ou portant sur la totalité de la population. Elle peut encore donner son avis mais l’Etat n’est plus obligé d’en tenir compte... C’est l’esprit même de la loi du 6 janvier 1978 qui est écarté, a fortiori lorsqu’on apprend que c’est le sénateur UMP Alex TÜRK qui fut le rapporteur du projet de loi amputant la CNIL, dont il était président depuis février 2004, de son rôle de contrôle et de sanction dans la création et le fonctionnement des fichiers policiers. Ceci valut à Alex TÜRK une nomination au « Big Brother Awards » de 2004 !

Il n’est pas étonnant, alors, de comprendre pourquoi un collectif d’associations a envahi les bureaux de la CNIL le vendredi 14 décembre 2007 pour demander la dissolution de cet organisme !

Un recul important des libertés individuelles

Le développement d’ARIANE et de nombreux autres fichiers policiers, à l’écart de tout mécanisme de contrôle ne peut qu’engendrer beaucoup de méfiance pour le respect des libertés individuelles face au besoin sécuritaire mis de plus en plus en avant. Même le président de la CNIL Alex TÜRK, ayant participé activement en 2004 au démantèlement de cette dernière, se sentait obligé de déclarer à l’occasion d’une conférence internationale : « Le capital de notre identité et de notre vie privée est chaque jour menacé. Il y a urgence à le préserver. Comme le capital environnemental de l’humanité, il risque, lui aussi, d’être si gravement atteint qu’il ne puisse être renouvelé. »

1 - Méfiance vis-à-vis de l’exactitude des informations contenues dans STIC et JUDEX

ARIANE reprendra les nombreuses erreurs contenues dans STIC et dans JUDEX. Par exemple, ces deux fichiers ne devraient pas concerner les personnes citées dans une affaire lorsqu’elles ont bénéficié d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement ou tout simplement lorsqu’elles sont victimes et que l’affaire a été jugée. De même, l’inscription dans ces fichiers est réglementée dans sa durée. Or la mise à jour dépend du bon vouloir du procureur de la République et n’est contrôlable que par la demande expresse de la personne concernée avec un délai d’attente d’une année en moyenne. Cette demande se fait auprès du procureur ou auprès de la CNIL. Le nombre d’erreurs constatées par la CNIL était en nette augmentation entre 2001 et 2006 : 25 % d’erreurs constatées sur les contrôles de 2001 (40 erreurs sur 162 contrôles), 54 % en 2006 (288 erreurs sur 532 contrôles) et peuvent avoir des conséquences très graves pour les personnes concernées. La majorité des erreurs existantes au sein de STIC et JUDEX seront reprises dans ARIANE en 2008 car la loi du 15 juillet 2004 a accordé un délai de mise à jour de STIC et JUDEX allant jusqu’au 24 juillet 2010 pour se conformer à la loi de 1978.

2 - Méfiance vis-à-vis de la nature des informations enregistrées

Le décret du 20 novembre 2006 précise : « Conformément aux dispositions combinées des articles 8 et 26.II de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, les données dites sensibles définies à l’article 8 comme "les données à caractère personnel qui font apparaître directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci" peuvent faire l’objet d’une inscription aux fichiers STIC et JUDEX.  »

Il est nécessaire de ne pas oublier que ce sont des informations de ce type qui avaient été utilisées par le régime de Vichy pour commettre les exactions que l’on sait sur les personnes recensées de religion juive !

3 - Méfiance vis-à-vis de la nature des infractions engendrant l’inscription dans ARIANE

A l’origine STIC et JUDEX ne concernaient que les crimes et délits et 6 contraventions de classe V. Depuis la publication d’un décret au Journal officiel du 15 octobre 2006 la totalité des contraventions de classe V sauf deux (vente forcée par correspondance et abandon d’épaves) entraînent l’inscription dans ces fichiers. Parmi les contraventions de classe V prises en compte, citons par exemple « la destruction, dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui n’ayant entraîné qu’un dommage léger » ou « la déclaration de naissance hors les délais fixés par l’article 55 du code civil ». Demain, il ne serait pas surprenant qu’un autre décret autorise l’inscription dans ARIANE des personnes mises en cause dans des infractions relevant de la classe 4 ou 3...

4 - Méfiance vis-à-vis de l’utilisation des informations contenues dans ARIANE

Jusqu’à la loi du 18 mars 2003, la consultation de STIC et JUDEX était réservée à des fins d’enquête de police judiciaire et l’avis de la CNIL de 1998 interdisait l’utilisation de STIC à des fins administratives. Or, l’article 25 de la loi du 18 mars 2003 étend la consultation de STIC et JUDEX pour «  certaines décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, pour l’instruction des demandes d’acquisition de la nationalité française et de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers et pour l’exercice de missions ou d’interventions lorsque la nature de celles-ci comporte des risques d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes et des biens  ».

En 2005, plus de 120 000 enquêtes administratives ont été effectuées, dont plus de 70 000 dans le seul domaine aéroportuaire. Or cette consultation comporte le risque de nombreuses dérives dont la première est la création d’un casier judiciaire parallèle !

5 - Méfiance vis-à-vis des personnes disposant d’un droit de consultation

Au 1er janvier 2004, près de 85 000 personnes, selon la CNIL, étaient habilitées à accéder au STIC dans le cadre d’une mission de police judiciaire, de police administrative ou de fonctions de gestion du fichiers.

Peut-on faire confiance à toutes ces personnes pour limiter les consultations aux seules enquêtes autorisées sur le plan judiciaire et surtout administratif ? Une affaire qui s’est déroulée à Nice ne peut qu’engendrer le doute !

SAFARI est de retour

En 1974, les services du ministère de l’Intérieur avaient envisagé l’élaboration du fichier SAFARI (Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus) dans lequel un identifiant unique aurait permis d’interconnecter les données de cent millions de fiches, réparties dans quatre cent fichiers. C’est la lutte contre ce projet qui avait donné naissance à la loi du 6 janvier 1978 et à la CNIL.

En 2004, l’Assemblée a, d’une part, « modulé les pouvoirs de verrouillage de la CNIL » afin de lui retirer la possibilité de bloquer les fichiers policiers ou ceux qui, mis en oeuvre par l’Etat, font appel au NIR (ou n° de Sécurité sociale) quand bien même il y aurait « urgence (ou) menaces pour les libertés » mais le gouvernement a, d’autre part, proposé au Parlement d’autoriser l’interconnexion de tous les fichiers sociaux au moyen du numéro de Sécurité sociale (NIR). De plus, un amendement a été déposé pour utiliser ce même numéro pour toutes les connections au Dossier Médical Personnel (DMP) des 60 millions de personnes concernées, ainsi qu’à leur dossier médical à l’hôpital et chez le médecin traitant alors que c’est précisément le spectre d’une mauvaise utilisation de ces fichiers qui avait entraîné le scandale ayant débouché sur l’adoption de la loi informatique et libertés de 1978.

La boucle est bouclée. SAFARI sera bientôt de retour, version plus sophistiquée, cela va de soi !

Lire également : On est fiché et on s’en fiche !



10 réactions


  • roOl roOl 10 janvier 2008 15:08

    Orwell s’etait trompé de date, ce n’etait pas 1984, mais 2008...


  • Sandro Ferretti SANDRO 10 janvier 2008 15:26

    STIC et JUDEX sont deux fichiers différents, ne serait-ce que parce que le premier ressort de la Police Nationale, le second de la Gendarmerie, chacun pour ce qui les concerne, et pour les infractions et/ ou plaintes de victimes qu’ils ont respectivement traité.

     

    Leur fusion en Ariane se situe avant tout dans la recherche de synergies Police/ Gendarmerie à la mode en ce moment (préfigurant peut étre une fusion à long terme des deux institutions).

    Et surtout, pour parler clair, il vise à éviter les doublons, les doubles-couts, et surtout le cloisement des deux institutions (un Gendarme qui n’interroge que "son Judex" va passer à coté de quelqu’un connu de la police et vice et versa. Cela évite les doubles-interrogations couteuses en temps et budgétivores.

    Certaines de vos remarques (ou plutot celles de la CNIL) sont exactes, notamment le danger qu’il y a à faire cotoyer auteurs et victimes dans un méme fichiers sans assurer un sous-fichier clair, et surtout si les Procès Verbaux se contentent (c’était le cas il y quelques années) de dire "entendons Mr X, connu du STIC3, sans préciser si c’est comme mis en cause ou comme victime d’un crime/ délit.

    La plupart des demandes de rectifications soumises à la CNIL portent sur ce point( plus le prroblème des condamnations amnistiées, mais celles-ci sont du ressort du judiciaire, souverain, qui n’informe pas les autorités repressives (police) plusieurs années après de l’amnistie de la peine)

     

    Enfin, si tout cela vous inquiète, inquiétez-vous encore davantage : au sein de l’UE, initié sous Présidence Allemande, figure un projet de création d’un Ariane européen, le CRIS ( Criminal Record Information System), dont les débats et oppositions se focalisent sur certains des points litigieux visés dans cet article.


    • calach calach 10 janvier 2008 17:26

      Je suis d’accord avec vos précisions mais je voudrais insister particulièrement sur le cas des personnes mises en cause dans le STIC et qui sont innocentées par la suite (Non lieu ou relaxe ou acquittement). Il n’existe aucun contrôle pour vérifier que les données de ces personnes sont effacées du fichier. C’est au bon vouloir du Procureur qui le fait ou non d’où les nombreuses erreurs constatées lors des vérifications par la CNIL. Et cela est très grave si la personne se retrouve mise en cause ou fait l’objet d’une consultation administrative. Or une procédure honnête voudrait que l’institution judiciaire informe la personne concernée de l’effacement des données dans STIC ou JUDEX. Mais sommes nous dans le cadre d’une procédure honnête et loyale lorsqu’il s’agit de faire du chiffre dans les statistiques ?


    • Sandro Ferretti SANDRO 10 janvier 2008 17:55

      1/ Sur les non-lieux, acquittement et relaxes :

      Avant d’aviser l’interessé qu’il est radié du STIC, il faudrait encore que ceux qui le gèrent (la police) en soit elle-méme avisée, ce qui n’est quasiment jamais le cas (sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs). On ne peut pas reprocher à la police d ene pas faire le siège, plusieurs années après dans les affaires criminelles, des comptes-rendus d’ausiences, arréts et articles de presse spécialisée dans les faits divers.

      Donc le problème existe, mais il ne faut pas sombrer dans la paranoia et y voir une volonté délibérée du Ministère de l’iNtérieur de nuire. Comme souvent en France, la vérité est ailleurs : administration et querelles de clochers...

      2/ Statistiques :

      Rien à voir. Le recensement des crimes et délits et de l’efficacité policière se fait en amont, dès la présnetation au Parquet et la mise en examen , via l’Etat 4001.

      Garder induement dans les fichiers des noms d’individus relaxés, acquités ou amnistiés ne profite donc pas à l’efficacité statistique policière , mais.. Judiciaire.

      Ne nous trompons pas de crémier dans cette longue chaine pénale.....


    • calach calach 10 janvier 2008 19:11

      Pour ce qui concerne les innocents se trouvant mis en cause, j’ai bien fait allusion au Procureur et à l’Institution Judiciaire. Le travail d’information doit effectivement être fait par le Procureur après avoir ordonné l’effacement des données. Concernant les statistiques, il me semble que l’objectif final est de mettre tout le monde en fiche...


    • calach calach 10 janvier 2008 19:14

      Bonjour Mako,

      La route de la servitude est effectivement de plus en plus large et de plus en plus longue car il devient impossible de concilier SECURITE et LIBERTE. Hélas ...et les victimes seront de plus en plus nombreuses.


    • Ajax Ajax 10 janvier 2008 20:30

      Oulala ! C’est affreux !...

       


    • Bigre Bigre 11 janvier 2008 10:36

      La servitude volontaire aussi ! 

      Le billet à encore cours légal, le GPS peut s’éteindre, le téléphone aussi.


  • olivarchi 11 janvier 2008 09:54

    Dans les contraventions de classe V on touve entre autres ur wikipedia :

    - Atteintes à l’état civil des personnes (R. 645-3 à R. 645-6)

    - Violation des dispositions règlementant le commerce de certains matériels susceptibles d’être utilisés pour porter atteinte à l’intimité de la vie privée (mise à disposition) (R 625-9)

    Arinane est donc dans sa propre base de donnée non ?


    • calach calach 11 janvier 2008 14:15

      Très bonne observation ! La police susceptible d’être mise en cause dans son propre fichier, c’est bien la preuve que nous allons vers l’absurde...


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