mercredi 1er juin 2016 - par Orélien Péréol

Une minute de danse par jour 

Peu de temps après le meurtre collectif perpétré à Charlie Hebdo, Nadia Vadori-Gauthier s’est donné pour tâche de danser publiquement une minute par jour (moins de deux minutes, en fait). Elle se filme pour tous les absents qui sont tellement plus nombreux que les présents, (il en est ainsi pour toute activité humaine), et place ses danses sur un site, où l’on peut aussi traverser le temps et voir ce qui s’est passé ailleurs et plus tôt, c’est comme ça pour tout film, vidéo, on dit maintenant captation, et c’est comme ça pour toute chose écrite : http://www.uneminutededanseparjour.com/

Une minute de danse par jour comme un éclat de souvenir, du côté du corps, du côté de la joie, pas du côté de l’entretien de la souffrance. Nous sommes en danse, semble nous dire Nadia Vadori-Gauthier. Nous sommes en danse car nous sommes en vie. La seule chose certaine de la vie est nos corps. Sommes-nous tous derrière nos yeux ? Où sommes-nous, nous vraiment ? Nous ne pouvons le savoir. Nous n’y songeons pas trop. Nous, entier, notre être, âme, esprit, psyché, intuition, émotion, imaginaire… Nous sommes nos corps ne peut pas s’entendre en : nous ne sommes que nos corps, sauf que notre corps contient tout de nous, exprime tout de nous, notre corps est nous.

Depuis notre lever et même quand nous dormons, nous sommes là où est notre corps. Nos gestes n’ont ni début ni fin. Etendre la force de nos gestes, en développer l’espace, en creuser les multiples significations, c’est danser.

Et quand je te parle, ton visage parle à mon visage et réciproquement ; dodeline un peu et mon inquiétude va croitre : ce que je dis est-il si clair ? si appréciable ?

Marcher, c’est déjà danser. Boire en terrasse, c’est déjà danser. Hocher de la tête, opiner, c’est déjà danser. Danser, c’est juste en faire un peu plus, un peu plus fort, un peu plus grand, un peu plus consciemment, un peu plus quelque chose et surtout l’adresser aux autres, le donner à voir, volontairement et avec enthousiasme. C’est-à-dire avec générosité. Et Nadia Vadori-Gauthier ne manque pas de générosité. Danser c’est le lyrisme des gestes, la profusion, l’abondance, c’est le lyrisme de la vie, notre extension illimitée, notre corps comme rampe de lancement de signes et de beauté jusqu’aux confins du monde visible et invisible, c’est le point zéro de notre être au monde, projeté au-delà du ciel. Notre corps est une plaine infinie, il est une ville de surprises, d’étonnements, d’événements.

Nadia Vadori-Gauthier tire sa danse du jour du lieu du jour. Elle transcrit un agencement selon le mot de Deleuze, la conjonction fortuite d’éléments hétérogènes, le rouge d’un T-shirt, le bleu d’un costard, n’importe quelle singularité, une échelle au sol, une porte en travaux peinturlurée, taches fauves bavardes mais de guingois. Par exemple, elle raconte comment un jour, elle cherchait un lieu, le nez au vent dans la ville, et comment elle croisa un homme en quête d’un cours de danse…

Bien souvent, elle prend les gestes des gens, comme un fil qu’elle tire vers la tangente, vers l’ouverture, elle danse leur quotidien, elle danse leur rigueur utilitaire, leur économie fonctionnelle, elle attrape leur mode de vie et le transfigure en suite créative. Souvent, celles et ceux qui l’inspirent entrent dans ce jeu, répondent, font sourire leurs mouvements, inventent des fioritures, participent, s’ouvrent…

Nadia Vadori-Gauthier cherche, elle travaille énormément. Ce qui nous semble un premier jet, est souvent le fruit de nombreux essais-erreurs. Elle fait parfois dix-huit prises, comme au cinéma.

Il y eut la 500ème au ministère de la culture. Elle accompagna la ministre qui sortait d’une réunion dans un beau couloir peint par Felice Varini, en 2011 Le Carré aux seize disques. Elle avait demandé une chanson à Theo Lawrence : She would be the doctor when hearts were blue ; The 500 hundred dances of a girl with the world. (…) She never stopped believe in a better place…

Nadia Vadori-Gauthier veut aller jusqu’à mille et une minutes de danse. Est-ce assez ? Avec tant de vie en une minute, en aurons-nous notre contentement ?




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