AF447 : Décrochage « Vautour »
Le Bourget a fermé ses portes la semaine dernière. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais il y a un truc d'actualité dont on y a pas du tout, mais alors pas du tout parlé, c'est du Vol AF 447 d'Air France ! Il est vrai que cette histoire de disparition en mer risquait de faire tâche...
En 2009, revenant sur les années 90, je vous avais raconté comment un airbus stupide s'était fait avoir par l'aérologie des Vosges. L'affaire de l'AF447 pourrait bien être aussi navrante, carrément celle d'un avion qui se soit planté tout seul ! À l'image d'un vautour devenu aveugle... Cet oiseau imprévisible qui a une technique bien à lui pour descendre subitement de deux ou trois étages au milieu de ses congénères, repliant ses ailes en se laissant choir, suivant là une façon aussi bête que ça ! Concernant l'avion d'Air France les choses sont presque aussi simples. L'enquête n'est cependant pas close et pourrait bien traîner, histoire de trouver de quoi bien charger les pilotes.
De ce drame de l'année dernière il n'est resté longtemps qu'un énorme mystère jusqu'à ces derniers jours, et pour cause, "les boites noires" semblaient définitivement perdues. Contre toutes attentes celles-ci furent finalement trouvées, remontés et lues. En général ce genre de sujet occupe bien les médias et sans qu'il ne soit question que de ça, l'évènement aurait même dû faire parler les nombreux professionnels friands de ce genre de sujets… Au moins eux ! Hè bien non, personne ou presque n'en a parlé, notamment sur les médias français et c'est ainsi que Le Bourget a fermé ses portes sur une aviation sans drames.
Personne ? Si on cherche bien, notamment sur Internet, on trouve tout de même. Que s'est-il donc passé le 1er juin 2009 au dessus de l'Atlantique ? Les sondes pitot conformément aux premiers soupçons ? Les hublots à Morice ? La nouvelle génération d'avions idiots comme pressenti par Homme Champignon et dont je vous avais moi-même déjà présenté un exemple dramatique ?
Les rares sources disertes nous présentent en effet encore un avion communiquant assez mal mais aussi pour lequel, reconnaissons la chose, la défaillance des sondes pitot est bien présente dans l'enchaînement des causes. Nous pouvions en effet soupçonner ici des craintes sur le probable enchaînement du drame de la part du constructeur de l'avion. Devant l'absence d'indices probants celui-ci avait naturellement préféré désigner au public un élément pas trop problématique dans cet enchaînement, à savoir les sondes plutôt que des automatismes aux prérogatives déroutantes spécifiques aux dernières générations d'avions commerciaux. Obtenir ce que connaissent maintenant les enquêteurs n'est pas très difficile. Un "point sur l'enquête" est par exemple disponible à partir du site du Bureau Enquêtes Accidents (BEA) mais il existe d'autres sources allant plus loin dans les détails, voire même certaines y allant de leurs hypothèses ! Ces sources sont, hélas, généralement écrites dans la langue de Shakespeare. Nous trouverons la meilleure, à mon avis, sur flightglobal.com mais
l'article de la revue Aviation Week du 6 juin 2011 (pages 36 et suivantes) n'est pas mal non plus.
Voici ce qui s'est passé :
(Remarque : Rédiger un truc technique qui soit à la porté de tous est impossible ! Cependant le forum est à votre disposition : n'hésitez pas à poser vos questions !)
Le Commandant allant prendre une pause,
Les deux autres pilotes avaient en charge l'avion qui volait à travers une couche de nuages turbulents à 11.000 m environ à Mach 0,82. De plus le gradient de température superficielle extérieure et l'avion - à pleine charge avec 216 passagers et 12 membres d'équipage - limitait probablement le plafond pratique. Des conditions difficiles mais pas exceptionnelles... L'avion se dirigeait vers le repère TASIL (ou ORARO suivant sources discordantes. Ces repères n'ont pour nous aucune importance.), qui marque la frontière entre le Brésil et l'espace aérien océanique sénégalais, mais comme le mentionne le co-pilote le contact avec le centre de contrôle de Dakar n'avait pu être établi.. Après que le capitaine eut quitté la cabine et dans les 6 min, l'équipage reçu plus de turbulences et le co-pilote passif suggéra une altération de cap à gauche. 12° à gauche affiché, les turbulences continuaient à augmenter, l'équipage choisi alors de ralentir l'avion jusqu'à Mach 0,8 - une pratique normale lors de pénétrations en air turbulent afin de maintenir une vitesse air correcte pour ces conditions.
La crise s'est amorcée environ 2min plus tard avec le débrayage du pilote automatique de l'A330 et de la poussée. Quoique le BEA n'ait pas statué sur la raison de ça, nous savons qu'il y a eu plusieurs cas de givrage du tube de Pitot provoquant un désengagement similaires sur A330/A340, à la suite de quoi des avions étaient incapables d'obtenir des données cohérentes sur la vitesse air. (Air France avait d'ailleurs déclaré ouvertement : « Il apparaît que le problème initial est la défaillance des sondes de vitesse, ce qui a conduit à la déconnexion du pilote automatique et à la perte de la protection des systèmes associés au pilotage. » )
Cette défaillance validée l'AF447 passe, comme prévu, d'un mode normal à un mode dégradé ses règles de contrôles du vol. Toutefois cette situation critique signifiait la perte de l'enveloppe de protection des angles d'attaque présente en mode normal.
Comme le pilote actionnait le mini-manche latéral gauche, pour contrer un mouvement de roulis à droite tout en tirant, deux coups d'avertisseur de décrochage se déclenchèrent, indiquant que l'avion dépassait un angle d'attaque critique.
L'écran principal de vol, côté commandant, montre alors une "forte chute" de la vitesse de 275kt (510 kmh, 1 noeud valant 1,8 kilomètres par heures) à 60kt (110 kmh), d'après le BEA, pendant que l'angle d'attaque augmentait progressivement jusqu'à passer 10° !
Alors que l'avion était en croisière à 11.000 mètres il se mit à grimper à une vitesse verticale 35.mètres par secondes en dépit de l'équipage non conscient du fait sachant que l'avion aurait du mal à soutenir le vol à plus haute altitude et à une vitesse de croisière bien plus lente.
Rappel du Commandant
D'après le BEA, le pilote rendit la main aussitôt tout en contrant du roulis à gauche et à droite. La vitesse verticale retombe à 2m/s et la vitesse affichée remonte promptement à 215kt pour un angle d'attaque réduit à 4°.
Signe que la situation commençait à inquiéter l'équipage, le pilote passif tente par plusieurs fois un rappel du commandant en cabine, d'après le BEA.
Pendant ce rappel du commandant, il y eu un autre coup d'avertisseur de décrochage. La procédure décrochage d'Air France-A330 prévue plutôt pour les décollages et les rotations requiert un réglage de la poussée et une réduction de l'assiette à cabrer. Mais tandis que l'équipage AF447 positionne les manettes des gaz en position correcte – sachant que les moteurs ont toujours répondu correctement - « le pilote aux commandes maintient son assiette cabrée ».
L'angle d'attaque de l'aéronef augmente ainsi que celui du plan horizontal compensé – lequel est automatiquement compensé en mode dégradé – suivant une augmentation d'assiette de 3° à 13°. Ayant atteint une altitude maximale de 12500m environ et un angle d'attaque de 16°, l'avion perd toute portance et commencé à tomber, s'enfonçant position cabré.
Juste 90s après que le pilote automatique se soit débrayé, comme l'avion descendait de 11 000 m à quasi pleine puissance, le commandant rentra dans la cabine de pilotage. À ce stade les paramètres vitesses de l'A330 avaient été rendus invalides par les systèmes de l'avion et l'avertisseur de décrochage est coupé. L'angle d'attaque pouvait monter à plus de 40°, et l'avion roulait de 40° à gauche et à droite, bien que son assiette ne dépassait pas 15°.
Le plan horizontal compensé maintenait la position initiale cabré de l'AF447. La logique de l'A330 autorise l'avion à entrer dans une « attitude anormale » si l'angle d'attaque dépasse 30°, qui aurait invalidé l'auto-compensation et forcé l'équipage au pilotage manuel de la profondeur.
Les premiers signes d'action pour récupérer le décrochage sont venus juste 20s après le retour du commandant en cabine, d'après les enquêteurs.
La poussée de l'AF447 a été réduite à « ralenti » et les moteurs délivraient alors 55% de "N1" (?) et le pilote a commencé à rendre la main. L'angle d'attaque se réduisant, les paramètres de vitesse redevinrent valides et l'avertisseur de décrochage se déclenche à nouveau.
L'angle d'attaque restait néanmoins au-dessus de 35° et le pilote connaissait la situation désespérée de l'appareil vu que, travers 3.000 mètres, il continuait à descendre encore rapidement ! Les pilotes considèrent, à l'image de l'avion, ne pas disposer d'indications valables.
Quelques 40s avant l'impact, d'après le BEA, les deux pilotes faisaient des actions simultanées sur les mini-manches latéraux avant que le pilote aux commandes cède le contrôle à l'autre. À un taux de descente de plus de 60m/s, une vitesse sol de 107kt et avoir tourné de plus de 180° vers la droite lors de sa descente, l'avion touche l'eau en position cabré et se désintègre. Il n'y a pas eu de survivants.
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Maintenant que conclure ? "Homme Champignon" n'avait pas tout faux et "Morice" s'est complètement planté ! Toutefois ce fût bien de chercher à comprendre car cela relativise la parole officielle qui serait alors pensée unique ! En l'absence de certitudes les autres thèses entretiennent le doute, seule vérité en l'absence de faits concrets ! Donc merci à "Homme Champignon" et à Morice... Mais ;-) laissons cela...
Bien que les sondes Pitot mesurant la vitesse air semblent s'être couvertes de glace, l'écart de vitesse entre les affichages de vol primaires et de secours n'a duré qu'environ 45 sec., phénomène pas vraiment anormal. L'essentiel en fait se résume en un décrochage jamais récupéré. Ce point là fait l'objet de polémiques sur quelques forums anglo-saxons tel celui introduit par Peter Garrison : « Etait-ce un décrochage profond ? »
À la question de Peter d'évidence la réponse est NON puisque physiquement le rétablissement du vol normal était possible. Toutefois notons que ce décrochage était stabilisé, comportement troublant dont peut être seuls les avions à commandes électriques assistées par ordinateur pourraient être capables. En effet un avion ancien, soit aurait été incapable d'atteindre le point de décrochage, soit aurait fait une abatée (basculement par l'avant rétablissant la situation après une perte d'altitude peu dangereuse à ces niveaux de vol.) Cette faculté de pouvoir quasiment se laisser tomber fait de l'A330 un égal au vautour, sauf qu'il n'a même pas besoin de replier ses ailes !
La revue Aviation Week cite Gerhard Huettig, un professeur d'aéronautique de l'Université technique de Berlin, qui explique que le changement de la position du stabilisateur horizontal pourrait être due à une aberration dans un logiciel qui n'aurait pu être ni reconnues ni corrigées par les pilotes lequel serait un facteur-clé pour expliquer pourquoi ils ont été incapables de sortir du décrochage ultérieur. Ce monsieur affirme par conséquent que toute la flotte d'A330 devrait être arrêtée de vol jusqu'à ce que le logiciel soit corrigé.
Bien entendu une certaine attention est porté sur les pilotes. Au stade actuel des réflections il semble difficile de leur coller une faute grave. Les responsables insinuent cependant sur une inadéquation de la formation pilote à mettre donc « plus en phase avec les dernières technologies aéronautiques. »
Pilotage "à deux" ? Revenir sur cette polémique aux origines de la nouvelle génération d'avion ne peut être inutile. La disparition du mécanicien navigant est une chose hélas actée. Celui qui serait présent aujourd'hui ne serait pas que mecanicien mais également informaticien. Aurait-il résolu le problème ? Il peut paraître évident que oui, surtout si celui-ci avait accès à tous les paramètres avions (dont le braquage des gouvernes ! ) mais je peux me tromper. Si son rôle pouvait être notamment d'invalider manuellement les mesures douteuses, rien de grave ne se serait produit car une partie du problème est bien lié aux prérogatives prises par la machine sans le contrôle des hommes. Reconnaissons toutefois que l'équipage Air France était bien organisé avec 3 pilotes affectés ce qui permet à 2 de travailler toujours en cabine et au commandant d'être un vrai responsable ce qui n'est pas un luxe avec 216 passagers à bord.
Les conclusions établies, Que faire maintenant ? La première des chose est d'en parler. Morale guerre naturelle chez Airbus Industrie qui, à mon avis, se trompe lourdement ! Allons, le public sait qu'il n'existe pas de techniques infaillibles ! Surtout que jusqu'à présent la grosse aéronautique de transport n'a pas à se cacher : Elle fait mieux, statistiquement, que l'industrie nucléaire. Qu'on en juge : Il y a environ 30 000 gros avions en service dans le monde qui ont eu seulement 35 accidents l'année dernière et 26 en 2009. C'est bien sûr toujours trop, surtout pour ceux sur qui ça tombe ! Nous pouvons d'ailleurs faire sûrement encore mieux mais à condition de ne pas se cacher les choses !
Prendre conscience aussi que si les hommes sont imparfaits, les automatismes le sont aussi mais aussi et surtout que les automatismes font mauvais ménages avec les hommes. Les gros avions n'ont jamais été un outil à voler, ils ont été machine mais sont aujourd'hui de vrais usines à gaz, genre centrales électriques atomiques : vous savez ces trucs aptes à partir de travers... Mais là j'exagère ;-)
Bref, À la suite de cet accident et des premières révélations présentées il y a une trentaine de jours maintenant, les équipages ont-ils reçu de nouvelles recommandation ? Attendre un rapport lointain c'est prendre le risque d'un second drame ! Sinon qu'ils sachent reconnaître le facétieux "décrochage vautour" des A330 et similaires : Pour en sortir il suffit de demander à l'avion d'avancer ! :-)