mardi 14 juin 2016 - par Jean-François Dedieu

François Cavanna et les peuples

François Cavanna, LES RUSSKOFFS, pages 120 à 123 édition Livre de Poche 1981, extraits :

« Pour la plupart des Français, ici (à Berlin dans l’Allemagne de Hitler note JFD), les Russes, c’est de la merde. En toute innocence. Ça va de soi, quoi. Comme un colon considérant un bougnoule. Même pas par anticommunisme. Au contraire, cet aspect de la chose les leur rendrait plutôt sympathiques.../... Alors que les Belges, leur défiance du Russe tient essentiellement au diable bolchévique qu’il cache sous la peau.

Les Français on ne peut pas dire qu’ils n’aiment pas les Russes, ils ne les aiment ni ne les désaiment, ils n’aiment personne. Quel peuple économe de ses emballements ! .../... Au premier contact, traitent les Russes de haut, condescendants, amusés-méprisants, comme ils traitent le Sidi qui vend des tapis à la terrasse des cafés. Ces yeux braqués d’enfants curieux de tout, ces sourires grand offerts qui quêtent ton sourire et volent au devant de lui, cette amitié toujours prête à croire à l’amitié, cette terrible misère qui cherche quelle babiole t’offrir pour matérialiser l’amitié, cette violence dans le rire et les larmes, cette gentillesse, cette patience, cette ferveur, tout ça, les Français passent à côté... ».

D’après Cavanna, les Français feraient un peu comme les Allemands « ... sauf que les Allemands, eux, ils le font exprès, ils savent pourquoi. » Ils dénigrent les traits physiques, la façon de s’habiller, les traitent de « race à la traîne, pas des gens comme nous, quoi ! », les pensent encore au Moyen-Âge. S’ils en veulent aux Allemands « Les Boches, bon, c’est des sales cons... » ce n’est pas sans accointances « entre gens civilisés ».

« ... Vis à vis des Russkoffs, les Français se voient dans le même camp que les Chleuhs : le camp des seigneurs.

J’ai l’habitude. Le Français méprise d’un bloc tout ce qui est rital. Le Rital du nord méprise le Rital du Sud et se sent, du coup, quelqu’un d’un peu, si j’ose dire, français...

Le Polonais aussi est méprisé mais déjà nettement moins que le Russe. Le Polonais hait le Russe d’une haine dévorante. Il en est, en retour haï d’une haine condescendante. Il hait aussi l’Allemand, le Polonais, d’une haine ardente mais pleine de déférence. L’Allemand hait le Polonais d’une haine somptueusement teutonique. Eux.../... détestent tout le monde et par-dessus tout les juifs... /... Ah si tiens, ils aiment la France... Les malheureux ! Dis "Napoléon" à un Polonais, il se met au garde-à-vous... /...

Les Tchèques aussi aiment la France. Mais d’une façon plus distinguée, plus culturelle. Nous on a mauvaise conscience. Munich, n’est-ce pas... On finit toujours par évoquer Munich. Alors le Tchèque te regarde et ses yeux te disent : « Tu m’as fait ça, ami. Tu m’as trahi. Mais ça ne fait rien, ami, je t’aime ». La France quoi qu’elle fasse, elle reste la France. C’est ça l’avantage d’être la France...  »

FACULTATIF VOIRE SUPERFLU CE DÉCRYPTAGE SUBJECTIF :

C’est direct, brut de décoffrage. C’est du Cavanna. Faut lui passer les gros mots. Sous des dehors excessifs, lui et ceux de son genre cachent une grande sensibilité. Dans « LES RUSSKOFFS », en dépit de la guerre, il y a aussi, sur ses « calepins crasseux », un amour indéfectible pour les langues avec une faveur pour le russe que parle la femme qu’il aime.

Bien plus tard, celui qui n’aura de cesse de fustiger les réformateurs de l’orthographe s’arrogeant le droit de saper une langue millénaire pour « ... des gens qui ne lisent pas, qui liront de moins en moins, qui n’écriront pas davantage. On la fait pour ceux qui ne s’en serviront pas... », écrira « MIGNONNE, ALLONS VOIR SI LA ROSE », un éloge de notre langue sur plus de deux-cents pages... 

Le nom de François Cavanna (1923-2014) reste lié à Charlie Hebdo et aussi à Hara-Kiri, le journal « bête et méchant » des années 60 - 70. L’auteur gagne néanmoins à être connu pour le témoignage, à travers sa vie, sur le siècle passé.

Ainsi, ce qui pourrait n’être, de sa part, qu’une posture politique contestataire, prend une tournure autrement humaniste et philosophique. Ses écrits autobiographiques, en effet, apportent un éclairage instructif sur un sens commun, une intelligence humaine idéalisés et pourtant loin de transcender des instincts seulement vitaux.

C’est pour le moins ce qui marque, lorsque, à l’occasion du grand brassage causé par la Seconde Guerre Mondiale, Cavanna, alors déporté du travail en Allemagne, nous livre, dans les RUSSKOFFS (Belfond 1979), sur fond de jeunesse, d’amour et de soif de vie, un instantané des visions et constats primaires de nationaux vis à vis d’autres peuples.

Verra-t-on, avec le temps, l’acquis influer toujours plus sur l’inné ? Doit-on en rester à un réalisme essentiellement pessimiste exprimant que la nature de l’homme ne peut être que ce qu’elle est ? Peut-on estimer raisonnablement que les mentalités peuvent évoluer du tout au tout ?

En plus de l’intérêt personnel que je porte à cette période particulièrement destructrice mais qui fit que mes parents se rencontrèrent à Dresde et que la suite fut plus heureuse pour eux que pour Cavanna et Maria, comme tous ceux qui veulent y croire, ces questions de fond, bien sûr, je me les pose... Je relis LES RUSSKOFFS, tous les soirs à 17h 30, au téléphone, pour mes vieux parents aux yeux fatigués, à 9000 kilomètres de moi et ils prolongent souvent avec ces souvenirs qui les ont secoués et une émotion qui nous remue toujours.

Merci Cavanna ! Merci François ! 



10 réactions


  • juluch juluch 14 juin 2016 13:02

    A lire et à relire !


    merci pour le partage

  • Alren Alren 14 juin 2016 15:23

    Italien par son père, Français par sa mère, deux bonnes raisons de pratiquer l’autodénigrement dont ces deux peuples ne s’épargnent pas !

    Parmi les requis du STO partis travailler en Allemagne, il y avait un certain Georges Brassens. Je doute qu’il ait eu autant de haine et de mépris pour les étrangers, prisonniers comme lui, que le dit François Cavanna.

    Mais au vu de son talent et de sa générosité il faut passer outre aux caricatures dont Cavanna parsème son œuvre et lui garder beaucoup de considération chaleureuse.


  • alinea alinea 14 juin 2016 17:56

    Il a l’humour vache mais la tendresse à fleur de peau ! j’ai adoré Les Ritals, Les Russkofs et quelques autres de ses premiers livres ; après, je ne sais si c’est moi ou si c’est lui, mais je l’ai senti glisser sur les lauriers de la facilité !
    C’est sympa d’avoir ravivé tout ça !! un petit coup d’jeune !!


    • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 14 juin 2016 18:24

      @alinea
      OUI « l’humour vache mais la tendresse à fleur de peau » ! J’aime comme j’ de Brassens, associé à cette tour de Babel, « la jolie fleur dans une peau de vache » !


  • Ouam2 (---.---.41.186) 14 juin 2016 22:01

    @Jean-François Dedieu :

    ben merci pour ce bon moment (comme d’ab) :)

    et j’ai bien rigolé el le lisant les bidules aiment pas les machins parce que .....(etcet) 

    ca me fait penser à un viel astérix & obelix, mais je sait plus quel titre (j’ai honte la)

     

    « ...Les Français on ne peut pas dire qu’ils n’aiment pas les Russes, ils ne les aiment ni ne les désaiment, ils n’aiment personne »

    bah, j’suis pas si sur que ca, c’est plus compliqué, c’est plutot un coté « critique exacerbé » du francais (et ses restes de « non soumission » par principe due à la révolution francaise) et a une suréstimation permanente qui font plutot penser à cela... non ?

    Enfin la je te parles du « Parigo »

     

    Comme un peu le coté « grands enfants » du peuple russe (regarde les videos « live in russia » p ex faites QUE par des citoyens russes eux meme (liste énnoorrmmme sur youtube) tu comprendra mes propos de « grands enfants » , t’a des trucs... incroyables ^^

    a+


    • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 15 juin 2016 09:11

      @Ouam2
      Ben oui, ça rejoint la question de la Grandeur de la France... un beau sujet de philo : « Qu’entendez-vous par »La Grandeur de la France«  ? »


  • Le p’tit Charles 15 juin 2016 08:05

    Le Français est un « CON » qui s’ignore, mais capable de juger le reste du monde avec un neurone par tête d’habitant...La preuve il met au pouvoir des mafieux qui le sodomise et content de son sort, il en redemande le tour suivant... !
    Il croit vivre au pays des lumières, alors que ce ne sont que des « bougies » qu’il se met dans le fion..en criant..."euréka.. !


  • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 15 juin 2016 09:06

    Les hémorroïdes, je supporte pas !


  • Hector Hector 15 juin 2016 09:06

    Comment faire fortune rapidement : Acheter un Français à sa valeur vénale et le revendre au prix auquel il s’estime. Et continuer.
    Blague Belge.


    • Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 15 juin 2016 12:40

      @Hector
      Fine c’est sûr... mais nous charger aussi lourdement (généralisation) relève de la caricature... Certains peut-être mais pas nous sur Avox !

      Je pense à ce mickey de Donald Rumsfeld accablant de son fiel la vieille France de la vieille Europe ! Savait-il qu’on n’en pense pas moins des Etas-Uniens ! Ne parlons pas de la perfide Albion... 


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