mercredi 26 juillet 2017 - par Fergus

Du « boulou pok » à la « boule de fort »

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Théophile Deyrolle, Les joueurs de boules (1887, musée des Beaux-Arts de Quimper)

Si la Provence – et par extension tout le Midi de la France – a sa pétanque, et la capitale du « tablier de sapeur » sa boule lyonnaise, l’Ouest de notre pays, et notamment la Bretagne et l’Anjou, ont leurs propres pratiques en matière de jeux de boules. Le « boulou pok » et la « boule de fort » en sont deux illustrations méconnues parmi de nombreuses autres...

Bien qu’il soit organisé chaque année un Championnat du monde de Boulou Pok à Guerlesquin le jour du Mardi-Gras pour départager les Guerlesquinais « nordistes » des Guerlesquinais « sudistes » – c’est la place centrale du village qui délimite les camps –, force est de reconnaître que ce jeu reste confidentiel. Les joueurs de l’équipe gagnante n’ont en effet droit qu’à une feuille de lauriers, et leurs noms ne sont pas cités dans les colonnes de L’Équipe ; tout juste sont-ils célébrés dans les pages locales du Télégramme et d’Ouest-France consacrées aux échos de cette commune finistérienne. Et pour cause : ce jeu, basé sur la précision du lancer d’un demi-cylindre de buis plombé depuis... 1658, ne se pratique que dans cette petite cité de caractère et ne concerne ni les voisins de Plougras ni ceux de Botsorhel, pas même les Guerlesquinaises ! Comme chaque année, tradition oblige, la compétition est suivie d’un « Gwin Vihan » (petit vin), une sorte d’apéritif, puis d’un « Gwin Braz » (grand vin), qui n’est autre qu’un banquet réunissant les vainqueurs et les vaincus et où – tout se perd ! – les femmes sont désormais admises.

Plus sérieusement, les jeux de boules sont une tradition solidement ancrée dans les contrées de l’Ouest de la France, et cela depuis des siècles. À cet égard, il faut savoir que les jeux de boule existaient déjà dans les sociétés grecque et romaine de l’Antiquité, sous des formes qui ont été à l’origine des bocce (littéralement « les boules ») italiennes et dalmates, ancêtres de notre pétanque, jeu à boules pleines, et plus tardivement de notre boule lyonnaise, jeu à boules creuses. Comment ces jeux se sont-ils ensuite répandus sur le continent ? Sans doute par un effet de proximité au fil des siècles et au gré des invasions et des mouvements de population induits par les guerres et les difficultés économiques.

En Bretagne, c’est la boule bretonne qui prédomine. Et si ses règles varient d’un département à l’autre, elle compte encore de nombreux adeptes réunis dans des comités appelés à s’unifier dans l’avenir pour sauvegarder cet élément du patrimoine ludique de la région. Encore faudra-t-il résoudre la question du plombage des boules, une pratique autorisée dans le Finistère mais interdite dans les Côtes d’Armor et le Morbihan. Les boules, naguère en bois plein, sont désormais en résine synthétique, et le jeu consiste à les placer au plus près d’un « petit » ou « maître », l’équivalent du « cochonnet » de la pétanque.

Parmi les différentes variantes de la boule bretonne figure la boule Ar Mestr. Pratiquée naguère dans le nord Finistère en Pays pagan (pays païen), elle est de nos jours tombée en désuétude, largement supplantée par la pétanque. Le pastis lui-même a pris le pas sur le chouchen à l'apéritif ! La boule ar Mestr se joue avec de grosses boules de bois qu’il s’agit, comme dans les autres formes de boule bretonne, de placer le plus près possible d’un « maître », en l’occurrence une boule de même taille que les autres, reconnaissable à un signe distinctif.

Chaussés de pantoufles

Un peu plus à l’est du département, une autre variante de boule bretonne a, bien qu’en déclin, mieux résisté à ce jour : la boule plombée de Morlaix, principalement jouée dans les communes qui jouxtent la baie éponyme. Pour en relancer la pratique, des initiations gratuites ont même lieu chaque mercredi de l’été sur le territoire de la superbe commune de Plougasnou, l’une des plus belles destinations du Finistère nord. Avec cette boule plombée, l’on a affaire à un jeu qui demande aux pratiquants une technicité accrue relativement aux jeux de boule classiques. Et pour cause : les boules sont lestées de 5 cylindres de plomb, 4 étant disposés dans le sens du roulement, et le 5e – dénommé « le fort » – sur l’un des côtés de la boule. Résultat : tant que la boule possède suffisamment de vitesse, elle va droit dans la direction qui lui a été imprimée par le lanceur ; dès lors qu’elle perd de la vitesse, elle décrit ensuite une courbe induite par la masse du « fort ». Toute l’habilité du joueur consiste à savoir faire usage de cet effet dynamique pour placer la boule le plus près possible du « maître » en évitant les boules adverses.

Ces caractéristiques de trajectoire liées à une asymétrie de masse, on les retrouve en Anjou, à 300 km de là, avec la boule de fort qui suscite encore, de nos jours, un réel engouement dans la province du « Bon roi René ». Drôle de jeu que celui-là : il est pratiqué par des joueurs chaussés de pantoufles en feutre avec des boules de bois cerclées de fer pas totalement rondes – elles comportent deux côtés aplatis – sur un terrain en métal ou en résine de forme concave. Pas évident de réussir à placer la boule à l’endroit souhaité : comme son nom l’indique, elle comporte, comme en pays de Morlaix, un côté lesté, « le fort », qui contribue à donner des trajectoires que seuls les plus experts parviennent à maîtriser, et cela d’autant plus que l’aire de jeu concave comporte des bords relevés de 30 à 40 cm. Même pour rire comme à Guerlesquin, pas de Championnat du Monde ici, mais de nombreux concours à découvrir dans le Maine-et-Loire et les cantons voisins entre deux dégustations des succulentes spécialités gastronomiques locales. À noter que les « sociétés » de boule de fort sont désormais ouvertes aux dames pour la plupart d’entre elles. Pour en savoir plus, des initiations sont organisées dans différents villages. Ce sera notamment le cas à Candé le 7 août. 

D’autres variantes de ces jeux de boule existent dans le Val de Loire, et tout particulièrement dans la région nantaise. À commencer par la boule nantaise et la boule tharonnaise qui, comme la boule de fort, se jouent sur une surface aux bords incurvés ; mais ici, pas de « fort », de simples boules en bois non lestées, et un jeu apparenté à la pétanque. Parmi les variétés ligériennes, citons encore la boule de sable qui, comme son nom l’indique, se pratique sur une surface arénacée ; et pour cause : on la doit, dit-on, aux mariniers de Loire qui se distrayaient naguère sur les bancs du fleuve entre deux navigations aux commandes de leurs gabarres. Quant à la boule oudonnaise, c’est une cousine germaine de la précédente, également due aux mariniers de Loire, ceux-là même qui, non contents de confronter leurs talents sur le sable lors des temps de pause, poussaient la chansonnette au son de l’accordéon en buvant un verre de ce « muscadet qui brille et fait aimer les filles ». 

Tous ces jeux sont inscrits à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France. Tel n’est pas le cas en revanche de la spécialité d’Obélix à laquelle la commune de Guerlesquin – encore elle ! – rendra, le jeudi 3 août, son hommage annuel lors du Championnat du Monde de lancer de menhirs. Avis aux amateurs !



20 réactions


  • Radix Radix 26 juillet 2017 10:42

    Bonjour Fergus

    Mon grand-père était un joueur de boule de fort ainsi que ma mère.
    Par contre je n’est jamais vu de terrain en résine et encore moins en métal !
    Les terrains de boules de de fort sont en terre battue, c’est pour cela que les chaussons sont indispensables pour ne pas laisser de marques.

    Radix


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 11:01


      Bonjour, Radix

      Je n’ai pas connaissance d’aire de jeu de boule de fort actuelle en terre battue, mais je ne connais que très imparfaitement l’Anjou. Cependant, il est clair que ces aires de jeu, autrefois effectivement en terre battue d’argile, ont été presque partout remplacée par des revêtements non sujets aux dégradations et faciles d’entretien. A toutes fins utiles, voici deux liens qui vous le confirmeront : lien 1, lien 2.


    • Radix Radix 26 juillet 2017 12:29

      @Fergus

      J’ai du mal à imaginer comment on peut pratiquer ce jeu sur des pistes en métal, sur du synthétique à la rigueur, mais le métal pose un gros problème car les boules sont cerclées d’acier et métal contre métal génère une adhérence moindre.
      Sans compter que le bruit doit-être insupportable dans ce temple de calme qu’est un cercle !

      Radix


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:35

      @ Radix

      J’ai ramené cette information de piste en métal d’un récent voyage dans le Saumurois. Peut-être est-elle erronée ? Quoi qu’il en soit, il existe des pistes en parquet et là aussi, cela doit être bruyant, même s’il n’y a pas de lancers dans la boule de fort, mais des impulsions de roulement (à paume ouverte) un peu sur le modèle du bowling. Cela dit, la plupart des pistes sont désormais en résine.


  • gruni gruni 26 juillet 2017 10:44

    Bonjour Fergus


      Du « boulou pok » à la « boule de fort » 

    En tout cas, des occasions bien sympathiques de conserver de vielles traditions, de sortir et de faire la fête au village. Pour changer de la télé et de l’ordi. 
    Merci pour ce texte rafraîchissant.


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 11:09

      Bonjour, gruni

      Dans le contexte socio-politique pesant où nous sommes plongés, il m’a en effet semblé opportun de faire un petit break en portant le regard sur des vieilles traditions populaires encore parfois solidement implantées ici et là.

      C’est également l’occasion de montrer qu’il n’y a pas que la pétanque dans la vie des boulistes ! smiley

      Personnellement, et bien que n’étant pas adepte des boules, j’aime bien ces jeux pour le lien social qu’ils créent ou qu’ils entretiennent, parfois entre personnes issues de communautés très différentes. En cela, ces jeux sont très utiles et leur pérennité doit être, me semble-t-il, encouragée ce qu’ont d’ailleurs compris la plupart es collectivités locales concernées.


    • troletbuse troletbuse 26 juillet 2017 11:43

      @gruni
      Et le petit bisou ?


  • Abou Antoun Abou Antoun 26 juillet 2017 11:50

    La boule de bois avait souvent sa surface tapissée de clous (genre semences).
    Dans le Nord de la France on joue surtout aux quilles (origine du bowling). De même que les cafés du sud et du lyonnais avaient souvent leurs pistes de boules, les estaminets du nord avaient souvent un quillier (couvert, climat oblige).
    Perso j’ai horreur des boules, ou alors il faut que je fasse parallèlement un mots croisés ou un sudoku tellement je me fais ch....


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:04

      Bonjour, Abou Antoun

      Les jeux de quille sont encore assez répandus en France, et c’est notamment le cas en Bretagne et dans le grand Sud-ouest, région dont mon épouse est originaire. Des jeux traditionnels qui sont aujourd’hui concurrencés chez les jeunes par l’émergence du Mölkky finlandais dont j’avoue être moi-même un adepte occasionnel.

      En Bretagne, boules et quilles sont également concurrencés par le palet qui garde de très nombreux pratiquants, y compris chez mes propres voisins. Seul inconvénient : le bruit !



    • Radix Radix 26 juillet 2017 18:43

      Bonjour Abou Antoun

      L’ancêtre du bowling est la quille de neuf. Ce jeu a été découvert par les soldats américains en 1917 lors de leur venue en France. Quand ils sont rentrés aux états-unis ils ont adoptés ce jeu.

      Ce jeu les a tellement passionné qu’il a soulevé l’ire des pasteurs qui voyaient leurs ouailles déserter l’office pour aller y jouer !
      Résultat : ce jeu a été interdit (ils ont le bras long les pasteurs !), les joueurs n’ont pas baissé les bras, ils ont rajouté une quille et ils ont appelé ce jeu : bowling !

      Comme cela paraissait américain personne n’a osé l’interdire !

      Radix


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 19:01

      @ Radix

      Euh...

      En fait, le bowling existait déjà aux Etats-Unis depuis bien longtemps. D’après l’historique de la Fédération (lien, cliquer sur le menu déroulant de la colonne « Fédération » puis sur « Historique »), « Le jeu de 9 quilles a été importé aux Etats Unis au cours du 17ème siècle par les immigrants du nord de l’Europe », puis l’American Bowling Congress créé en 1895.



    • Radix Radix 27 juillet 2017 10:48

      @Fergus

      Re-Heuh

      L’information que j’ai donnée venait justement du journal de la fédération de bowling, j’ai été licencié de bowling pendant 15 ans et recevait le bulletin de la fédé.
      Si ils ont changé de version depuis, je me demande laquelle est la bonne ?

      Il y a quand même des points commun : "Le jeu de 9 quilles a été importé aux Etats Unis au cours du 17ème siècle par les immigrants du nord de l’Europe. Interdit parce qu’il a provoqué la faillite de nombreux joueurs et qu’il concurrençait la pratique religieuse, il renaît avec 10 quilles afin de contourner la loi."

      Radix


    • Fergus Fergus 27 juillet 2017 10:56

      Bonjour, Radix

      Merci pour ces précisions, Disons qu’il y a eu des influences croisées, et nous ne serons pas loin de la vérité historique. smiley


  • PiXels PiXels 26 juillet 2017 12:23

    Bonjour Fergus.


    Désolé de vous contredire mais cette affirmation est fausse :

    « ancêtres de notre pétanque, jeu à boules pleines, »

    Je sais que les maths c’est pas trop votre truc alors je vais vous épargner les calculs et vais me limiter aux informations « brutes ».

    Un joueur de pétanque (de compétition) choisit ses boules en fonction de la taille de ses mains et de sa « spécialité » (tireur, pointeur, milieu).
    Le diamètre se situe généralement entre 72 et 76 mm.
    Si les boules étaient « pleines » elle pèseraient donc pas loin de 2 kg.
    Or un tireur va (généralement) privilégier des boules de 690 ou 700g alors qu’un pointeur va préférer des modèles pesant un peu plus (720, 730....)

    Les boules sont fabriquées à partir de 2 demi-sphères d’acier d’environ 5/6 mm d’épaisseur.

    Elles sont donc (très) loin d’être « pleines » (à moins que vous ne précisiez "pleines...d’air ! smiley )

    La pétanque va peut-être (probablement) devenir discipline olympique.
    Bon, d’accord ce n’est pas aussi prestigieux que le Championnat du monde de Boulou Pok à Guerlesquin ...

    Bonne journée.


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:07

      Bonjour, PiXels

      Merci pour ces précisions, et désolé pour cette erreur sur les boules de pétanque, effectivement pas si pleines qu’elles semblent l’être. smiley 


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:08

      A ma décharge, et sans vouloir chercher d’excuse, on parle souvent de « boules creuses » pour les lyonnaises, d’où mon extrapolation erronée.


  • C'est Nabum C’est Nabum 26 juillet 2017 12:28

    Fergus

    Celui-ci aussi mérite de passer sur la Parle-Loire

    j’attends le suivant

    Merci


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:10

      Bonjour, C’est Nabum

      Pas de problème, tous mes articles sont en accès libre. Merci à vous.


  • Saka20 Saka20 26 juillet 2017 12:30

    Pétanque : Le terme vient des mots de l’occitan provençal pè « pied » et tanca « pieu », donnant en français régional l’expression « jouer à pétanque » ou encore « pés tanqués », c’est-à-dire avec les pieds ancrés sur le sol, par opposition au jeu provençal où le joueur peut prendre de l’élan. (wiki)


    • Fergus Fergus 26 juillet 2017 13:23


      Bonjour, Saka20

      « Les pieds tanqués », c’est également le titre d’une excellente pièce de théâtre de Philippe Chuyen (extrait), prix Jean Vilar 2012 (meilleur spectacle du Festival off d’Avignon). Il y est question de pétanque, évidemment, mais aussi d’histoire, avec quatre participants à cette partie en 13 points : un Algérien, un Marseillais, un Parisien et un Pied-noir.


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