mercredi 4 mars 2015 - par Theothea.com

« Les Estivants » par Gérard Desarthe à la Comédie Française

« Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire ». Cette réplique culte et récurrente d’Anna Karina à l’adresse d’un Jean-Paul Belmondo quelque peu décontenancé dans « Pierrot le fou » de Godard, pourrait aisément être reprise par chacun de ces estivants venus dans leurs datchas en villégiature balnéaire comme chaque été, à ceci près qu’au sein de cet ennui général quasiment revendiqué, des voix vont, chez Gorki, peu à peu s’élever jusqu’à pouvoir éclater de rage en fin de seconde partie !

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LES ESTIVANTS
photo © Cosimo Mirco Magliocca

Toutefois, ce qui pourrait se présenter comme un signe avant-coureur ou prémonitoire de la révolution russe, est néanmoins quelque peu relativisé au final de cette pièce nouvellement entrée à la Comédie Française par l’ultime commentaire d’un des protagonistes sur le ton : « Tout çà c’est de la rhétorique, ce n’est pas la peine de lui accorder plus d’importance qu’une saute d’humeur estivale ».

En 1904, lors de sa création, le texte de Gorki se présentait comme une succession de scènes où chaque conversation, entre deux ou davantage de personnages, laissait place à la suivante et ainsi de suite jusqu’à la confrontation générale ; en 1976, lors d’une adaptation par Peter Stein & Botho Strauss, la troupe de la Schaubühne présentait à Nanterre une scénographie où les 14 estivants apparaissaient d’emblée sur le plateau.

C’est cette version chorale que Gérard Desarthe a choisi de mettre en scène en 2015 au Français, non sans l’avoir testée auparavant en 2010 avec ses élèves du Conservatoire.

Ainsi, dès le lever du rideau, c’est un arrêt sur image de l’ensemble des rôles figés au sein d’un bois de bouleaux qui vient cueillir le public en ce premier instant, indélébile pour le reste de la représentation.

Comme si tout avait été dit dans le mutisme de ces premières secondes, cet aréopage de petits-bourgeois en posture tétanisée semble se détacher du peuple dont ils sont tous issus… avec, en arrière-plan conceptuel, tous ces visages de la masse silencieuse esquissés sur les troncs forestiers raides… comme l’injustice subjective se rappelant au bon souvenir.

Place donc à la dialectique au sujet de tout et de rien, pourvu qu’elle permette de bien gémir et de se plaindre face à l’interlocuteur qui pourra toujours surenchérir.

Après avoir permis l’approche identitaire et idéologique de chacun des membres de ce groupe dilettante, l’entracte viendra rompre le puzzle de la libre parole à tout va, en faisant surgir ensuite des prises de positions paradoxales incitant des sous-groupes à se radicaliser.

Ainsi, mine de rien, de l’ennui Tchekhovien posé initialement comme consubstantiel aux chaleurs de l’été slave, Gorki va introduire le boomerang culturel et social comme avènement de la lutte des classes.

Coup de chapeau à Gérard Desarthe qui aura osé ce ver dans le fruit mûr, félicitations à Muriel Mayette qui en a fait la programmation ainsi qu’à Eric Ruf qui en assure l’intendance contradictoire et surtout mille bravos à cette troupe représentée ici au summum de l’excellence de chacun.

photos © Cosimo Mirco Magliocca

LES ESTIVANTS - **** Theothea.com - de Maxime Gorki - mise en scène Gérard Desarthe - avec Martine CHEVALLIER, Michel FAVORY, Thierry HANCISSE, Anne KESSLER, Sylvia BERGÉ, Bruno RAFFAELLI, Christian BLANC, Alexandre PAVLOFF, Céline SAMIE, Clotilde DE BAYSER, Loïc CORBERY, Hervé PIERRE, Samuel LABARTHE, Pierre HANCISSE et Jacques CONNORT - Comédie Française

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LES ESTIVANTS
photo © Cosimo Mirco Magliocca



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