samedi 12 novembre 2016 - par Orélien Péréol

Les potentiels du temps

Les potentiels du temps, Art et politique de Camille Toledo, Aliocha Imhoff, Kantuta Quiros, Editions Manuella, 273p 19€

Ce livre est un développement lyrique plutôt bien écrit d’une idée simple pour ne pas dire plus, selon laquelle la pensée serait créatrice. L’analyse est récit, le récit est fiction, les fictions sont ensorcellements. Ce livre prétend lutter contre des ensorcellements négatifs qui nous conduisent à nous sentir impuissants. D'où naitra sans doute du mieux

« Il manque à ce monde un principe d’expansion. » La pensée potentielle va combler ce manque et ce livre en est l’expression. Quatre parties :

1. Manifester, croire en autre chose qu’à ce qui nous est présenté comme « réel » (ce qui nous est présenté comme réel est une phrase passive, on ne sait pas qui agit).

2. Cartographier, paradoxalement, concerne le rapport au temps : dans la modernité, le passé est la promesse d’un futur meilleur par la science et la technique qui va jusqu’au bonheur politique par la révolution, cette prophétie ne s’étant pas accomplie, nous nous pensons en postmodernité, appelé présentisme dans ce livre. La pensée potentielle redonne toute liberté à l’avenir, on l’aura compris.

3. Transmettre, mettre en transe, non pas maintenir, conserver, mais ouvrir l’angle des possibles…

4. Glossaire. Je prendrai l’entrée institutions, (parce que je raisonne avec les concepts de l’Analyse Institutionnelle). « Les institutions sont ce par quoi nous traçons des continuités ». Elles vont du haut vers le bas, de l’avant vers l’après. Dans les années 70, on a eu la critique des institutions, on a les reconstructeurs (réactionnaires). Il convient donc de transmettre, non pas du même, mais du possible, l’infinité des configurations possibles… etc.

Entre ces parties, se trouvent des interviews des artistes auteurs, car ils sont très polyvalents. Camille de Toledo (CHTO) est écrivain, artiste, poète. Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros sont théoriciens de l’art et commissaires d’exposition.

Ce livre parle beaucoup de « nous ». Une note en bas de la page 191 dit que ce « nous » est flottant, plastique…En effet ! La note évoque ensuite du conjoncturel très local d’où il ressort que « Paris est la ville des « grammaires défuntes » et des « vieux pouvoirs »,  » alors que « Berlin est la ville des collectifs ouverts, malléables, où s’expérimentent de nouveaux modes d’habitation… » Je vais peut-être déménager à Berlin, si les choses sont si tranchées.

La dialectique n’est pas dans les modes de pensée des auteurs. « Nous sommes phonétiquement capables de tous les sons et l’apprentissage d’une seule langue est, à cet égard, une réduction de nos capacités. » (p189) Certes, mais deux ou trois réduiraient aussi nos capacités ; autrement dit, cette réduction est nécessaire à la pratique d’une ou de quelques langues. La perte de phonèmes disponibles à la naissance par l’apprentissage d’une langue est un gain. La perte est un gain. (Je ne suis pas biologiste, mais il est possible que la perte de la plasticité qui permet à la naissance de pouvoir imiter tous les phonèmes s’accomplisse même pour un enfant qui n’apprendrait aucune langue, ne pratiquerait pas certains phonèmes de façon fréquente à l’exclusion d’autres dont la disponibilité disparait de ce fait).

On ne sait jamais de quoi on parle et ce qu’on pourrait faire avec ce qui est écrit : Il faut non pas parler une langue mais parler la « traduction ». On lit des propos péremptoires : le XIXème siècle a été le siècle de la positivité, les XXème celui de la négativité. Bon ! « Nés à la fin d’un siècle, destinés à mourir dans un autre, nous sommes des spectres, des tournants. » (p185). Les siècles sont des numérotations liées au caractère décimal de notre manière de compter, initiée sur un point zéro de la naissance de JC, dont nous avons une connaissance très approximative. Si nous sommes entre deux siècles, c’est du hasard et y voir une signification relève de la superstition.

La pensée n’est pas créatrice, elle contribue à la création de notre réalité, en coproduction avec un réel sur lequel nul n’a prise. Les avions volent parce que l’air les porte, pas seulement parce que des hommes ont pensé toutes sortes de mécanismes pour faire voler des avions. Cette pensée potentielle me parait une sœur jumelle de la pensée magique.




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