mercredi 15 juin 2016 - par Armelle Barguillet Hauteloire

« Marcel Proust, une vie à s’écrire » de Jérôme Picon

En recevant ce livre, j’avoue avoir eu, devant les 600 pages qui attendaient ma lecture, un bref mouvement de recul. Allais-je me lancer dans cette énième biographie chargée, comme les précédentes, de nous mettre en relation plus intime avec l’écrivain qu’avec nous-même, tant notre mémoire cède trop souvent aux voluptés de l’oubli, contrairement à celle des biographes. C’est donc prudemment que j’ai tâté le terrain, m’aventurant avec réticence dans « Marcel Proust, une vie à s’écrire » et séduite d’emblée, je l’avoue, par le savoir-faire de Jérôme Picon qui appréhende Proust selon un angle inédit, celui où il devient en quelque sorte son propre analyste, méthode qui a achevé de réduire à néant mes à priori. Le support de son travail n’étant autre que la correspondance de l’écrivain qui, jour après jour, nous met en contact avec les multiples facettes des personnalités diverses qui sommeillaient en lui et ont donné corps à son œuvre ( le seul corps que Proust ait pleinement occupé ) comme une suite de naissances successives. Certes, sa correspondance n’avait pas été sans nourrir ses prédécesseurs, mais Picon en fait le canevas exclusif de sa longue et pénétrante étude que le titre s'emploie à invoquer : le roman proustien ne fait en définitif que re -écrire l’existence de l’auteur. Si bien qu'un autre titre aurait pu également le définir : « A la recherche du moi perdu ». Ou encore : « A la recherche des mois multiples ».

Proust ne met-il pas un peu de lui-même en chacun de ses personnages ? Et le lire, n’est-ce pas l’entendre se parler, mieux, le surprendre à s’écrire ? Il semble que le jeune homme d'abord, puis l’adulte se sont essentiellement consacrés à saisir l’être dans les diverses phases de son évolution, à scruter le mystère profond qu’inspire notre nature obscure, incertaine et insatisfaite. S’appuyant sur les témoignages quasi quotidiens des lettres, brouillons et notes, certains encore inédits, Picon est parvenu à réussir le tour de force de nous rendre l’écrivain dans l’instantané de la création littéraire, le mouvement de vie qui l’anime et l’a incité à préférer le fictif au réel parce que la transposition a ceci de supérieur, elle s’inscrit dans une démarche artistique et intemporelle. Ce que l’on découvre dans cet ouvrage est un homme aux prises avec les innombrables complexités de l'individu et, en premier lieu, les siennes.

Dès le début, on sait que l’on entre non dans une confession mais dans une quête, une longue suite d’expériences qui aboutira à la révélation ultime : l’œuvre est plus importante que la vie, bien que la vie ne cesse de l’alimenter. Toute œuvre d’art se doit de puiser en elle-même ses lois et sa raison ; n’est-il pas évident que la littérature est la plus complète expression de la vie ? Ce long monologue – certaines lettres n’ayant pas de destinataire, Proust parait s’écrire à lui-même – est une évidente immersion en soi qui structure le roman en gestation, l’abreuve et l’édifie, et constitue une revanche sur trop d’années passées à se disperser. En quelque sorte, Marcel Proust se déconstruit pour construire son livre et utilise tous les matériaux de cette déconstruction à bon escient, appréhendant l’autre moi au fond de lui-même et cédant à la tentation de peindre en l’autre ce qui, en lui, l’inquiète et l’interroge.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

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1 réactions


  • Phoébée 16 juin 2016 19:47

    @Jérôme Picon bière

    Contrairement à des reçues, Marcel n’était pas inaccessible. Entre deux picons, mélange de bière dans lequel il aimait tremper sa madeleine, dès le matin. Il organisait autour de lui un genre de cénacle inédit : Les alcoolos, les péripatéticiennes, les clodos du quartier. Nous nous réunissions dans son petit appartement et il nous faisait la lecture de ses écrits de la nuit, souvent nous applaudissions, mais aussi parfois, nous lui faisons ce reproche de rester dans son entre-soi. Il ne le prenait pas mal, il était très ouvert.


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