Christian Labrune Christian Labrune 19 juin 2017 14:54

à l’auteur,

À l’auteur,

Je vous disais hier soir que j’avais vu entièrement le film d’Arte, et que votre interprétation était particulièrement abusive. C’est en le voyant qu’on comprend le titre de votre article : il faudrait tenir compte de ce que pensent les anciens directeurs du Shin Beth, lesquels paraissent assez amers et assez peu satisfaits du travail qu’ils ont accompli. Partant, toute répression du terrorisme serait vaine, il faudrait rechercher plutôt le dialogue. Si on part de l’hypothèse désormais obsolète que la cause du terrorisme palestinien est un conflit portant sur des territoires disputés, pourquoi pas ? Mais en France, où sont les territoires disputés, où sont les « implantations » qui seraient à l’origine des fusillades, des égorgements, des meurtres d’enfants et même d’une décapitation qui ont fait les gros titres de la presse depuis trois ans ?

Le spectateur qui s’apprête à regarder un film où interviennent d’anciens chefs d’un service secret dont les méthodes ont fait leurs preuves pourrait s’attendre à voir apparaître des émules de François Fouché, le chef de la police de Napoléon décrit par beaucoup d’historiens comme un personnage cynique et corrompu, totalement dépourvu de scrupules. Au lieu de cela, on voit surgir une bande de vieux retraités amers et dégoûtés. Ils auront passé leur vie à remplir de ces missions à la marge de la légalité qui ont évidemment été commandées par des politiciens, mais ces derniers, ensuite, préfèrent évidemment n’en plus entendre parler. Ces hommes ont fait le très sale boulot qu’impliquait leur fonction, et on ne s’est ensuite nullement soucié des avis qu’ils pouvaient formuler sur l’opportunité des missions.

Bref, ce documentaire qui serait fort peu éclairant pour qui ne connaîtrait pas bien l’histoire de la région, permet à ces hommes vieillissants d’épancher leurs états d’âme, et la chose paraît d’autant plus incongrue que toute leur vie ils auront été tenus au secret. Ce qu’ils ont fait et vu n’était pas drôle, et comme si ce qu’ils pensent avoir à dire n’était pas suffisant, on multiplie les images atroces. Ca commence par le ciblage, en altitude, d’individus à éliminer au coin d’une rue, jusqu’à l’explosion du missile qui les pulvérise. Les violences de rue, les images de la prison sinistre de jérusalem, les prisonniers qu’on secoue pour les faire parler, les carcasses fumantes d’autobus que des kamikases ont fait exploser, etc.. Israël, c’est donc cela. Quelle horreur !

Ceux qu’on fait parler ici auront toujours été pris en tenaille entre des exigences contradictoires : faire en sorte, en usant au besoin de moyens pas très recommandables, que le nombre des attentats diminue, et ne pas aller si loin dans la répression que, par un effet pervers, la répression accroisse la violence et le nombre des attentats. On le voit bien lorsque le journaliste demande à l’un si telle pratique était bien morale « Il n’y a pas de morale chez les terroristes », répond-il, et d’ajouter, pour illustrer cette mise entre parenthèses de la morale du côté du Shin Beth : « avec une bombe d’une tonne, on oublie la morale ». C’est dire que le bonhomme, au fond, n’accepte, en fait de reproches, que ceux que sa propre morale lui inspire. Et un autre, à la fin du film, confesse : « quand tu quittes le Shin Beth, tu deviens un peu gauchiste ».

Politiquement, ces anciens du Shin Beth n’ont pas plus de certitudes concernant les solutions qu’il faudrait envisager, que la plupart des politiques. Il m’a semblé que l’un au moins paraissait croire que la politique de Rabin était la bonne, mais il y a de moins en moins de gens qui le pensent, dont je suis. En fait, ils sont seulement dégoûtés de devoir s’être comportés eux-mêmes, face aux terroristes, en usant des méthodes du terrorisme lui-même.

La manière dont le film est monté, avec une convergence à la fin de formules qui condamnent toutes plus ou moins explicitement la suite des politiques d’Israël vise, on s’en douterait, à illustrer la doxa qu’attend forcément le Français moyen et à le pousser encore une fois, autant que faire se peut, vers l’antisionisme.

A ce citoyen-là, il conviendrait quand même de proposer l’expérience de pensée suivante : un même film interrogeant les responsables de la violence dans la région, les Haniyeh, les Mechaal, les Nasrallah. Ont-ils, ceux-là, les mêmes scrupules de conscience ? Quand des femmes et des enfants ont été égorgés en Israël, ils ont applaudi, félicité les « héros », et fait distribuer des friandises dans les rues pour fêter l’événement.

Et nos soldats français au Mali, ou du côté de Mossoul ? J’entendais ce matin à onze heures une émission sur France culture, à propos de Mossoul. On n’y fait pas de prisonniers, comme je vous le faisais remarquer dans une intervention plus haut, on élimine purement et simplement les jihadistes. Ca ne doit pas être très beau à voir, mais le moyen de faire autrement ?

Je trouve que ces anciens chefs du Shin Beth auraient mieux fait d’enterrer leurs états d’âme, parce qu’il y a fort peu de chances qu’on voie un jour leurs homologues d’autres pays, dont le nôtre, s’appesantir jamais sur les horreurs qu’ils auront été forcés de commettre au service de l’Etat.



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