samedi 25 octobre 2014 - par C’est Nabum

Les confidences de la porte d’à côté

Le Bonimenteur se raconte ! 

Séance de signature

Je viens de vivre une curieuse expérience pour l'apprenti écriveur que je suis. Mes voisins tout proches m'ont convié chez eux afin que je dédicace ce livre que je n'avais pas osé leur proposer. Fausse pudeur ou bien discrétion louable ? J'avoue n'en rien savoir. Mon voisin m'intimide, lui qui est un fin lettré. Son épouse travaillait elle aussi autour du livre. Je ne me sentais pas de taille avec mon modeste fascicule …

Il l'avait commandé, sans rien m'en dire directement auprès de l'éditeur, le jour de sa sortie officielle. Celui-ci l'avait glissé dans leur boîte aux lettres sans m'avouer non plus cette étrange demande. Depuis, je me morfondais, je m'interrogeais sur la manière dont je pourrais leur parler de ce tournant dans mon existence. Moi qui ne voulais pas entendre parler d'édition, j'avoue avoir quelques certitudes qui vacillent en ce domaine ….

Nous avons passé une délicieuse soirée autour d'une bouteille de Sancerre. Rien n'est plus recommandé pour me faire parler. Je ne me suis pas fait prier puisqu'ils voulaient savoir comment j'en étais arrivé là. Étrange monde où il s'impose désormais d'expliquer son rapport à l'écriture. La chose est devenue si rare qu'elle sort des schémas habituels.

Je me suis interrogé moi-même et je ne peux leur reprocher cette curiosité légitime. Comment un petit instituteur, fâché, jusqu'à la honte et le complexe, avec l'orthographe, a-t-il pu s'arroger la prétention de la rédaction compulsive ? Il faut bien admettre que je m'en étonne moi-même et que bien des efforts me furent nécessaires pour passer par-dessus l'interdiction prononcée par les gardiens de la langue droite !

Vous pourriez penser que l'invention de l'ordinateur, cette machine à écrire savante qui surveille un peu votre usage des mots a été un tournant décisif. Que nenni ! J'avais depuis longtemps accepté les remarques moqueuses de ceux qui n'ont rien d'autre à dire que de souligner les errements d'une plume malhabile.

Qu'importe que la langue soit un tant soit peu ciselée, elle doit rester dans les normes imposées par des générations de gardiens de l'écriture droite et disciplinée. J'avais osé le ridicule par le truchement de journaux amateurs qui accompagnèrent toutes mes expériences personnelles. Dans mes classes comme dans les clubs de rugby, dans mes relations amicales comme dans les soirées festives, j'avais toujours un écrit sous la main pour donner des couleurs à la vie.

Puis, un jour, j'ai lancé une bouteille à l'encre. La toile allait servir de détonateur et, d'occasionnelles, ces pratiques scripturales allaient devenir quotidiennes. Oh, les débuts n'étaient pas glorieux ! La langue était encore mal dégrossie, la forme pas tout à fait élaborée. Le sujet plus que restrictif, mais qu'importe, la machine était lancée.

J'ai fait mes gammes, je me suis astreint à une discipline d'ascète. Je me suis imposé une cadence infernale, j'ai accepté les remarques acerbes, les critiques véhémentes, les injures et les moqueries. J'ai toujours répondu ; me faisant un point d'honneur à assumer jusqu'à la déraison cette prétention incroyable de prétendre diffuser sa prose.

Petit à petit, au fil des années, j'ai trouvé un style, un nom qui n'était pas le mien et qui s'impose à moi désormais. Je ne prétendais à rien de plus que cette notoriété fictive, évanescente et irréelle. Le compteur des lecteurs croissait petit à petit : cadeau étrange interrogeant bien plus qu'il ne flatte réellement.

Puis, une boutade, un défi, une parole en l'air et le destin a encore joué des siennes. Lors d'une réunion au Musée de la Marine de Loire, j'ai proposé d'écrire une fable pour accompagner le renouveau de la Saint Nicolas en cette ville. Je ne savais pas que je venais de passer de l'autre côté du miroir …

Depuis ce premier conte, d'autres sont venus chaque semaine, compléter une collection que je ne compte pas abandonner en chemin. Je me suis fait violence pour dire moi-même ce premier texte, le lire alors car je ne me sentais nullement l'âme d'un conteur. Le hasard est devenu nécessité, des amis m'ont poussé, d'autres sont venues sur ma route pour me demander des chansons.

L'écrit s'était incarné, il devenait ma chair et mon sang. Je ne pouvais plus me passer de ce rapport aux histoires qui font vibrer les autres. Le livre devenait un passage, non pas obligé, mais une manière de prolonger cette belle folie. Tout a basculé pour moi, non pas que je sois devenu célèbre, il s'en faut de beaucoup et jamais cela n'arrivera. Mais, avec un bonheur rare, j'étais enfin celui qui était tapi au fond de mon cœur.

Voilà, je venais de leur raconter tout cela, bien plus maladroitement que je ne le fais ici au lendemain de cette soirée. D'autres eux aussi m'ont demandé ce récit, il est normal qu'il prenne corps pour enfin répondre à la question du pourquoi ? Reste la plus complexe de toutes : comment ?

Je me garderai bien de chercher à élucider le mystère de cette diarrhée lexicale. Mes doigts glissent sur le clavier ; une petite musique s'impose à moi. Les mots s'enchaînent ou rebondissent, s'opposent ou se métamorphosent, se griment ou bien s'émancipent. Les phrases se succèdent ; la même cadence s'impose à moi avec une suite de petits paragraphes.

La forme est née dès le départ. Elle était maladroite alors, elle se contente d'être malhabile aujourd'hui. C'est tout ce que je sais faire et il n'est pas question qu'on prétende y déceler la plus petite trace de talent. C'est un modeste savoir-faire de petit artisan des mots qui se révèle sous vos yeux. Vous vouliez savoir, maintenant vous savez ; acceptez désormais la possibilité que le mirage aussi puisse s'évanouir.

Explicativement vôtre.



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