Commentaire de Alban Dousset
sur Chronique d'un éveil citoyen – Épisode 7 : Penser la monnaie et la dette


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Alban Dousset Alban Dousset 19 novembre 2014 10:56

Bonjour Marc,

 

Je vous remercie pour vos encouragements et le jugement qualitatif de cet article.

Je suis surpris car vos propos semblent beaucoup moins radicaux que ceux tenus au micro de CauseToujours (http://www.youtube.com/watch?v=rTz4_7mB3Os)

 

Concernant vos remarques :

1. « Et votre exemple de « je n’aime pas mon travail » (mais je le fais quand même à cause de la monnaie qu’il me rapporte), est issu lui-même du monde monétaire. Quels sont les travaux « mal appréciés » ? En général, les travaux dont on ne voit pas le but, l’utilité, pour lesquels on vous presse comme un citron. Mais existent-ils (sont-ils utiles) sans le monde monétaire ? »


Personnellement, les travaux les plus pénibles que j’ai effectués à titre personnel sont des travaux physiques, des travaux dont le but et l’utilité sociale sont absolument limpides et indiscutables (cueillir des courgettes – avec gants et manches pour limiter les irritations - , cueillir des cerises, castrer les maïs, monter des pneus par -10°…)

J’éprouve une grande défiance pour l’approche psychologisante qui consisterait à penser que les travaux les plus pénibles sont ceux « dont on ne voit pas le but ». En ce qui me concerne, les travaux les plus « pénibles » sont simplement les travaux « qui se font avec peine, qui exigent un effort difficile, qui causent de la fatigue, de la souffrance… » (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/p%C3%A9nible/59220)

 

2. Je rejoins globalement vos propos notamment le fait que « L’égalité de ressources monétaires est impossible parce que les humains ne sont pas identiques. »

 

3. « La monnaie entraîne vers elle la notion de pouvoir »

La notion de « pouvoir » est identique à la notion de « violence » que met en avant David Graeber et que je critique dans l’article : « je ne nie pas qu’une forme de violence [et de pouvoir] existe dans la dette ou le travail mais il me semble inadéquat et moralisateur de lier des concepts aussi vastes et complexes que le travail ou la dette à la notion (tout aussi vaste et complexe) de violence [et de pouvoir]. » J’ajoute que, selon moi, presque l’intégralité des relations sociales contient une dose de « pouvoir » et de « violence ». Il est contreproductif de réduire la monnaie à l’une ou l’autre de ces notions propres aux interactions sociales elle-même et non à l’outil qui se propose de les formaliser (l’expression de « droit objectivé » qu’utilise Pierre-Yves Rougeyron pour désigner la monnaie est, à ce titre, très intéressante).

 

4. « la notion de dé-responsabilisation liée au pouvoir de la monnaie »

Je crois que ce phénomène de « dé-responsabilisation » est relativement marginal et qu’il touche majoritairement les très hauts revenus/patrimoines… mais ici, il est nécessaire de revenir à la dose (relative) de pouvoir que contient l’argent mais qui, dès que l’argent est détenu en quantité excessive, devient également excessive. Comme vous le dites vous-même : « Le pouvoir grandit avec la masse de monnaie dépensable. ». Car c’est le pouvoir lui-même qui tend à déresponsabiliser/déshumaniser les individus et non l’outil qui permet d’incarner ce pouvoir sur le plan économique.

 

5. « Je n’aime pas faire ceci, donc je paye quelqu’un pour le faire. » (je suis plus apte à faire par l’intermédiaire de l’autre). « Je n’ai pas le temps de faire ceci, donc je paye quelqu’un pour le faire. »

Malheureusement, la question de « l’aptitude », que vous ne mentionnez qu’en parenthèse, me paraît fondamentale. Car, au-delà du plaisir et du temps, se pose la question de la compétence et des moyens…

à Je n’ai pas la compétence et les moyens de construire « moi-même » de A à Z un ordinateur portable. Et, si je devais m’efforcer de le construire, il me faudrait effectivement beaucoup, beaucoup, beaucoup de « temps » pour acquérir les compétences et les moyens nécessaires (certainement plus d’une vie). A ce titre, la spécialisation des compétences et la division du travail ont intérêt majeur qui ne doit pas être occulté dans notre quête d’autonomie sociale et monétaire.

 

6. « IMPERATIVEMENT le principe de « rareté relative » qui est vraiment fondamentale à la fois à l’outil, à la fois pour comprendre toutes les conséquences politiques, sociales, économiques, humaines. »

La notion de « rareté relative » que vous évoquez semble héritée de la nécessité de « réserve de valeur » développée par Aristote. D’abord, entendons-nous bien sur cette notion de « rareté relative » :

Comme je la comprends, elle indique que la rareté de la monnaie doit être modérée, c’est-à-dire que chacun doit pouvoir en offrir ou en recevoir à l’occasion d’interactions sociale susceptibles d’être rémunérée mais que personne ne doit être capable d’en créer sans apporter de contrepartie sociale.

Néanmoins, je ne suis pas certain de comprendre ce qu’apporte l’aspect de « rareté relative » au débat ou, plus exactement, je suspecte la notion de « rareté relative » de faire glisser le débat vers des théories telles que la TRM (Théorie Relative de la Monnaie) qui revient – plus ou moins – à une monnaie fondante. (Cf http://www.youtube.com/watch?v=kvjstlFaxUw)

Mon opinion en matière monétaire se cantonne au dogme aristotélicien (réserve de valeur, unité de compte et moyen d’échange). Selon moi, les tentatives de déformation de l’outil monétaire pour des raisons économiques (planche à billet, QE…) ou des raisons sociales (TRM, monnaie fondante…) sont nocives :

  • La relance économique : Il est illusoire, dangereux et antisocial de postuler qu’une « politique » monétaire peut stimuler l’économie.
  • La redistribution sociale : Il est tout aussi illusoire, dangereux et antisocial de postuler qu’une « politique » monétaire puisse améliorer la redistribution sociale sans perturber les comportements individuels, dégrader le Travail et l’économie, donc le niveau de vie.



Bref, je suis un peu rigoriste sur la question : la monnaie ne doit JAMAIS être l’objet d’une quelconque politique (quelle que soit ses fins) et se cantonner au dogme Aristotélicien.

Si une société souhaite se doter d’une plus grande justice sociale, elle doit envisager de le faire par ses lois (notamment son économie politique) et son système politique (notamment la démocratie réelle).


Cordialement,


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