Le serpent de mer de l’ethylotest
Les indications rendues ce matin par le Conseil National de la Sécurité Routière ne contribueront certes pas à renforcer la lisibilité de la politique du gouvernement. Le cas de l’éthylotest obligatoire apparaît à cet égard symbolique. L’éthylotest va t’il être un inénarrable serpent de mer, ressurgissant des flots, au gré des vagues et des courants ?
L'organisme de conseil, "recommande la détention obligatoire d'un éthylotest", mais ne souhaite pas de sanction en cas de non-présentation de l’appareil.
Rappelons que cette mesure prise par le gouvernement de François Fillon avait été annoncée en décembre 2011.
On ne sait comment le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui attendait les conclusions du CNSR avant de prendre une décision sur la question va interpréter cette prise de position !
A L’ORIGINE DE LA LOI
Le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait décidé de faire passer cette nouvelle loi avant son départ de son départ de l'Elysée. De nombreuses failles persistaient dans la fabrication et la vente de tests frauduleux sur internet. Alors que la gauche au pouvoir depuis quelques mois seulement avait repoussé l'application de loi pour octobre ou novembre de cette année pour dresser les premières contraventions, elle a fait volte face au dernier moment, pour imposer le 1 Mars 2013, comme date d'entrée en vigueur. Que signifiait tout cela, sinon le signe d’une précipitation coupable et non réfléchie, des décideurs, et des responsables politiques, ne sachant que faire de ce mistigri.
Un homme est à l’origine de cette loi : Daniel Orgeval. Cet inspecteur de sécurité routière, ex-collaborateur d’un fabriquant de radars, a surtout la particularité d’être chargé de mission chez Contraldo. Cet homme est aussi le président d’I-Test, cette association militante à l’origine du décret arraché dans l’urgence, au gouvernement Fillon. Les deux fabriquants présents sur le marché français, Contralco et Red Line Products, sont les deux sociétés susceptibles de proposer des appareils homologués. A ce titre, ils pourront se partager un potentiel d’équipement estimé à 76 millions d’euros !
De là à hurler au conflit d'intérêts, il n'y avait qu'un pas que la Ligue de défense des conducteurs (LDC) n'avait évidemment pas hésité à franchir. « C'est un scandale », assurait sa secrétaire générale, Christiane Bayard. « Ce monsieur a réussi un coup de maître en garantissant à sa boîte un marché juteux de plusieurs dizaines de millions d'euros. »
L’AVIS DES SPECIALISTES
L’ancien ministre des Transports Dominique Bussereau s’était permis un avis assez tranché. « La Ligue de défense des conducteurs a beau être composée de gens primaires et désagréables, je trouve très choquant que le président de l'association en faveur des éthylotests soit également employé de l'entreprise qui les fabrique. De toute façon, la vraie solution serait d'équiper en série les véhicules. Hélas, j'ai senti du conservatisme et de la paresse intellectuelle chez les constructeurs automobiles quand je cherchais à les convaincre. »
De fait, la tolérance zéro indispose sans qu’on le dise un autre lobby, sur cette route encombrée : C'est celui des cafetiers et des viticulteurs, qui ne manquerait pas de monter au créneau si leurs intérêts était par trop menacés. Il convenait donc, à travers cette loi, de ménager tout le monde, excepté évidemment le citoyen lambda, dindon de cette farce qui paierait les marrons des contraventions, s'il ne pouvait pas brandir son fameux alcootest, véritable laissé passé pourvu d'une date de péremption !
Voilà là un marché juteux qui vous fera de nouveau passer à la caisse, à peine sorti du magasin. Il n'y a pas qu'à Lourdes où l'on fait des miracles, avec une manne offerte aux fabriquants de cierge, et autre vendeur d'eau miraculeuse !
Au bord de la faillite voici à peine quelques saisons, l'entreprise familiale Contraldo avait depuis embauché à tour de bras pour satisfaire une demande désormais estimée à 5 millions d'éthylotests par mois. « 174 personnes travaillent chez nous, soit une grosse centaine de plus que l'an dernier », se réjouit Guillaume Neau, le responsable marketing de la société.
Formidable, non ! C’est un peu comme si un fabriquant de parapluie parvenait à convaincre les politiques que tout passant devait, dés qu’il mettait le nez dehors, se pourvoir d’un pépin !
En tout cas, on ne peut contester que cette histoire d’éthylotest a été pour eux un véritable ballon à oxygène ( avant de retomber comme un soufflet)….. Comme quoi, la preuve est faite qu’il est inutile de boire pour devenir euphorique…N’est ce pas déjà un premier message positif, dans le combat contre l’alcool ?
Après tout, diront les bonnes âmes : Qu’importe d’où vienne la loi, si celle ci peut sauver des vies ? On aimerait bien y croire, puisque c’est l’objectif affiché.
Les paroles de Chantal Perrichon, on tempéré ce bel enthousiasme. Cette femme n’est pourtant pas membre « du club des bolides impénitents », mais présidente de la ligue contre la violence routière. Comme tant d’autres associations, de gens pourtant responsables, elle prédit l’inefficacité de la chose. Car bien sûr, il ne s’agit nullement ici d’hostilité vis à vis d’une politique de prévention qui serait opportune et efficace. Ici, trop de paramètres sont pour le moins suspects, entachés de suspicion de conflits d’intérêts, et débouchent sur une mesure dont l’utilité n’en finit pas d’interroger.
UN QUESTIONNEMENT PHILOSOPHIQUE ET TOXICOLOGIQUE
Sans être grand spécialiste, en faisant marcher simplement son sens critique, ce qui exclut de se mettre au garde à vous dés qu’on entend le mot « sécurité », on peut émettre quelques petites remarques :
Une personne ayant bu a t’elle la capacité, quand elle va s’asseoir au volant, de s’auto-controler ?
C’est un peu comme si vous mettiez une arme dans les mains d’un tueur, avant de l’encourager ensuite à ne pas tirer ! On peut aller jusqu’à dire que c’est une forme de déni. N’est ce pas totalement irresponsable, voir totalement contre-productif, d’ encourager une personne à attendre de monter dans sa voiture, avant de souffler dans cet éthylotest, afin de vérifier si elle capable de la conduire….. Ceci est totalement en désaccord avec ce que l’on sait de la psychologie de l’alcool :
Boire vous met dans un état d’euphorie et de toute puissance, peut compatible à vous faire redescendre du véhicule.
Cette mesure, faisant de vous votre propre gendarme ( mais une fois que vous aurez bu), renforce donc implicitement cette conviction des alcooliques, persuadés qu’ils gardent leur discernement et les qualités de vigilance qui vont avec la conduite. Autant leur demander de se mettre à sauter sur une jambe, avec un doigt sur le nez !
En conséquence, ne comptez pas trop sur eux pour souffler dans ce ballon qui risque de virer, et leur faire perdre ce cézame précieux, qui leur permettra d’être en accord avec la loi, tant qu’il reste dans la boite à gants. Raisonnement étrange, mais exact arithmétiquement, tant il est vrai qu’il faudrait bien sûr deux éthylotests pour être OK, une fois que vous aurez utilisé le premier.
Autre élément à charge : Elle accrédite l’idée que tout conducteur est un toxicomane en puissance !
Quid de tous ces millions d’hommes et de femmes abstinents, ne buvant que de l’eau, ou encore anciens alcooliques, et qui croyaient en avoir enfin fini avec cette suspicion et ce cauchemar ? Pour qui doivent-ils donc payer ? Quel lobby doivent ils donc financer ? Tous ces gens savent très bien où ils en sont avec l’alcool, zéro consommation, n’ont pas de tire bouchon sur eux, et ne peuvent voir que ce fameux sachet, encombrant leur boite à gant, que comme une humiliation grotesque.
Cette affaire ubuesque, ou digne des récits de Kafka, va t’elle encourager d’autres formes de lobbying ?
La fibre sécuritaire sert de plus en plus ces magiciens du commerce, habiles à surfer sur l’air du temps. A box office des mots vedettes, celui de sécurité s’est paré en quelques années d’un aura magique, comme l’étaient, hier, les mots de progrès, de modernité, ou de liberté : Une façon de vous faire avaler n’importe quelle couleuvre à des citoyens que l’on cherche à tétaniser par de beaux artifices.
- Pourquoi ne pas imposer une bouée dans chaque voiture en cas d’inondation, ou de chute dans une rivière !
- Ou la présence d’un préservatif dans la boite à gants, pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles, en cas de rencontre imprévue….
- Une balise argos , comme à bord des voiliers, aurait une utilité indéniable, pour ceux dont la voiture verse dans un ravin, et ne peuvent donner l’alerte.
- Etonnant que l’on nous est pas encore imposé la présence d’un extincteur…
- Pourquoi ne pas prévoir un dispositif, une sirène sur le toit de la voiture, par exemple, qui se déclencherait à la moindre utilisation d’un téléphone portable.
- Avec la consommation de plus en plus répandue de cannabis, ( la moitié des jeunes fumerait, nous dit-on) un autre détecteur est à mettre tout de suite en place, pour tout conducteur, y compris les grands pères qui n’ont jamais fumé autre chose que du tabac à pipe !
- Un kit de survie en cas de catastrophe nucléaire : Pas vraiment inenvisageable et farfelu, lui, dans un pays où la quantité de centrales nucléaires est la plus grande au monde, et où l’on ne fournit pas aux citoyens, assez curieusement, de petites pilules d’iode, saturant la thyroïde et évitant les effets les plus graves d’une contamination.
J’arrête là, je ne voudrais pas donner trop d’idées à des entrepreneurs astucieux. Encore un peu de patience, et votre voiture munie de tous ces certificats (on n’envisage de faire passer le contrôle technique des voitures, non plus tous les deux ans, mais chaque année) ressemblera à celle de ces colporteurs qui passait naguère dans les villages, pour vendre leur bric à brac étonnant.
Le risque sera grand alors que croulant sous le poids de toute cette quincaillerie, testeurs, gilets, extincteurs, et tutti quanti, elle ne se déporte sous un tel poids dans un virage.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Rassurez vous, vous ne serez pas mort pour rien.
Vous aurez permis de créer des centaines, voire des milliers d’emplois, à l’instar de cette société qui a tiré le Jack-pot : Le prix dépendant de l’offre, de la demande, et de l’appétit des spéculateurs ! Car avant que la décision d’application de la loi ne soit reportée, le prix de l’éthylotest avait été rapidement multiplié par cinq, voir par dix, sur internet ou ailleurs.
CREATION DE NOUVEAUX RISQUES : SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTAL
Pour finir, ajoutons le risque environnemental, totalement occulté lors du vote de cette loi. Selon un rapport commandé u peu tardivement, au printemps 2012 par la Direction générale de la santé et paru aujourd'hui, on apprend que les éthylotests chimiques à usage unique provoqueraient des irritations en cas de projection dans les yeux.
Un réactif contenu dans des éthylotests chimiques à usage unique, le bichromate de potassium, a été repértorié en France auprès des Centres antipoisons et de toxico vigilance (CAPTV). Les projections oculaires sont les plus dangereuses : elles peuvent être responsables d'irritations et de "risques d'ulcération cornéenne". "Plusieurs dizaines" de cas ont ainsi été répertoriés.
Ces jaillissements peuvent se produire lorsque les ethylotests ont été fragilisés par une conservation à haute température dans les véhicules en plein soleil, ou cassés accidentellement lors de leur utilisation.
Selon Alain Baert, du CAPTV de Rennes, "ce n'est pas une très bonne idée d'avoir fait le choix d'une substance potentiellement cancérogène" comme réactif dans les ethylotests.
Le bichromate de potassium a été classé par l'Union européenne comme substance cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR) de catégorie 2..
Aucune filière de reclassement n’existe actuellement pour tous ces éthylotests usagés, périmés, cassés, délivrant leurs substances toxiques, à portée évidemment des enfants (Pourquoi ne pas obliger à les mettre sous clés, ouvrant encore un autre marché)
On nous rassure : Le risque que les éthylotests soient cassés en bouche n'est normalement plus possible sauf si un enfant venait à le "croquer", ce qui n'a pas été répertorié par les centres antipoison pour l’instant….ouf ! On est soulagé….
Mais on frémit à l’avance en pensant à toutes ces tonnes de dérivés chimiques gonflant les poubelles, sans parler des bas cotés de la route, les fossés et les rivières, où ils rejoindront les autres toxiques habituels, dans une joyeuse décomposition.
Risque sanitaire et environnemental, prévention et efficacité plus que douteuse, mise en place au forceps, sans débat démocratique, par un lobbying acharné, en utilisant des motifs sécuritaires, tout dans cette loi illustre bien trop ce qu’est devenu cette société du profit, et des petites combines entre amis. Avec le gogo pour payer, et la nature pour encaisser !
S’il existait une sorte de ballon marqueur, mesurant l’absurdité des lois, et dans lequel il faudrait souffler, nulle doute que celle ci l’aurait fait virer au rouge. Les pieds Nickelés, vraiment, ne sont pas loin, qui rigolent.
« Circulez, y a rien à voir ! »
Néanmoins, il n’est pas irrationnel de penser que toutes ces interrogations, pour ne pas dire plus, ne sont pas pour rien dans l’embarras et les hésitations du gouvernement.
Conseiller, mais ne pas obliger, telle sera sans doute la solution trouvée pour sortir de cet imbroglio, suivant ainsi l’avis du conseil national de la sécurité routière. La meilleure façon de ne pas perdre la face.