jeudi 15 septembre 2016 - par Orélien Péréol

Modèle vivant

Modèle vivant de et par Stéphanie Mathieu mise en scène Xavier Lemaire (vu dans le off d’Avignon)

En tournée à Paris, les samedi 17 et lundi 19 septembre au Théâtre de la Huchette, respectivement à 21h et 20h.

On croit tous que poser pour les cours de dessin et de sculpture est une petit boulot pour les étudiantes et parfois les étudiants. Eh bien non. Il est des personnes qui en ont fait le métier de leur vie. Il y a des modèles qui s’y collent tous les jours ou presque, y vieillissent ; les jeunes gens en formation apprennent le trait aussi avec des corps moins jeunes et même plus jeunes du tout.

Stéphanie Mathieu nous parle et nous montre ce métier, son métier, tel qu’elle le pratique, tel qu’elle le sent, le vit. Elle nous le raconte en gestes et en mots, elle le met en scène au sens le plus pur de ce mot, elle nous le donne à voir et à entendre, ce métier.

Pose et attente. Silence, regards. Concentration des dessinateurs ou sculpteurs sur leur travail, ils se mettent tout entier dans leur regard. Le modèle aussi entre en elle-même et recompose les contraintes qu’elle commande à son corps pour les sublimer. Les sublimer, juste leur donner sens mental. Que faire quand on ne fait rien ? Poser est un spectacle où l’on donne à voir son corps sans mouvement, bien vivant cependant. Fait rarissime. Ne pas bouger. Respirer. Attendre. Un guet insolite dans une posture unique.

Chaque séance a sa petite histoire, sa mise en scène singulière. Un accueil plus ou moins attentif et respectueux, un paravent, ou non, car contrairement à ce que beaucoup croient, les modèles ont leur pudeur, et bien sûr la saison, avec sa température fluctuante, la plus ou moins grande protection contre les courants d’air… Chaque séance de pose a son groupe, son ambiance, l’âge des apprentis sculpteurs ou dessinateurs… s’il y a des estropiés, des accidentés de la vie ?

Poser est un poste d’observation. Poser nu offre la possibilité d'être qui l’on est vraiment, avec le corps qu'on a ; ce moment contient une sorte d’obligation d'harmonie intérieure. Se mettre nu pour être vu permet de tout voir en réciprocité et les regardeuses et regardeurs n’y ont jamais pensé, elles et ils ont d’autres chats à fouetter. Etre au centre des regards, au centre de la salle, sur une estrade, que Stéphanie Mathieu a reconstitué sur scène ne fait pas d’elle une statue. La tête gamberge, la tête gambade, tout le reste immobile, appuyée sur les coudes ou les mains, les genoux ou les pieds, la colonne vertébrale comme un pilier, déplacé, un peu tordu, tendu vers un inédit, la pose justement... Elle sait ce que signifie cinq minutes de pose, ou dix minutes, une demi-heure… ce que cela signifie pour ses muscles, ses tendons, ses articulations… Et la pause, au milieu de ce long temps, si belle, si nécessaire !

Stéphanie Mathieu a écrit ce texte pour raconter les émotions qui la traversent quand elle est prise dans le silence et l'immobilité de la pose, pour témoigner de cet autre espace-temps, inaccessible à moins de s’y coller, et qui donne comme occupation un libre vagabondage, lové en son centre moral et physique, flot de pensées, un moment transversal entre tous les arts... Grâce à tous ces inconnu(e)s, elle a écrit sa première pièce.

Stéphanie Mathieu nous dit ça dans une grande générosité d’elle-même. Poser est un art, ce n’est pas qu’une activité marginale et étrange. Elle pose pour nous comme si nous la dessinions tandis qu’elle se dessine par le texte et la parole. Tout cela dans une simplicité biblique, une confiance édénique. Un théâtre de plain-pied, sans fioritures, nu comme la modèle qui nous dit qui elle est dans cette posture de modèle. Poser est un art, dire la pose, sa pose dans cette économie de moyens, du grand art.




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