mercredi 13 août 2014 - par Jules Elysard

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan

Avignon 2014. Théâtre du Chêne Noir. Denis Lavant. Céline

Le titre est une formule de Louis Ferdinand Céline, trouvée dans sa correspondance, qui donne son nom à un montage : des textes extraits de cette correspondance et quelques entretiens radiodiffusés ou télévisés. Le choix des textes est d’Emile Brami, la mise en scène d’Ivan Morane et l’incarnation, plus que l’interprétation, de Denis Lavant.

Déjà en 2003, Emile Brami avait commis un livre intitulé Céline et sous-titré entre parenthèses Promenade. Il s’en expliquait alors en déclarant deux choses :

Il me faut, moi, juif, vivre avec cette gêne permanente, ce caillou dans la chaussure, d’être passionné par l’écriture, la vision pessimiste du monde, l’humour très noir de celui qui avait voulu, même métaphoriquement, et encore ne suis-je pas absolument certain de la métaphore, ma peau. "

« Faute de mieux, j’ai choisi d’appeler ce texte "promenade" ; j’aurais préféré "balade", mais la confusion était possible avec "ballade" qui a un autre sens en littérature. Une promenade, donc, le nez en l’air, avec quelques détours qui, s’ils peuvent paraître inutiles, sont bien agréables, et des raccourcis où l’on se perd. À travers un mélange de lectures désordonnées, rien d’autre que le regard subjectif d’un dilettante sur une époque, une vie, une œuvre. »

Dans un entretien accordé à Actualité Juive (n°1152 du 10 février 2011), il déclare :

« On oublie d’ailleurs trop souvent que Céline était plus raciste qu’antisémite. Il était antisémite avant la guerre parce qu’il croyait que les Juifs allaient mener la France à la guerre. Mais, lorsqu’il écrit « Rigodon », à la fin de sa vie, il est contre les Chinois. Céline se définissait lui-même comme « raciste biologique ».

Ce Céline dont le Voyage commence place Clichy en 1914 pour se terminer à Meudon, avec un nouveau départ en Allemagne 30 ans plus tard, en 1944, quand les Occidentaux, les Anglo-Saxons, les Juifs et les francs-maçons ont débarqué en Normandie. Denis Lavant le joue, ce voyage au bout de la haine, entre un lit, un bureau, un piano et un escabeau.

Je n’ai lu de Céline que le Voyage (1932) et Mort à Crédit (1936), mais je les ai lus deux fois et je m’y replonge un peu parfois. Je ne connaissais les « pamphlets » que par réputation et je savais que Madame veuve Destouches exigeait qu’ils ne fassent pas l’objet d’une nouvelle publication.

L’agencement des textes choisis est plutôt chronologique. On entend donc Denis Louis Ferdinand évoquer d’abord les deux premiers romans et, avant de passer aux romans suivants (Guignol’s Band-1944 ; Casse-pipe-1949 ; Féérie pour une autre fois-1952 et 1954 ; D’un château l’autre-1957), il s’en prend aux quatre pamphlets intercalaires : Mea Culpa (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938) et Les beaux draps (1941).

Un des meilleurs moments est la revue littéraire où Céline assassine joyeusement Joyce, Aragon, Sartre et quelques autres. C’est plus drôle que Guy Debord exécutant des insolents dans des lettres d’insulte. Le rapprochement est loin d’être accidentel. Certes, l’un se présentait comme un alcoolique militant et comme un stratège, quand l’autre se revendiquait hygiéniste et pacifiste. Mais Debord ne mégotait pas son admiration secrète pour Céline. Dans ses Mémoires à 26 ans, en 1958, comme dans un court métrage en 1959[i], il reprend cette Chanson des Gardes suisses (1793) que Céline avait mise en exergue du Voyage.

 

Notre vie est un voyage
Dans l'hiver et dans la Nuit,
Nous cherchons notre passage
Dans le Ciel où rien ne luit.


Mais j’apprends aujourd’hui que Boris Donné, un chercheur contemporain spécialiste de ce maudit Guy Debord, affirme que ce quatrain est de Céline lui-même. Il et serait donc un « détournement » au sens situationniste du terme. Guy Ernest le savait-il lorsqu’il avait repris ces vers de Louis Ferdinand ?

 

Denis Lavant ponctue ses diatribes de morceaux de piano et de reprises d’une chanson qu’avait interprétée Louis Ferdinand Céline, intitulée Le règlement[ii] :

 

Denis Lavant envisage-t-il de proférer sur scène la correspondance de l’auteur de La société du spectacle ?

 

http://theatreauvent.blog.lemonde.fr/2014/07/05/faire-danser-les-alligators-sur-la-flute-de-pan-de-louis-ferdinand-celine-montage-de-textes-demile-brami-mise-en-scene-par-ivan-morane-avec-denis-lavant-au-theatre-du-chene-noir-a-avignon-du-5-au/

http://www.nta-angers.fr/IMG/pdf/nta-faire_danser_les_alligators.pdf



[i] Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps

[ii] Je te trouverai charogne
un vilain soir !
Je te ferai dans les mires
deux grands trous noirs !
Ton âme de vache dans la trans’pe
Prendra du champ !
Tu verras c'est une belle assistance
Tu verras voir comment que l’on danse
au grand cimetière des Bons Enfants !

(Refrain)
Mais voici tante Hortense
Et son petit Léo !
Voici Clémentine
Et le vaillant Toto !
Faut-il dire à ces potes
Que la fête est finie ?
Au diable ta sorte ?
Carre ! Dauffe ! M’importe,
O malfrat ! tes crosses
que le vent t’emporte
Feuilles mortes et soucis !

Depuis des payes que tu râles
que t’es cocu !
Que je suis ton voyou responsable
que t’en peux plus !
Va pas louper l’occase unique
de respirer !
Viens voir avec moi si ça te pique
aux grandes osselettes du Saint-Mandé
Viens voir avec moi si ça te pique
aux grandes osselettes du Saint-Mandé

(refrain)

C’est pas des nouvelles que t’en croques
que t’es pourri !
Que les bonnes manies te suffoquent
par ta Mélie !
C’est comme ça qu’est tombé Mimile
dans le grand panier !
Tu vas voir ce joli coup de fil
que j’vais t’ourdir dans l’araignée !

(refrain)

Mais la question qui me tracasse
en te regardant !
Est-ce que tu seras plus dégueulasse
mort que vivant !
Si tu vas repousser la vermine
plus d’enterrement !
Si tu restes en rade sur la quille
j’aurai des crosses avec Mimile
au four-cimetière des Bons Enfants !

(refrain)




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