mardi 8 novembre 2016 - par Paul ORIOL

La fiancée du pirate

Dans La fiancée du pirate (1) réalisé par Nelly Kaplan, sorti en soixante-neuf, une jeune femme se libère des dominations de l’Église, de l'exploitation par les hommes et même de la sorcellerie.

Les trois premières minutes. Dans la grisaille de l'aube, le clocher qui domine le village s’éloigne lentement et, pendant le générique, la campagne, une prairie avec une barrière... Un bouc passe... Deux silhouettes se rapprochent, toutes deux en uniforme, le père en facteur, avec son fusil de garde-champêtre, le fils, en scout… Ils voient le bouc, le chassent avec des pierres... Et continuent leur chemin.

Dans la cour de la ferme, au sol détrempé, un tracteur, un hangar, des volailles, des vaches, des bidons de lait, la maison en pierres, Marie (Bernadette Lafont) avec un seau qu’elle remplit à la fontaine, prend une serpillière, entre dans la maison et se met à nettoyer le sol, à quatre pattes sous le regard du Vieux, dans son lit, une photo de militaire au mur et une croix, en train de manger sa soupe qui coule de la bouche. Il ne quitte pas Marie des yeux une seule seconde, et ses belles fesses...

Derrière elle, apparaissent deux jambes bottées d’un paysan qui s'approche (elle l'a vu car comme sa mère, elle a, bien sûr, des yeux dans le dos), s’accroupit, la prend par la taille. Elle continue son travail, indifférente. Il lui parle de la nuit prochaine…

Le Vieux ne peut en supporter plus, balance son assiette dont le bruit fait descendre Irène, la patronne, de l’étage. Elle invective Marie qui ne bronche pas, soulève son visage avec sa botte de cuir, donne un coup de pied dans le seau qui arrose Marie et s'en va…

Tout est dit : poids de l’église, sorcellerie, uniforme, exploitation sociale et sexuelle.

Marie et sa mère sont arrivées, nomades, sans papiers, dans le village quand elle était toute petite. Elles ont été exploitées. Elle est devenue une belle fille. Maintenant, elle travaille chez Irène, la plus grosse propriétaire terrienne de Tellier. Elle est l’objet sexuel des hommes du hameau. Et même d’Irène.

Jusqu’au jour où sa mère meurt, victime d’un chauffard. Elle hérite d’un peu d’argent et va se venger. Pour Nelly Kaplan c'est « l'histoire d'une sorcière des temps modernes qui n'est pas brûlée par les inquisiteurs, car c'est elle qui les brûle ».

De ce jour, elle prend sa vie en main. Et d’abord, elle organise l’enterrement de sa mère. Contre l’adjoint Le Duc, contre l’abbé qui ergotait sur l’absence de certificat de baptême mais qui ne peut supporter l’enterrement hors les murs du cimetière.

Elle dit à chacun ses vérités : comment ils les ont traitées à leur arrivée, exploitées. Ce qu’ils disaient de sa mère : folle, nomade, sorcière… Irène la ramène pour la nuit chez elle, lui retire la tasse de café qu’elle vient de lui offrir, pour lui faire l’amour.

Elle achète victuailles, alcool, bougies... chez Félix, café-épicerie. La nuit, elle fait manger, boire surtout, les hommes qui ne pensent qu’à une seule chose, et les utilise pour creuser la tombe, à coté de leur cabane, à l’endroit qu’elle a choisi mystérieusement.

Désormais, il n’y aura plus droit de cuissage ouvert à tous. Mais le même tarif pour tous. Avec l’argent gagné et la complicité d’André, client intermittent et amant de cœur, exploitant de cinéma ambulant, elle va, peu à peu, équiper sa cabane, construire avec les objets inutilement achetés son jardin idéal. C’est elle qui décide. Réduit le facteur au voyeurisme et au fétichisme d’une culotte volée. Le seul homme qui lui propose le mariage. Le seul quelle rejette constamment, pour son uniforme ? Son arme ? Ses opinions ? Et déniaise son fils.

C’est elle qui fixe et augmente les tarifs à sa guise. Et fait céder l’opposition concertée qu’ils essaient d’organiser. Par provocation, gratuitement, devant Le Duc et Félix, elle fait l’amour,à un ouvrier agricole étranger, impécunieux, encore un sans papier ? Ce que vous ferez au plus petit d’entre le miens, c’est à moi que vous le ferez. Et ce plus pauvre s’appelle Jésus ! Double blasphème.

La fiancée du pirate est un film de l’après 1968. Burlesque par le ridicule des personnages. Féministe, libertaire mais aussi un peu méprisant pour ce monde de cul-terreux de toute classe, odieux, hommes et femmes, riches et pauvres, obsédés, à la sexualité bestiale. Marie les punit tous parce qu’ils les ont faites souffrir, elle et sa mère. Le plus puni, est l’ouvrier agricole qui est licencié à cause d’elle et réduit à la mendicité. Seul échappe au jeu de massacre, André qui ne fait que passer dans le village, client et ami fidèle, amoureux discret. Et Victor, un commerçant de la ville chez qui André l’a amenée pour faire des courses.

Marie évolue, un peu rapidement, de la fille apparemment simple et soumise, à la jeune femme, avertie, se jouant des uns et des autres par ses réparties et ses stratagèmes, ignorante des choses élémentaires de la vie moderne et s’adaptant facilement au maniement des objets, du tourne disque avec la voix de Barbara, moi j’me balance (2) qui accompagne le film, au magnétophone. Au courant de la contraception et du traitement des maladies vénériennes. Et surtout experte dans le maniement de la parole et des hommes.

Marie aux multiples visages. De la belle servante de ferme à la beauté amoureuse, de la blancheur spectrale à la brune beauté fatale maquillée aux fruits rouges et au noir de fumée, envoûtante pour les hommes. Possédée, peut-être...

Le bouc diabolique qui passe, seul, dès les premières images, que chassent le facteur et son fils, le bouc du médaillon, le bouc auquel elle adresse ses seuls mots d’amour, qu’elle bichonne, qu’elle lave. Que le facteur-garde champêtre tue. Et pour lequel elle demande une messe au curé. Provocation certes... La chauve-souris clouée sur une planche où elle accroche ses montres trophées...

Marie, maquillée, au regard noir et fixe quand elle brûle sa cabane. Visage beau et tragique, derrière un rideau de flammes et de fumée, comme sur le bûcher. Ce sont Marie, la sorcière, et la maison qui brûlent et disparaissent.

Même si son œuvre ne se termine qu’à l’église, un dimanche pendant la messe, au moment où elle dépose, devant la statue de sainte Sarah, la patronne des communautés gitanes et… de Tellier, le magnétophone qui va diffuser, à toute l’assistance, les déclarations faites par les hommes en visite, sur leur femme ou proposition de marché ou les propos de l’abbé sur ses ouailles.

Délivrée enfin de son passé, Marie peut quitter Tellier. Elle passe le panneau Limite de stationnement des nomades, voit l’affiche annonçant la projection dans la région de La fiancée du pirate. Elle hésite et s’en va, seule sur la route, vêtue de blanc comme une jeune fille, se débarrasse de ses chaussures et avance pieds nus.

La route de la vie, de la liberté est devant elle, longue et droite entre les arbres. Fille nomade, va-telle rejoindre André et son cinéma ambulant ?

 

1 – La fiancée du pirate, film de Nelly Kaplan, 1969, 108 mn, avec Bernadette Lafont, Georges Géret, Michel Constantin, musique de Georges Moustaki, chanson interprétée par Barba ra. Film difficile à trouver en DVD, visible sur You tube.

2 - Moi, je m’balance : http://www.lyricsmania.com/moi,_je_me_balance_lyrics_barbara.html

La fiancée du pirate


5 réactions


  • Elliot Elliot 8 novembre 2016 13:01

    Peut-être un peu long comme résumé mais tellement juste , ce qui aboutit peut-être à tuer les attentes de ceux qui n’auraient pas vu ce film ou alors il y a bien longtemps, car ce film ne fait pas, devinez pourquoi ! l’objet d’ un grand acharnement des rediffuseurs,


    Il est heureusement disponible au téléchargement pirate pour ceux que cela intéresse.

    Resituons le film dans le temps : la France est pompidolienne, il est tourné dans la douce anarchie qui suivit mai 68 et le message est évident qui prend à rebours la France encore fort rurale et coincée des parvis...
    C’est une oeuvre majeure, caractéristique - au second degré - d’une époque qui s’affranchit des conventions et on peut s’interroger et, d’une certaine manière être admiratif, sur la manière dont le système a réussi quelques décennies plus tard à récupérer à son profit et pour le profit le souffle libérateur qu’annonçait ce film : téléréalité et tapis rouge déroulé devant des starlettes sulfureuses qui transforment la « sorcière » du film, la regrettée Bernadette Lafont , en bénédictine apaisée.
     
    Un Trump et dans une moindre mesure un Sarkozy signe la postface grinçante de cette fable.

  • non667 8 novembre 2016 19:36

     kaplan ,kaplan !
    une juive qui critique le catholicisme entre autre ça fait le buzz  !l’inverse est interdit ! passible de la XVII chambre  ! c’est ça la liberté d’expression en france
    y en a qui sont plus égaux que d’autre aurait dit coluche


    • Et hop ! Et hop ! 8 novembre 2016 23:23

      @arthes : pourquoi parler de l’hypocrisie du catholicisme, et pas d’hypocrisie de certains catholiques.


      Le catholicisme n’a jamais prétendu que tous ses fidèles sont des petits saints, bien au contraire elle affirme qu’ils sont tous pêcheurs, en leur donnant une morale, c’est-à-dire en leur faisant connaître ce qui est le bien et le mal. C’est déjà un énorme progrès par rapport à beaucoup des anti-catholiques d’après 1968 qui prêche l’amoralité subjective, c’est-à-dire l’inexistance de différence objectives et ontologiques entre le bien et le mal, récusant toute loi morale, toute morale héroïque, pour adopter l’individualisme hédoniste de la société de consommation.

      Est-ce que vous parleriez d’hypocrisie de l’écologie parce que des militants écologistes comme Duflot militent contre le rejet de carbone et vont en avion passer une semaine de vacances aux Maldives, parce qu’ils militent pour l’accueil des immigrés clandestins, mais que pas un seul n’accepte d’en prendre chez lui, 
      d’hypocrisie du socialisme parce que des militants socialistes pour l’immigration refusent tout autant de prendre des immigrés chez eux, sauf si il s’agit d’une bonne au noir et sans droits sociaux pour s’occuper de leurs enfants pour lesquels ils demandent des dérogations à la carte scolaire pour qu’ils soient dans une école sans immigrés.


    • Et hop ! Et hop ! 8 novembre 2016 23:24

      @Et hop ! : désolé pour toutes les fautes d’accord.


  • velosolex velosolex 9 novembre 2016 11:05

     « Fille nomade, va-telle rejoindre André et son cinéma ambulant ? »....

    Ca me ramène à un autre film, en fondu enchaîné : Je me souviens de Bruno, ce cinéphile allemand que Wenders met en scène dans « Au fil du temps »...Et qui annonce tout le questionnement, l’errance, et les contre valeurs des années 70
    Au fil du temps UniversCiné VoD – Au fil du temps en VoD - Film de ...
    Un long road movie que j’ai revu dernièrement. Que ce soit « La fiancée du pirate » ou « Quai des brumes », les films c’est pas de la fiction ! ...Ils trimballent en remorque toute la sensibilité de l’époque, et certains détails qu’on juge anecdotiques à leur sortie, nous plongent dans une autre dimension, amusée, nostalgique, ou faite incrédibilité : « Eh quoi, les choses étaient vraiment comme ça !..Bon dieu je m’en souvenais plus ! »
    « La fiancée du pirate » avait fait scandale. C’était une époque où même un film comme « La religieuse » faisait scandale, dans une France Bourgeoise, où « Madame Bovary », et même « les fleurs du mal » avaient un gout de souffre. 
    Qu’est ce que ce film nous dit aujourd’hui. D’abord que cette histoire ne serait plus possible. Les communautés paysannes réunis autour de l’église, n’existent plus avec leur cortège de clichés immuables : Le curé, le bedeau, la bonne du curé, les journaliers, l’instituteur plus ou moins communiste, le notaire comme charnière des transmissions. Faut il en rire ou en pleurer ?

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