lundi 13 février 2017 - par

Complexe d’infériorité littéraire

J'ai remarqué que lorsqu'un scientifique ou présumé tel parle de son domaine, ou un quelconque philosophe improvisé et que parfois il en tire des conclusions délirantes n'ayant plus rien à voir avec un raisonnement équilibre, la plupart des gens se taisent respectueusement et écoutent. Voire mettent en pratique les recommandations dudit penseur. Ils s'inclinent. Lorsqu'un « littéraire » parle de littérature, l'attitude change, elle est alors beaucoup plus agressive. Les interlocuteurs sont alors sur la défensive, prêts à mordre comme si leurs manques de culture allaient en devenir criants et exposés sur la place publique. Cela ne les empêche pas dans le même temps, sans qu'ils n'y voient de contradiction, de proclamer l'inutilité de la littérature comme savoir...

On en vient dans 90% des cas à ressortir le lieu commun éculé de « l'école de la vie » qui serait infiniment supérieure à toutes les autres....

D'aussi loin qu'il m'en souvienne j'ai toujours aimé les livres. J'ai appris à lire avec ma mère avant le CP avec une méthode réputée « paternaliste » en 2017 mais qui avait fait ses preuves. C'est à partir de là que j'ai commencé à me plonger dans les livres. Je ne voyais rien d'original ou de particulièrement brillant à cela. Pour moi c'était on ne peut plus naturel, quand on sait lire, on lit. La lecture permet de développer son imagination, de s'ouvrir à d'autres manières de voir, de rêver d'autres contrées, parfois réelles, parfois non. Je ne me suis jamais interdit aucunes découvertes bien que parfois elles soient arrivées trop tôt, par exemple « le Voyage au bout de la nui » de Céline.

Avant même d'y aller, beaucoup plus tard, j'ai entre autres endroits rêvé du Proche Orient, du désert, des rivages de la Méditerranée. J'ai voyagé avec le capitaine Némo à travers les mers. Je suis monté en ballon, j'ai fait le tour du monde avec Lavarède. J'ai été un acteur minable mais héros grandiose comme le Capitaine Fracasse. J'ai visité « Niourk » l'ancienne mégapole à moitié détruite du livre de Stefan Wul. Je me suis ému pour « les enfants rois » aussi et j'ai écouté à la fin du collège Hadrien me raconter sa vie par l'entremise de Marguerite Yourcenar.

Tout le long de ma scolarité, je ne me suis jamais heurté à ce rejet des « intellos » qui sévit en ce moment. Il est vrai que je faisais partie de ceux qui aimaient bien s'amuser à l'école. Là aussi je ne voyais pas en quoi cela pouvait être antinomique, la culture n'est pas seulement le fait de bons élèves, ce que j'étais malgré tout, au moins dans les matières que j'aimais. Je ne verserai pas non plus dans le cliché du cancre forcément génie méconnu par ses professeurs, esprit libre et rejeté par l'institution. J'avais de très bons rapports avec eux sans que cela n'induise il est vrai une hiérarchie.

Il m'arrivait de les mépriser, tel ce professeur de Lettres de Premières qui manifestement n'avait lu ni Ionesco ni Maupassant au sujet desquels il était censé enseigner.

Les jalousies que je rencontrais venaient surtout de grandes personnes. « C'est pas normal qu'il se réfugie autant dans la lecture, ça cache quelque chose ». Il y avait aussi ces adultes qui montraient leur agacement à m'entendre parler de livres ce que j'ai cessé de faire à partir de la fin de l'adolescence comprenant que cela excitait un peu plus leur ressentiment. Mais contre qui ? Car personne ne les empêchait de lire et se cultiver autrement par eux-mêmes, sauf si bien sûr ils sont trop englués dans le conformisme télévisuel. Il n'y a jamais de véritable excuse valable à cette carence. Certains invoqueront le manque de temps, d'autres leur insouciance, aucuns ne dira que c'est juste qu'ils n'en avaient pas le goût, par paresse intellectuelle qui on s'en aperçoit ne fait que croître et embellir ensuite.

En 2017 la lecture est redevenue une activité parée d'élitisme et que l'on doit justifier par des études de Lettres ou une fonction quelconque en rapport avec celles-ci afin de calmer les suspicions de l'entourage. Lire devient un acte presque transgressif, qui éloigne de la dynamique sociale. C'est presque un geste d' « insociabilité ». Ce n'est pas très « normal ». Cela cache sans doute un vice. Ce que l'on pensait il y a plusieurs décennies revient à la mode. Le lecteur a des choses à cacher, et il ne veut pas s'intégrer aux mêmes cadres que les autres. A moins qu'il ne soit tout simplement qu'un prétentieux se haussant du col...

 

La chair est faible et j'ai lu tous les livres...

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury




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