La grande fabrique de pauvres made in France
La douce France serait-elle devenue, en dépit de ses atouts évidents et des non moins évidents « gains de productivité » réalisés par les Français que l’on persiste à prétendre « paresseux », une fabrique de pauvres ? C’est le propos de Simone Wapler dont le dernier livre dévoile l’insidieuse alchimie de « l’économie du miracle » avec « l’argent des autres »… Une visite en salle des machines d’une « économie de reconnaissance de dettes » impayables …
Pour Simone Wapler, directrice de la rédaction des publications Agora, « le modèle social français est en réalité celui d’une organisation caritative ne respectant pas les règles déontologiques » - et s’exonérant allègrement du prix des « droits acquis » promis aux citoyens d’excellente qualité moyenne, payable et corvéable à gogo : « Les gens croient participer à une juste cause mais en réalité leur argent sert à la rémunération des permanents (les fonctionnaires) et au paiement des frais de communication (la classe politique). Très peu en réalité est destiné à l’usage souhaité par le donateur. D’où l’implacable mécanique : toujours plus de charges, d’impôts, de taxes et… de pauvres »…
Notre belle machine à solidarité n’aurait-elle pas été dimensionnée pour des temps qui furent meilleurs c’est-à-dire pour une période de plein-emploi comptant bien moins de « sans-dents » sous perfusion, de si peu reconnaissants « bénéficiaires » de la « solidarité nationale » et autres « créanciers » persistant à s’ignorer orphelins de tout débiteur ?
Car il fut un temps où le contexte économique international était porteur – un temps où notre « modèle social » était optimisé pour une « croissance illimitée » : « La France aurait pu s’enrichir. Qu’à cela ne tienne, à ce moment-là, la parade a consisté à importer des pauvres et à taxer plus »… Et ce n’est pas fini : « En France, pour justifier toujours plus d’interventionnisme, la classe politique est prête à importer toujours plus de pauvres. En 2012, l’Insee recensait 12 millions d’immigrés et d’enfants d’immigrés alors que le chômage est à un niveau record »… Comment tenir une réputation d’eldorado ou de « terre promise » sans emplois ni logements à proposer ? Qui paie le prix social de cette « réputation »-là et qui remplit des verres vides voués à demeurer déséspérement vides quand d’autres font rouler le tonneau des Danaïades jusqu’au fond de l’inconséquence ?
La création de la dépendance
Dans la vraie vie, on ne peut donner que ce que l’on a – « sauf évidemment en politique, où l’on est généreux avec l’argent des autres, celui des contribuables et des générations futures »… Pour Simone Wapler, « « l’économie est le prétexte des hommes politiques pour faire dépendre d’eux de plus en plus de gens ». Et « les gens réclament toujours plus de la main qui donne, sans penser à la main qui prend »…
La dépendance mène à la pauvreté (ou l’inverse, au choix) et la « mondialisation » a constitué une aubaine pour créer toujours plus de dépendance : « Le but poursuivi par les politiciens de métier est la création de la dépendance. Plus il y a de gens qui attendent ou dépendent de l’argent public, mieux se porte la caste politique ».
Mais comment diable font-ils ? « D’abord, les gouvernements ont commencé à prendre l’argent du futur en généralisant le recours à la dette plutôt qu’à l’impôt (évitant ainsi tout débat démocratique sur la vraie destination de l’impôt). Pour cela, il suffisait d’imposer un système financier prêt à émettre du crédit sans limite et sans aucun rapport avec le travail fourni, le tout avec la bénédiction d’une banque centrale. C’est le principe de la banque moderne selon lequel « les crédits font les dépôts ». L’idée de génie consiste donc à mettre dans la poche des gens de l’argent qui n’existe pas encore afin qu’ils puissent assouvir leurs envies en se croyant riches ».
La faute à Keynes et à la « doctrine monétariste » ? « La combinaison de ces deux visions déformées de l’économie a abouti avec la crise à ce qui est une insulte au bon sens : des taux d’intérêt négatifs. Autrement dit, celui qui emprunte se fait payer pour emprunter et celui qui prête paye pour pouvoir prêter »…
On en est là aujourd’hui d’une « construction » qui fait une multitude de petits perdants pour une poignée de gros gagnants : « Nous vivons dans l’économie du crédit, plus dans celle de l’épargne. Des banques commerciales ont acquis une licence de création monétaire et elles prêtent… aux riches, dont les Etats, qui apportent en garantie la caution illimitée de leurs contribuables. ».
Mais ce système-là, fait pour fonctionner de façon illimitée dans un monde toujours neuf regorgeant de ressources à exploiter et d’énergies faciles à extraire, n’est-il pas en train de heurter ses limites ?
La machine à broyer
Ajoutons à cela « l’étroit couloir entre le mur des obligations et celui des interdictions » que seules des « soles-limandes anorexiques » seraient encore en mesure de passer – pas un entrepreneur laminé par de stériles tâches techno-administratives répétitives et autres citoyens infiniment moyens sommés de se soumettre aux « mises aux normes » en tous genres… Ou une « exception culturelle » qui coûte 11 milliards par an – un « cas d’école de Malthus qui estimait que les subventions « créent les pauvres qu’elles assistent » en façonnant un mode de vie sous perfusion continue…
Sans oublier le malentendu autour d’une obsession de « croissance » allègrement déclinée sur un mode incantatoire par tous les médias – en fait, le terme désigne une « croissance de dépenses » qui ne saurait être confondue avec une création de bonnes et vraies richesses : « Ce que l’on nomme aujourd’hui « croissance » en France n’est en fait que l’augmentation du crédit, de la dette décidée par l’Etat. Cette croissance-là nous étouffe car la dette n’est jamais remboursée (c’est le crédit revolving), le principal augmente et les intérêts deviennent de plus en plus lourds à supporter ».
Ainsi, une génération entière a confondu dette et richesse en communiant dans une croissance effrénée du crédit – et devrait avoir du souci à se faire pour sa « retraite » (de Russie ?), dans « un système monétariste où l’on peut échanger quelque chose contre une promesse de payer, c’est-à-dire de la dette »… Autant « organiser sa retraite en dehors de l’épargne », sachant que celle-ci est noyée dans l’accès au crédit aboutissant à des empilages de dettes dans ce système en expansion continue qui a besoin de « toujours plus » - plus de nouveaux pauvres pour emprunter et consommer à crédit, etc...
Le « modèle social français » qui s’essouffle ne date-t-il pas de l’époque où la force mécanique, celle des chevaux vapeur, se substituait à la force musculaire ? « Un autre modèle social doit émerger pour répondre au remplacement de l’intelligence humaine par l’intelligence artificielle » rappelle Simone Wapler, qui invite à en finir avec l’hypnotique déstabilisation du réel par la guerre spéculative livrée à toute forme de vie intelligente sur Terre…
Simone Wapler, La fabrique de pauvres, éditions Ixelles, 286 p., 17,90 €