Internet, la référence absolue
Nabumus existe, je l’ai rencontré …
Je viens de vivre une étrange aventure qui atteste que l’écrit est plus puissant que les paroles qui aiment à suivre le sens du vent, à moins que ce ne soit celui du courant. Il convient que je vous narre par le menu l’anecdote : vous risquez naturellement de ne pas croire le Bonimenteur, ce qui, avouons le, ne serait que juste retour de bâton.
Un livre de petites nouvelles historiques est sorti depuis quelques temps chez une éditeur régional que je ne puis plus nommer. L’auteur, Jean Louis R, est un écrivain prolifique, un ancien professionnel du droit qui a trouvé dans les travaux de plume une belle reconversion. Cette fois, il a voulu revisiter les grandes énigmes de l’histoire de l’Orléanais. De Mesmin au Duc de Guise, du mont des élus à la guerre de 1870, notre homme se joue des légendes et de la vérité avec une certaine malice.
C’est dans le chapitre sur l’invraisemblable aventure du petit moine cénobite Mesmin, traversant la Loire pour trucider le dragon, qu’il a fait référence à l’ermite de la roche Beraire : un dénommé Nabumus, écrivain, mandaté par Clovis en personne, pour écrire la légende dorée des candidats à la béatification : les vingt-six élus parmi les trente moines cénobites de l’abbaye de Micy et quelques comparses d’une époque fort prompte à fabriquer des saints.
J’avais créé de toutes pièces ce personnage pour donner du liant à la fable et permettre ainsi de passer d’une histoire à l’autre, tout en montrant à quel point la légende dorée relève davantage de la sornette que du récit édifiant. Les conteurs de l’époque fabriquant à tour de bras des fables à dormir debout et à mettre à genoux le bon peuple crédule.
Je remerciai mon collègue d’avoir ainsi glissé un clin d’œil à mon humeur badine dès qu’il s’agit de tancer les superstitions et les institutions de toutes les époques. Pince sans rire, l’homme parut particulièrement surpris de ma réaction : il ne voyait manifestement pas à quoi je faisais allusion. Il n’avait pas l’air de vouloir me faire entourloupe ou bien farce à sa façon.
Je me méfiais bien un peu : l’homme tient un blog où il se prétend, lui aussi, Bonimenteur. Je le croyais capable de feindre l’étonnement ; il n’en était rien. Il m’affirma, très sérieusement, qu’il avait trouvé trace de ce personnage sur la toile : un lieu indiscutable où toute vérité finit par se retrouver écrite. Je n’en revenais pas. Il était le plus sérieux du monde !
Je comprenais ainsi mieux son silence lors de la sortie de son livre. J’attendais naïvement une invitation personnelle et avais été particulièrement marri du choix de l’estaminet où avait eu lieu le vernissage. Il ne pouvait en être autrement : j’étais, dans l’esprit de l’auteur, parfaitement étranger à son livre.
Il est vrai que depuis huit ans, mes écrits ont pris l’habitude de voler de leurs propres ailes même si j’écris sur un clavier et non à la plume d’oie. Il ne faudrait jamais prendre au pied de la lettre les expressions comme les sources. En bon Ligérien, notre homme aurait dû se méfier d’un nom à dormir debout ; il n’en fut rien, il joua le jeu de la farce avec délectation.
La toile confère souvent une légitimité à ce qui y a été lu. Mon collègue fit celui qui croyait dur comme fer à l’existence de ce scribe lointain, ce personnage au nom latin. J’eus bien du mal à lui faire reconnaître la supercherie ; que j’avais ainsi gravé dans le marbre une légende numérique, une fiction qui, par le miracle de la technique, était devenue parole d’évangile apocryphe. Clovis, il est vrai, avait beaucoup usé du mensonge pour imposer la religion chrétienne dans son royaume !
Voilà donc Nabumus faussement authentifié par un ouvrage bien plus sérieux que mes navrantes bonimenteries, marquées du sceau de l'infamie locale. La double référence : Internet puis le livre, donnant du corps à la farce. Je pourrais tout aussi bien n’en rien dire mais j’ai trouvé si drôle la supercherie incarnée, que je n’ai pu la garder secrète. Je ne veux pas trahir mon collègue : sa manière habile de manier le mensonge joue sans doute à ma confusion mais simplement relativiser la source incertaine que constitue la toile.
Nous prenons si souvent pour argent comptant ou parole d’évangile (apocryphe ou non) ce que nous lisons sur cet espace où il y a autant à boire qu’à manger, que nul ne peut se garantir de ce piège. Abusant parfois de la dive bouteille, je me contente d’avoir le billet farceur pour celui qui m’a gravé dans le marbre de l’histoire. Il vient de m’offrir une bonne parcelle d’éternité, et de cela, je lui suis infiniment reconnaissant.
Latinement vôtre.