jeudi 6 juillet 2017 - par Bernard Dugué

La grande crise scientifique (et plus) du 21ème siècle

Peut-on penser que les sciences contemporaines sont en crise ? Pour le savoir, le mieux est d’interroger l’histoire des savoirs pour capter quelques traits caractéristiques des périodes de transition dans la grande aventure humaine de la connaissance de la nature et du cosmos. Ce texte se veut expérimental. Merci pour vos remarques constructives.

Les sources écrites nous permettent de remonter à quelques millénaires. Je tiens pour pertinente la thèse de la période axiale proposée par Jaspers. Quelque 700 à 400 ans avant notre ère des penseurs ont vu plus loin que leurs prédécesseurs. Lao Tse et Confucius en Chine, Gautama Bouddha en Inde, Pythagore, Anaxagore, Platon, Aristote en Grèce. On peut ajouter à la liste les auteurs de l’Ancien Testament. Pour ne pas nous perdre, je m’en tiendrai à la connaissance philosophique et scientifique du duo Platon Aristote qui joua un rôle décisif en Europe occidentale et orientale, ainsi que dans le monde islamique au Moyen Age.

(I) De Platon à Thomas d’Aquin. L’Europe et le Proche-Orient ont légué une somme considérable de savoirs concernant la nature, l’homme, le cosmos et Dieu. Après l’âge d’or de la philosophie en Grèce, l’école d’Alexandrie a produits de grands savants dans les domaines scientifiques, les pères d’Orient ont livré des textes fulgurants sur les énergies spirituelles. L’émanatisme de Plotin a engendré comme réplique le dogme de la Trinité (Nicée, 325). Les Romains ont perfectionné le droit et la philosophie dans une direction stoïcienne. Les savants et autres alchimistes ont côtoyé les exégètes de la philosophie grecque en terre d’Islam. Puis la scolastique médiévale a représenté un aboutissement philosophique et théologique.

(II) La grande charnière de 1300. Des choses importantes se sont produites en Europe pendant le 14ème siècle marqué par une démographie importante achevée par une crise de production alimentaire et des famines, puis le terrible épisode de la peste noire qui frappa l’Europe une décennie après le commencement de la guerre de cent ans. L’Europe a vécu une longue période de déstabilisation durant un siècle et demi, jusque vers le milieu du 15ème siècle. La guerre de cent ans prit fin alors qu’en Orient, un empire florissant s’empara de Constantinople. A noter le déclin de la civilisation islamique consignée dans les écrits de Ibn Khaldoun produits pendant la seconde moitié du 14ème siècle. Bref, plusieurs mondes ont été secoués par des crises majeures. La scolastique médiévale fut un accomplissement mais aussi un obstacle pour de nouvelles aventures dans les champs du savoir et de l’art.

(III) De 1300 à 1900. Cette époque médiévale de crises n’a pas empêché le développement scientifique avec une place importante pour la mesure du temps, marquée par l’horloge ainsi que l’Ars nova initié par Philippe de Vitry. Ce phénomène a été défini avec le néologisme de pantométrie par l’historien des sciences Alfred Crosby. Pantométrie signifie la mesure de toutes choses ou du moins un impératif de tout soumettre à la dimensionnalité et à la disposition des choses dans un ordre spatial ou bien temporel (Crosby, La mesure de la réalité, Allia, 2003). Il s’agit d’obtenir un monde matériel métrisé. Qui deviendra le monde maîtrisé de Bacon et Descartes.

« Comment, pourquoi et quand les Européens ont-ils cessé de se contenter d’empiler des données sensorielles, tels des rats amassant avec zèle de scintillants détritus ? Comment, pourquoi et quand se sont-ils sauvés d’une éternité vouée à la contemplation extatique des Idées platoniciennes ? » (Crosby, p. 29)

Ces quelques lignes permettent de comprendre comment la scolastique s’est enfermée dans une impasse. Contempler les Idées et sur terre, amasser des données sensibles qui finissent par devenir stériles, ne produisant plus d’information et donc de transformation. La scolastique ce fut aussi d’interminables disputes sur des questions sans réponses, celles des universaux, sans oublier les débats stériles de casuistique. La Renaissance a traversé une zone d’ombre. La pantométrie a propulsé la cartométrie, les instruments de mesure, l’art de la musique, puis les œuvres de la science moderne depuis Galilée et Newton jusqu’aux machines du 19ème siècle.

(IV) La petite charnière de 1900. Einstein, la radio, la chimie structurelle, l’atome, la radioactivité, puis la mécanique quantique, Picasso, Schönberg, la logique de Frege, Gödel. La science a accumulé des données métrologiques, formelles et technologiques avec une puissance sans précédent. Elle était perçue comme en crise par Husserl ou Guénon. Deux conflits planétaires à l’intensité sans précédent ont éclaté. Pour donner un monde nouveau. Avec une autre charnière, celle de 1960. L’émancipation, la science moléculaire et matérialiste, les électrodes, les génomes, les épigénomes, les protéomes et la circulation des informations. Le rock des années 1970 a été d’une inventivité conséquente.

(V) L’impasse de 2010. Les connaissances se sont transformées chaque fois que des informations inédites sur les choses (et l’homme) ont été acquises pour être triées, classées, hiérarchisées, mises en ordre avec des modèles et des théories. La science n’a jamais été aussi resplendissante, conquérante, triomphante, sure d’elle-même, de son efficacité, de ses promesses. Pourtant, quelques grains de sables se sont insinués dans cette fantastique machine. La science ne produit pas le bonheur. Elle échoue à solutionner des problèmes de santé majeurs. Elle n’a pas réussi à comprendre la vie et le cosmos. Bref, cette science contemporaine est en crise mais la communauté scientifique semble se placer dans une sorte de déni de vérité. D’ailleurs les sciences de la complexité étaient déjà en crise avec la conjecture non résolue de l’émergence constatée par quelques scientifiques lors du colloque de Cerisy tenu en 1981. Par la suite, l’évolution darwinienne (Denton), la cosmologie quantique (Smolin) et les neurosciences (Nagel) ont été décrétées en crise. Je suggère de transposer le propos de Crosby pour l’appliquer à la science du 21ème siècle ;

Comment, pourquoi et quand les Européens cesseront-ils de se contenter d’empiler des données technologiques, des signaux électriques et des chiffres, tels des rats amassant avec zèle de scintillants artifices ? Comment, pourquoi et quand se sauveront-ils d’une perpétuité vouée à l’étude extatique du big bang, des trous noirs, des gènes, de la relativité générale, et des théories de la computation ?

Le fin mot de l’histoire, c’est que les savants ont réussi à sortir de l’impasse scolastique pour produire la science opérationnelle et descriptive moderne. Par contre, il n’est pas certain que les savants puissent sortir de la crise actuelle que l’on peut interpréter comme une seconde scolastique. Ou plutôt une scolastique des apparences, des artifices et de l’admirable « faux » incarné par la techno-science moderne et la culture de masse. L’homme est aliéné dans le technocosme.

Comme l’a bien montré Crosby, la révolution de la pensée et des pratiques vers 1300 a été accompagnée ou produite par une nouvelle compréhension du temps, à la fois dans l’art musical et la mesure des horloges. Cette révolution a couru jusque dans les années 1900. Il ne semble pas qu’une cassure se soit produite depuis, malgré la physique quantique et la nouvelle gnose à Princeton. Pourtant, une chose est certaine. C’est que si une révolution des savoirs permettra de sortir de cette scolastique des artifices, elle sera accompagnée voire propulsée par une conception inédite du Temps. Cette conception n’est pas encore connue. Elle se dessine néanmoins.

Une grande explication entre le philosophe maître du Temps et le président maître des horloges ? Ou plutôt une explication entre la philosophie et la science. Les maîtres du temps face aux maîtres de l’espace. Les kronologues face au métrologues.

Les philosophes entendent, pensent et créent la musique, les technologues disposent, produisent du son qui finit par sonner comme du bruit.



18 réactions


  • rogal 6 juillet 2017 15:13

    Est-ce à une nouvelle science de Dieu que, dans le fond, vous appelez ?


  • Larry Bird Armand Simon 6 juillet 2017 17:01

    « Les philosophes entendent, pensent et créent la musique, les technologues disposent, produisent du son qui finit par sonner comme du bruit. »

    Je dirais plutôt que c’est les « musiciens » qui entendent, pensent et créent la musique, et que certains « philosophes » disposent, produisent parfois du son qui finit par sonner comme du bruit... 



  • Eschyle 49 Eschyle 49 6 juillet 2017 17:15

    Bravo pour la remarque à propos d’Einstein , contrefacteur de Poincaré ! Mais quid de Clémence Royer , qui jeta les bases de la physique quantique ? Quid d’Augusta Ada King, comtesse de Lovelace, née Byron , qui conçut la programmation informatique ? Quid de Burkhard Heim ( 1925 - 2001 ) , qui unifia théorie de la relativité et physique quantique , jetant les bases théoriques d’un astronef pour aller de la terre à la planète Mars en trois heures ? Quid de Claude Marsan , qui révolutionna le clavier informatique ? Quid de Nikola Tesla , qui inventa deux générateurs électriques , l’un pour alimenter les maisons , l’autre avec lequel il parcourut des milliers de kilomètres en automobile , sans préjudice d’inventions dont la description défie l’imagination : téléportation d’une frégate , arme climatique ,etc ? 




  • Fourmi Agile Fourmi Agile 6 juillet 2017 19:27

    La Science est bourrée de mensonges aujourd’hui. Il suffit de s’y plonger un peu pour découvrir des incohérences incroyables.
    Voici ma vidéo sur l’escroquerie de la Station spatiale : https://www.youtube.com/watch?v=JoPp5Nbf_Ao

    Et mon site : http://www.mensonges.fr/
    Ouvrez les yeux !

    • Lugsama Lugsama 7 juillet 2017 02:07

      @Fourmi Agile

      Ouvrez les yeux.. on vous retourne le compliment, merci en tout cas c’est assez drole comme video.


    • Garibaldi2 7 juillet 2017 04:10

      @Lugsama

      Je vous avais posté ce message dans la discussion sur l’article de ’’Venezuelainfos’’, j’espère que vous aurez le temps d’y répondre...

      @Lugsama

      Venevision ne fait plus que du divertissement ? Pourtant il suffit d’aller sur son site pour voir qu’elle fait aussi de l’info : http://www.noticierovenevision.net/

      Aujourd’hui on y parle bien des événements à la chambre des députés à Caracas :

      ’’inician evacuacion hacia la sede de Pajaritos ante acoso de colevtivos’’

      On peut voir les sujets politiques en replay : http://www.noticierovenevision.tv/politica/index.htm

      Je note aussi que la chaîne appelle clairement à manifester contre Maduro : http://www.noticierovenevision.net/noticias/politica/opositores-marcharan-este-jueves-hacia-el-tsj

      Il y a aussi Globovision et Televen qui sont privées. RCTV a perdu sa licence après avoir soutenu le coup d’état contre Chavez en 2002.


    • Garibaldi2 7 juillet 2017 04:55

      @Fourmi Agile

      Sur votre site, vous affirmez que les astronautes n’ont jamais posé le pied sur la lune et vous écrivez : ’’Pourquoi le LRO n’a fait aucune photo de la face cachée de la Lune ? Personne n’a jamais vu la face cachée de la Lune et le LRO n’aurait pas fait de photos ?’’

      Le 18 octobre 1959, la sonde soviétique Luna-3 a transmis les premières photo de la face cachée de la Lune, prises depuis une distance de 6.200 km (https://lc.cx/qsHs). Sans doute vous ne devez pas le savoir puisque vous n’étiez pas encore né !


  • pallas 6 juillet 2017 20:24
    Bernard Dugué

    Avez vous oublier ?.

    Tout ce qui vie, n’a de fatalité que de disparaitre.

    Peut importe la science, la technologie, rien n’est immuable.

    Nul être en ce monde ne peut faire exempt face au marchand de sable.

    La Question, sera toujours posée, ainsi est l’existence.

    D’ailleurs l’espèce humaine va disparaitre, chose encours, de manière prodigieuse véritablement.

    L’immortalité et le désir tel, n’est qu’une rêverie quelconque et sans importance.

    Salut


    • abcd 6 juillet 2017 21:56

      @pallas
      ouais cela s’inverse aussi facilement, il est irrémédiable d’avoir été, tout ce qui fût a été, on ne peut pas ne pas avoir été à partir du moment ou on fût, par conséquent cet irrémédiable a autant de valeur que de ne plus être après, parce que pour ne plus être après il faut avoir été.
      Par conséquent ce qui compte c’est l’avant fin et non d’être toujours, comme a dit quelqu’un :« l’immoralité c’est chiant, surtout vers la fin » qui n’en a plus (de fin).


    • pallas 6 juillet 2017 22:10

      @abcd

      D’où La Question, qui est personnel, pour chaque individu.

      Avant la vie, et après la vie, j’en est aucune idée.

      Qui vous dit que nous ne sommes pas en Enfer ? et que nous sommes dans un entre deux ?, donc mort, sans que nous le sachions (l’Enfer de Dante).

      Il y a quelque chose qui cloche ici même, mais cela est ma Question, chacun la sienne, après tout.

      Salut


    • abcd 7 juillet 2017 17:22

      @pallas
      « Qui vous dit que nous ne sommes pas en Enfer ? » ce type de question est parfois abordé en fantasy (la science fiction sans les boulons) je vous conseille une lecture « le k » de Dino Buzzati, il y a justement une nouvelle ou d’une certaine manière on est déjà en enfer, puisque les enfants souffrent (mais y à pleins d’autres nouvelles aussi intéressantes, même si j’ai eût besoin de pas mal de temps pour apprécier la première qui est justement le titre du recueil).
      Votre impression de ce qui cloche m’a été familière, l’impression de regarder le ciel, comme ci il manquait une pièce du puzzle, juste une, comme ci l’important c’était « le manque originel » et non ce qui manque (les publicitaires savent expliquer ce qui manque, sans enlever cette impression de manque).
      J’ai pas de réponse à la condition humaine du type oui, non, pourquoi ?
      Mais on ce la pose tous, par forcement au même moment, pas forcement aussi souvent, parfois bien tard, parfois trop tôt, votre question est universelle, ecclésiaste avait trouvé une parade :« les voies du Seigneur sont impénétrables », mais les matérialistes n’ont trouvés qu’une piètre sentence « que du bonheur », c’est idiot, personne ne peut ne pas souffrir, à moins d’être psychopathe, lobotomisé ou sous tranquillisant.
      Il y a une part de souffrance à être, mais on est plus des minots et il n’y a pas que de la souffrance à être.


    • pallas 7 juillet 2017 18:10

      @abcd

      Sa c’est simplement le haut de l’iceberg, rien de plus.

      La Question est individuel et uniquement, chacun son chemin de croix.

      Mais je remercie tout de même votre commentaire interessant, c’est chose rare.

      Salut


    • abcd 8 juillet 2017 20:25

      @pallas
      « Sa c’est simplement le haut de l’iceberg, rien de plus. », peut-être j’aime bien avoir des bases sur beaucoup de domaines de connaissances, mais je vais pas beaucoup plus loin, même si cela donne une impression inverse.
      « Mais je remercie tout de même votre commentaire interessant, c’est chose rare.Salut »
      Tant mieux, il faut qu’on revienne un peu à la curiosité et à la discussion. bien à vous


  • Tzecoatl Claude Simon 6 juillet 2017 23:39

    Faut t’il aller plus vite que la musique, Mr Dugué ?


    L’humanité semble, dans toutes sortes de secteurs, si empreint d’obscurantismes.

    Est ce que les applications de la physique d’Einstein sont si exhaltantes ?

    Dans son scientisme et son carriérisme, la science est un long fleuve tranquille.

    La matière noire, Mr Dugué. Combien de milliards et de bataillons engloutis pour ne rien trouver ?

    La vitesse de rotation des galaxies, Mr Dugué, ne serait-ce pas, quelque part, qu’un petit gif animé ?

  • abcd 7 juillet 2017 17:34

    "Les philosophes entendent, pensent et créent la musique, les technologues disposent, produisent du son qui finit par sonner comme du bruit." oui il est temps que les philosophes quittent leurs olympes et ce tourne vers les hommes et leurs sciences, mais il y a toujours une tendance à dormir sur ses diplômes comme sur ses lauriers, afin de commencer par réclamer leurs attributs d’homme de l’art, alors les pauvres mortels ce sentent snobés.


    • abcd 7 juillet 2017 17:49

      @abcd
      Les sociologues ont une solution à la problématique des hommes qui dorment sur leurs lauriers, il faut que l’ascenseur social marche, le problème c’est que si on ce contente de 2 % de mobilité social on ne fait que ramener des zélés doués chez les élites, comme notre président et alimenter des espoirs qu’on détruira par la suite (chauffeur uber, prêt social en Inde à 15%, winner en école de commerce qui à la cinquantaine seront en reconversion-dépression, etc...).
      Comment on fait Florance, comment on fait d’un sculpteur, un peintre capable de calculer la structure nécessaire pour peindre le plafonnier de la chapelle Sixtine, mieux que les architectes, comment on fait des léonards et tout un tas de tortues ninjas, des assistants, des mécènes, des talents, des techniciens, des magasiniers et des comptables, sans que l’art n’en soit dégradé.


    • pallas 7 juillet 2017 19:21

      @abcd

      La France est une sorte de nœud auquel toutes les idéologies du monde peuvent venir, faisant leurs commerces diverses.

      Donc, apprendre de l’autre, sans que celui puisse apprendre de nous même, c’est un concept interessant.

      Vous pouvez voir le monde, car celui ci s’invite finalement.

      C’est une vaste bibliothèque en tant réel de ce qui nous entoures, mais factice et superficiel, juste des trucs sans importances, je préfère vous mettre en garde, rien n’est de concret la dedans, juste des informations.

      Salut


    • abcd 7 juillet 2017 20:56

      Y à quand même d’autres consciences qui habitent votre matrice ?


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