samedi 20 mai 2017 - par Armelle Barguillet Hauteloire

24 heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig

C’est à la vitesse de la lumière que Stefan Zweig nous raconte les 24 heures de la vie d’une femme. On plonge dans l’histoire comme aspirés par la vivacité des phrases qui nous saisissent et nous emportent en une suite ininterrompue qui nous laisse essoufflés et abasourdis lors des ultimes mots et du dernier point. Mais sommes-nous dans un roman ou dans un film ? L’écrivain parvient à faire défiler dans notre imaginaire une telle suite d’images que l’on a vraiment l’impression d’entrer non seulement dans les décors extérieurs mais dans l’intimité des expressions, des gestes (le jeu de mains longuement décrit de l’un des personnage : « ces mains admirables, nerveuses et souples … ») et d’accéder pleinement aux divers sentiments éprouvés par les deux héros, Mme C. et l’autre, celui dont on ne saura jamais ni le prénom, ni le nom : « Je n’oublierai jamais la reconnaissance passionnée, d’abord humble, puis peu à peu s’illuminant, avec laquelle cet inconnu, cet homme perdu, m’écoutait ; je n’oublierai jamais la façon dont il buvait mes paroles lorsque je lui promis de l’aider ; et soudain il allongea ses deux mains au-dessus de la table pour saisir les miennes avec un geste pour moi inoubliable, comme d’adoration et de promesse sacrée. »

 

Qui sont-ils ? L’une observe, jolie femme d’une cinquantaine d’années, veuve qui a complètement renoncé à la vie et poursuit la sienne avec autant d’austérité que de sagesse et, l’autre, un jeune homme solitaire, qui joue. Tandis que cette femme guette et s’inquiète, le jeune homme met sa vie … en jeu dans les casinos. Curieusement l’action est réduite à sa plus simple expression, ce sont les sentiments, les sensations, ces choses intimes et secrètes qui occupent tout l’espace et nous font cavaler à leur suite dans des paysages intimes où l’émotion est omniprésente. Si bien que le récit de ces 24 heures, ce court moment dans une existence quelle qu’elle soit, prend une dimension considérable et ne nous lâche pas une seconde tant le texte est vif et ardent, au point qu’il est impossible de quitter ce livre avant de savoir où ces deux êtres nous mènent. Le roman idéal en quelque sorte, savamment conduit et orchestré, un petit chef-d’œuvre de savoir-faire et de grâce littéraire. Un ouvrage que tout jeune auteur devrait lire avant de se jeter dans l’écriture de son premier roman car, ici, tout est formulé à la perfection : le déroulé et l’évolution du narratif, la qualité fluide du style, l’imagerie des scènes qui semblent composées par un maître photographe, enfin cette souplesse de l’action, ce questionnement qu’elle induit, cette justesse dans les propos, le choix précis du vocabulaire où chaque mot entraîne le suivant de façon inexorable. La phrase n’hésite jamais, elle s’emballe, se cabre, se courbe, s’enlace, elle est magnifique de précision, elle dit l’attente, le soupçon, l’inquiétude, le doute, la surprise ; elle coule de sa source à son estuaire en un flux agité et rapide comme le cœur qui déborde, se perd et se laisse submerger par une ultime vague.

 

Je ne vous dévoilerai certes rien de plus de cette histoire qui se situe sur la Riviéra durant les années 1900, dans les décors d’un grand hôtel et d’un casino. Un événement va s’y produire qui met le narrateur en présence d’une femme auquel cet événement rappelle un moment de sa propre existence, moment qui l’a marquée à jamais et dont elle éprouve le besoin de se délivrer auprès d’une oreille bienveillante, celle du narrateur bien entendu. N’en doutons pas, nous venons d’entrer dans l’arène pour des joutes à fleurets mouchetés, d'une audace et d'une élégance pathétiques.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 




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