lundi 2 mai 2016 - par C’est Nabum

Envers et Contres tous

Contres : Loir et Cher

L’émeute du 29 avril 1928

Il en est des événements comme des sentiments : il est bien difficile de démêler l’incroyable écheveau des pensées divergentes, des opinions distinctes et des témoignages incertains, surtout quand la réalité vient percuter l’idéologie et la mauvaise foi propres à ceux qui ont des convictions. Nous sommes en une époque où la presse était multiple et absolument pas monolithique, où les idées étaient tranchées et portées avec fougue. Il est évident que rien de tout ce qui va suivre ne pourrait désormais se dérouler ainsi dans une époque aseptisée comme la nôtre.

Le 29 avril 1928 dans le village de Contres, deux camps s’affrontent sans ménagement. À ma droite, le député sortant, le docteur Legros, notable bon teint, homme que ses adversaires présentent comme un incompétent notoire à la voix morne et aux tentations royalistes, fascistes et cléricales, excusez du peu. À ma gauche, le challenger et maire de Contres, Robert Mauger, bon garçon un peu niais et à l’instruction rudimentaire ; pour ses opposants, un dangereux collectiviste révolutionnaire qui ne peut répondre à ses contradicteurs qu’en se référant au dogme qu’il récite, un homme sans poigne ni autorité.

On peut deviner à la lecture des portraits qui nous sont parvenus que nous donnons dans la nuance, que les rivaux sont des êtres qui inspirent la confiance et le respect. Nous nous passerons des noms d’oiseaux que s’échangent les supporters des deux camps ; le verbe est haut, le coup de poing spontané et les débats houleux. Il faut reconnaître que la mode de l’époque est au débat contradictoire, ce qui prouve bien que ces gens-là sont à des années-lumières de nos chers candidats du moment qui n’organisent que des meetings réservés à leurs sympathisants.

Le ton monte dans le Loir-et-Cher. À Romorantin, des coups ont été échangés, des poings américains ont servi d’arguments frappants et la police a dû intervenir. La presse se charge de jeter de l’huile sur le feu en relatant les réunions de manière fort contradictoire : pour le Nouvelliste, Mauger a été acclamé par la foule tandis que l’Indépendant le prétend conspué et obligé de sortir sous les huées des braves gens. D’un côté il y a des « Gardes rouges » tandis que dans l’autre camp on évoque les Camelots du Roy… L’époque est à la sérénité et à la nuance !

L’invective, l’injure, la rumeur, la diffamation, les affiches odieuses, les tracts assassins sont monnaie courante. La campagne électorale est une vaste bataille où tous les coups bas sont permis. Les esprits s’échauffent, la lecture des journaux n’apaise en rien les passions. Le corps électoral se déplace en masse aux scrutins ; la politique est alors un sport de combat.

Il faut reconnaître que la grande guerre est passée par là. Ceux qui en ont réchappé sont chauds du bonnet ; ils ont sans doute pris le goût de la chopine et le ton monte vite. L’époque est aussi à la crise : ce mot qui ne cessera plus désormais de revenir épisodiquement en première ligne. Les politiques s’étripent sans jamais être capables de changer le cours des choses. Pour l’heure, leurs partisans croient encore à leur pouvoir et se font fort de cette illusion ; ils sont disposés à en découdre !

C’est l’effervescence à Contres pour le second tour. Pourtant, les jeux semblent faits : le docteur Legros a manqué d’un rien l’élection au premier tour, onze voix seulement lui ont fait défaut pour l’emporter. Les réserves en suffrages du pauvre Mauger sont si maigres qu’il n'a aucune chance de renverser la donne… Qu’importe, les esprits sont chauffés à blanc !

Les débits de boissons sont particulièrement fréquentés lors des journées électorales. Nous sommes dans une région viticole et la chopine est à la fête. Les uns boivent du rouge, leurs adversaires du blanc et les têtes tournent pareillement en dépit de la couleur du breuvage. L’alcoolisme est un fléau social qui ne pousse pas à la lucidité dans pareil cas.

Le dépouillement prend beaucoup de temps : il faut attendre les résultats des communes voisines, les sondages ne permettent pas de savoir par avance le nom du vainqueur. Les électeurs trinquent à la santé de leur favori ; ils lèvent le coude pour tuer le temps. Le climat devient de plus en plus houleux. Les mots désagréables s’échangent d’une table à l’autre, d’un camp à l’autre. L’ébriété est sans doute le déclencheur de la suite de la soirée …

Les libations libèrent les langues, abattent les barrières et poussent à passer à l’action. La frustration d’un camp, la morgue de l’autre et tout va chavirer avant que l’on puisse raisonnablement comprendre pourquoi. Tout va se circonscrire à un restaurant-charcuterie où la soirée va tourner en eau de boudin. Par la suite, le tribunal a bien tenté bien de tirer les choses au clair, mais comment y parvenir dans un contexte d'ivrognerie avérée ?

C’est sur le coup de 22 heures que les partisans de Legros apprennent le succès de leur champion et souhaitent l’arroser si cela était encore nécessaire tandis que du côté du vaincu, on veut noyer la défaite dans quelques derniers verres. Ce sont les époux Guérin, les tenanciers qui vont trinquer à n’en point douter. Il y a de l'électricité dans l'air.

La suite ne sera qu’une lamentable algarade, une rixe, une échauffourée. Les coups vont tomber comme à Gravelotte. L’estaminet devient un champ de bataille, les anciens combattants retrouvent l’exaltation des combats glorieux, les plus jeunes s’offrent leur heure de gloire. Le mobilier est sans doute la principale victime de ce vent de folie. La maréchaussée se montre incapable de rétablir l’ordre à défaut du calme.

Les gendarmes reconnaîtront plus tard leur incapacité à faire entendre raison à des belligérants qui semblent l’avoir perdue. Un coup de feu aurait été tiré de l’extérieur, le Maire est sollicité pour rétablir la situation, mais le bonhomme venant d’apprendre sa défaite n’a pas envie de se déplacer. Le brigadier n’a d’autre recours que de faire appel aux brigades voisines pour venir s’interposer. C’est donc de Cour-Cheverny, Pontlevoy et Blois que vont venir les troupes fraîches. La situation nécessite que les renforts arrivent en automobiles sous le commandement d’un capitaine !

C’est vers une heure du matin que le calme revient faute de combattants en état. Les pandores sont alors en nombre ce qui provoque une envolée de moineaux. Le restaurant-charcuterie est à sac, portes et volets brisés, la boutique n’est qu’un champ de ruines. C’est la désolation. Des tenants du vainqueur ont dû se réfugier dans les maisons voisines, les assaillants sont les supporters du perdant : telle est la version de ceux qui évoquent une émeute de dangereux gauchistes, incapables d’accepter la défaite.

Dans la presse de gauche, il est question d’une simple bagarre, d’un petit incident sans importance. Les avis divergent sur les responsabilités comme sur l’importance de la soirée. La presse de gauche titre sur beaucoup de bruit pour pas grand chose quand sa rivale évoque des hordes d’émeutiers niant le résultat des urnes. Il est bien difficile de se faire une opinion raisonnable de ce qui s’est réellement passé.

L’affaire sera jugée six mois plus tard. Dix-sept des dix-huit prévenus sont condamnés à des peines avec sursis de 15 jours à 4 mois de prison associées à des amendes et des dommages et intérêts élevés. La Mairie de Contres est pointée du doigt, sa carence est soulignée. De là à justifier le terme d’émeute, il y a un pas que les peines ne permettent pas de réaliser.

Les époux Guérin ont dû, quant à eux, attendre trois ans pour que l’affaire soit jugée au civil. Ils se sont retournés contre la ville de Contres et l’État qui, selon eux, leur a joué un vilain tour de cochon. Le Préfet, quant à lui, s'est contenté de qualifier d’incident cette folle soirée électorale. Depuis, les élections ne provoquent plus un tel engouement, les amateurs de bagarre ayant préféré jeter leur dévolu sur le football pour assouvir leur besoin d'exaltation guerrière.

Que s’est-il réellement passé ce soir-là à Contres ? La vérité n’est jamais toute nue. Chacun a ses raisons, ses arguments et son appréciation des choses. Tout n’est qu’interprétation et subjectivité. Que cette histoire aussi confuse que lointaine nous permette de nuancer nos appréciations, tout comme elle nous pousse à ne pas prendre pour argent comptant les articles de presse ou les rapports de gendarmerie. C’est bien la seule leçon qu’on puisse tirer de ce qu’on a appelé « les émeutes de Contres du 29 avril 1928 ».

Confusément leur.



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