Taubira contre Charlie Hebdo !
La Ministre de la Justice a envoyé, le 12 janvier, une circulaire adressée aux Procureurs et à diverses autres instances judiciaires relative aux « infractions commises à la suite des attentats terroristes commis les 7, 8 et 9 janvier 2015 » (réf 2015/0213/A13). Le problème, c’est que la loi française pourrait presque convenir à l’Arabie saoudite ou au régime iranien…
La plupart des musulmans ne lisent pas le Coran. S’ils le lisaient, les trois quarts de nos problèmes seraient résolus. Mais ils ne sont pas les seuls à ignorer leurs textes sacrés. La République française fait même pire : elle diffuse des articles de loi qu’elle ne prend même pas la peine de relire, sans s’apercevoir qu’on peut les lui retourner comme un boomerang. On en demeure éberlué. Car ce qui en ressort, c’est qu’il y a largement de quoi renvoyer Charlie Hebdo et pas mal d’autres journaux devant les tribunaux.
Atteinte à l’honneur
Après une lettre de trois pages rappelant le contexte de l’actualité rendant nécessaire le rappel de la loi, celle-ci est rappelée pour ce qui concerne la répression « en matière de racisme, de discrimination, de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme. »
La circonstance aggravante de l’infraction commise dans ces domaines « est constituée lorsque l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » (article 132-76 du code pénal)
Cela dépasse le cadre de la diffamation, puisque l’atteinte à l’honneur ou à la considération y compris en raison de la religion est sanctionnable. Appliquée à la lettre, cette disposition permet de se demander légitimement si les juges sont bien fidèles à la loi lorsqu’ils relaxent certains journaux ou certains artistes particulièrement offensants notamment envers les religions, et cela (c’est moi qui souligne) quelle que soit l’opinion personnelle qu’on puisse avoir sur les faits portés en justice.
Notion d’injure
Mais ce n’est pas tout. La loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la Presse réprime :
- « La provocation publique à la haine… raciale ;
- « La diffamation publique ;
- « L’injure publique ;
- « La contestation de crime contre l’humanité ».
C’est le troisième alinéa qui nous intéresse ici, car il concerne l’injure (empreinte de subjectivisme), bien au-delà de la diffamation (qui est objective) et cela, de nouveau, « à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée : délit prévu par l’article 29 alinéas 2 et 33 de la loi du 29 juillet 1881… »
À bien y réfléchir, ces textes de la loi française pourraient assez bien convenir à l’islam, sinon dans ses versions extrémistes, du moins dans ses versions confessantes. Idem pour les autres religions, dont le christianisme qui a dû endurer bien des avanies infligées au Christ. La loi républicaine évoque bien l’offense, y compris dans son ressenti subjectif, comme passible des tribunaux. En effet, l’injure n’est pas seulement une question de gros mots ; elle est constituée quand l’autre se sent injurié. Cela ne veut pas dire qu’il y ait nécessairement condamnation au bout. Cela veut dire que le sacro-saint droit à la liberté d’expression connaît, y compris dans notre République voltairienne, quelques limites qui ne sont pas circonscrites au seul domaine des faits. Autrement dit, Charlie Hebdo n’est pas la nouvelle religion laïque souverainement pourfendeuse de toutes les autres religions ou convictions qu’on a bien voulu nous présenter dans un unanimisme tellement suspect qu’il est en train de se fissurer.
À quoi croit la République ?
Il faut donc sortir de l’ambiguïté, des faux-semblants, des slogans et des anathèmes. Et rebâtir notre société sur des valeurs communes acceptables par les croyants comme par les incroyants. L’Article 2 de notre Constitution stipule, dans l’esprit de la laïcité, que la République assure « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. » Il y a donc deux solutions : soit Madame Taubira fait réviser le code pénal et la loi de 1881 ; soit il va falloir sérieusement se mettre à réfléchir à un problème traité souvent intelligemment dans les média et sur Internet : celui des limites à la liberté d’expression, et celui de leur définition.
Personnellement, la loi de 1881 me conviendrait assez bien. Mais je doute que Madame Taubira ait pris la peine de la relire, sans quoi elle aurait pondu une autre circulaire ou bien se serait dispensée de rappeler le texte de la loi en Annexe. La réalité probable, c’est que c’est un fonctionnaire qui s’est chargé de rédiger cette circulaire, la Ministre se contentant de parapher.
Je précise, pour les esprits peu fins, que je ne cautionne évidemment aucun meurtre, aucune violence, aucune menace à l’encontre de média réputés diffamateurs. J’ai d’ailleurs enfin réussi à acheter le Charlie Hebdo des survivants.
Si l’actualité n’était pas si tragique, il y aurait de quoi s’en amuser. Ça prouve une fois de plus que la France et l’Occident vivent une terrible crise de valeurs, qu’ils ne connaissent même plus celles dont ils sont les dépositaires, qu’ils ne comprennent pas celles des autres et que, partant, ils ne parviennent même plus à savoir de quoi ils parlent.